Polémique autour du juge Charles Prats, candidat RN-LR qui a posé en robe de magistrat sur ses tracts électoraux
Polémique autour du juge Charles Prats, candidat RN-LR qui a posé en robe de magistrat sur ses tracts électoraux
Le magistrat en disponibilité Charles Prats, candidat LR-RN aux législatives et déjà présenté comme le « Monsieur anti-Fraudes » d’une équipe gouvernementale que pourrait former Jordan Bardella, a-t-il mené une campagne électorale illégale ? La question est posée par son adversaire à la vue de tracts imprimés pour le premier tour des élections dans la 6e circonscription de Haute-Savoie qui comprend notamment Chamonix.
En photo, au-dessus du slogan « Rassemblons les Français pour reconstruire la France ! », le candidat apparaît en effet en robe noire de magistrat. Au surplus, est épinglé sur la soie judiciaire son insigne de l’Ordre national du Mérite.
« Une faute disciplinaire grave »
Dans un courrier adressé au Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), le député sortant de Chamonix-Mont-Blanc, Xavier Roseren, candidat de la majorité présidentielle, s’en étonne. Il dénonce le fait que « l’utilisation d’un symbole officiel comme la robe de magistrat pour une campagne électorale peut être interprétée comme une tentative d’influencer indûment les électeurs en utilisant son autorité professionnelle ».
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Il évoque le Code électoral mais aussi les règles de déontologie de la magistrature, obligeant juges et procureurs à respecter une stricte neutralité. Selon lui, « cette conduite pourrait être considérée comme une faute disciplinaire grave, susceptible de sanctions de la part du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ».
Sollicité par le « Nouvel Obs », Xavier Roseren confirme avoir alerté par courrier le CSM ainsi que le ministère de la Justice à propos de ces tracts distribués avant le premier tour par son adversaire. Il observe que sur les tracts suivants, toute photo en robe et toute mention de décoration ont opportunément disparu.
« Hyper-rigoureux »
Charles Prats, également sollicité par « le Nouvel Obs », réfute toute illégalité, se disant « hyper-rigoureux » sur ces questions et mettant surtout en avant un précédent : en 2022, alors candidat aux législatives sous la bannière de l’UDI, il avait déjà utilisé, au verso de son tract, cette même photo en robe. « Ma profession de foi avait alors été validée par la commission de propagande présidée par le tribunal de Bonneville », argumente-t-il.
De leur côté, ni le ministère de la Justice ni le CSM n’ont souhaité réagir à ces informations.
Au premier tour, dimanche dernier, dans la 6e circonscription de Haute-Savoie, Charles Prats est arrivé en tête du scrutin avec 36,21 % des voix, contre 34,68 % à Xavier Roseren. Les deux candidats seront face à face au second tour. Le candidat Place publique du Nouveau Front populaire, Alain Roubian (22,20 %), s’est en effet désisté.
Le document de propagande électorale du premier tour de Charles Prats.
Cette polémique électorale n’est pas anodine dans le monde de la magistrature. Elle soulève des questions légales mais aussi de déontologie. Par ailleurs, elle remet sur le devant de la scène un magistrat connu depuis plusieurs années pour son rôle politique et une vocation de « lanceur d’alerte » qu’il revendique. Charles Prats, investi pour ces élections législatives par le RN et les Républicains, également soutenu par Reconquête, comme il le précise sur son tract électoral, « était le magistrat de la délégation national à la lutte contre la fraude du gouvernement de Nicolas Sarkozy et François Fillon ». Il fut ensuite juge de la liberté et de la détention au Tribunal de Paris, avant d’être muté d’office à Orléans en avril 2023. Il est depuis le 4 juin 2024, selon un décret publié au journal officiel, « en position de disponibilité ».
« Un manquement à son devoir d’impartialité »
Entretemps, saisi par le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti après une enquête administrative, le Conseil supérieur de la magistrature avait, en janvier 2023, prononcé une sanction disciplinaire contre Charles Prats, lui reprochant d’avoir « manqué [à ses] devoirs » et porté « atteinte à l’image de la justice ».
En cause : les tweets dans lesquels il dénonçait « le totalitarisme climatique [qui] vous poursuivra jusque dans la mort » ou comparait les casseurs et antifas des cortèges de gilets jaunes à une « peste noire ». Le CSM considérait que ces prises de paroles pouvaient « faire naître un doute quant à sa neutralité » et pointait « un manquement à son devoir d’impartialité ».
Décidé à participer aux débats publics sans être encombré par sa robe de magistrat, Charles Prats avait décidé avant même cette sanction de demander sa mise en disponibilité pour trois ans. Le spécialiste de la fraude sociale, qui, par ses travaux, a déclenché trois enquêtes parlementaires et inspiré les programmes de plusieurs candidats de droite à la présidentielle avant de rejoindre le RN, estime à « 50 milliards d’euros » la seule fraude sociale en France. Professionnellement, lui-même a, à l’occasion de mise entre parenthèses de sa vie judiciaire, rejoint la société Resocom, qui revendique depuis sa création, une expertise « pionnière dans la lutte contre la fraude identitaire et documentaire (SIC) ».
Rudesse des campagnes
Charles Prats n’est pas le premier magistrat de l’ordre judiciaire à se lancer en politique. Avant lui, plusieurs ont connu la rudesse des campagnes : Jean-Louis Debré, magistrat, est entré au Palais Bourbon puis au Conseil constitutionnel. L’ancienne juge d’instruction Eva Joly est devenue députée européenne. L’ancien juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière s’était présenté aux législatives dans le Lot-et-Garonne. Le magistrat Jean-Pierre Michel, devenu député puis sénateur socialiste. Le juge Georges Fenech devenu député Les Républicains. Lors de la dernière législature, à l’Assemblée, siégeaient l’ancienne magistrate au pôle financier du tribunal de Paris, Laurence Vichnievsky et l’ancien juge Didier Paris.
Libertés publiques et RN : la grande bataille de l’Etat de droit
Aucun de ceux-là n’avait posé en robe sur ses tracts électoraux durant leurs campagnes. Ce ne fut pas le cas non plus de Jean-Paul Garraud, avocat général près la cour d’appel de Poitiers jusqu’en décembre 2018, aujourd’hui député européen du Rassemblement National et régulièrement cité aujourd’hui comme potentiel ministre de la Justice d’un gouvernement Bardella si celui-ci venait a été créé.