Chronique d’une déchirure : le témoignage d’un citoyen de confession juive face à la montée de l’antisémitisme

chronique d’une déchirure : le témoignage d’un citoyen de confession juive face à la montée de l’antisémitisme

«Avec la complicité des journalistes friands du buzz, les extrêmes viennent d'étouffer les voix raisonnables. Deux parties de la population ne sont plus réconciliables et on voudrait me faire choisir un camp.»

Nathan Arofe est chirurgien à l’APHP (Assistance Publique des Hôpitaux de Paris). Il est également l’auteur un blog de conseils et tutorat pour les externes en médecine.

En juillet 2014, j'ai commencé un bloc-notes que j'ai nommé «Faut-il partir ?». Je décidais alors de l'alimenter au fil du temps avec les différents faits divers inquiétants et titres choquants issus de la presse. Mon idée était que, lorsqu'on est pris dans l'actualité, on manque de recul. Quand je lis l'histoire du XXᵉ siècle, je me dis toujours : «Mais comment n’ont-ils rien vu venir ?». Cet événement aurait dû les réveiller et les faire fuir. De même, l'histoire de la guerre d'Algérie que m'ont transmise mes grands-parents m'a marqué. Ils vivaient des attentats quasi quotidiens mais sont restés. Il a fallu qu'ils

voient le danger en face. Mon grand-père maternel a pris l'avion le jour où un Algérien lui a juré sur le Coran qu'ils l'avaient manqué la première fois mais qu'il ne le manquerait pas la deuxième fois. Le «ils» désignant les terroristes qui avaient attaqué son magasin deux mois avant dans le souk de Constantine et lui avaient tiré une balle dans la tête à bout portant. Sa survie miraculeuse et la réouverture de son magasin étaient une histoire bien connue dans toute la ville. Ma grand-mère paternelle a pris le bateau après qu'une nuit d'émeutes, les manifestants étaient à deux doigts d'enfoncer la porte de leur appartement mais ont été arrêtés par leur voisin de palier arabe qui leur a assuré que celui-ci était vide et que la famille était partie. Mes quatre grands-parents avaient frôlé la mort pendant la guerre d'Algérie et seul le danger immédiat les avait fait partir. Mon carnet servirait donc de garde-fou. S'il se remplissait trop, c'est qu'il serait temps de quitter mon pays avant qu'il ne soit trop tard.

Le carnet commence par une coupure de presse d'une manifestation qui avait dégénéré rue de la Roquette. Une bande de jeunes, sous couvert d'une manifestation «pour la paix à Gaza», s'était mise à jeter des pierres sur la synagogue de la Roquette et à crier «Israël assassin» et «mort aux Juifs» dans la rue. Le plus choquant pour moi était qu'une partie des organisateurs d'extrême gauche avait un discours plein de tournures malsaines. Ils condamnaient l'antisémitisme mais aussitôt cherchaient à comprendre, atténuer, justifier les débordements par la gravité de ce qui se passait au Proche-Orient. Les interviews passaient à la télé, dans les journaux, alimentaient des débats ; il était donc devenu possible de crier «mort aux Juifs» dans la rue sans être fermement condamné par une partie de l'appareil politique.

Le carnet s'est bien rempli entre 2014 et 2017. L'attentat de Charlie Hebdo et l'Hypercacher, le Bataclan et les cafés du 11e, l'attentat au camion de Nice, le meurtre de Sarah Halimi, les procès de l'attentat de Toulouse, le film sur le gang des barbares. L'actualité en France n'a pas manqué d'horreurs. Des soldats de l'armée en vinrent à dormir pendant plusieurs mois à l'intérieur de la synagogue pour la protéger. La petite grille bleue de ma synagogue a été remplacée par un grand portail grillagé occultant et à l'épreuve des balles. J'ai créé alors une sous-partie à mon carnet pour noter ce qu'il se passait à Créteil, ma ville où j'ai grandi et où le slogan est «Vivre ensemble à Créteil» : viol d'un couple juif lors d'un cambriolage dans le quartier du lac sous prétexte qu'ils étaient juifs et donc riches, meurtre d'Alain Ghozland conseiller municipal et vice-président de notre communauté dans son appartement lors d'un cambriolage, tags antisémites à la sortie de ma fac suite à la nomination de Pierre Wolkenstein comme doyen, affiches jaunes placardées tout autour de l'université appelant au boycott des chercheurs et laboratoires sionistes.

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Puis soudain l'accalmie, heureux comme un jeune interne en chirurgie à Paris, j'ai peu à peu oublié l'existence de ce bloc-notes. Déménageant régulièrement d'un bout à l'autre de la région parisienne, vivant la plus grande partie du temps à l'hôpital, je ne pensais plus à avoir peur de devoir partir un jour et me préoccupais plus de ma formation chirurgicale. Il y eut certes le meurtre de Samuel Paty en 2020, mais celui-ci fut noyé dans l'actualité «Covid» et les confinements successifs.

Tout bascula le 8 octobre 2023 quand je découvris les horreurs des massacres du 7 octobre en Israël. Du jour au lendemain, des images atroces d'assassinats se mirent à circuler. On me partagea même l'image vidéo d'un terroriste jouant au football avec la tête d'une jeune femme, puis celle d'un bébé égorgé dans son berceau. Le soir, la tour Eiffel s'éclaira aux couleurs d'Israël mais déjà sur les plateaux télévisés, des voix antisémites issues de l'extrême gauche arrivaient à se faire entendre en France sur les médias nationaux. À peine un mois après, les actes antisémites avaient décuplé sur le territoire. Là, des croix gammées reliées à des étoiles de David par un signe égal, ici des enfants agressés à la sortie de l'école parce que portant une kippa, sur les réseaux sociaux un partage massif de slogans antisémites, dans une manifestation féministe on refusa la parole aux femmes juives voulant témoigner des viols commis le 7 octobre.

À tel point qu'une manifestation contre l'antisémitisme fut organisée en urgence. Mais là où les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hypercacher avaient réuni des millions de manifestants silencieux dans les rues, cette fois-ci, ce fut manipulé par les partis politiques. On ne parla pas du fond du problème mais de la forme. L'extrême droite voulait s'y montrer comme si un parti politique qui prône le nationalisme identitaire allait faire avancer la cause. L'extrême gauche refusa de participer pour des prétextes fallacieux, le président ne se présenta pas, voulant rester hors du débat.

Les voix pour la paix devinrent inaudibles, polluées par l'antisionisme virulent des partis d'extrême gauche. Les terroristes avaient gagné. L'engrenage conflictuel enclenché par leurs horreurs avait fermé la porte aux voix raisonnables et honnêtes. Les horreurs de la guerre ne sont pas acceptables pour notre société occidentale, une paix sans la libération de tous les otages et le maintien au pouvoir d'une organisation terroriste non plus. Le débat devint impossible. Je compris à la fin d'un repas avec des amis de longue date qu'un fossé nous séparait dans les idées et que je ne pouvais pas accepter leurs points de vue faussement humanistes. Le conflit qu'on le veuille ou non était importé et installé dans mon quotidien.

Ainsi, en quelques semaines, l'omniprésence du conflit dans les médias, les discours vicieux des extrêmes m'ont amené à une nouvelle réalité : je ne suis pas un Français de religion juive, je suis un Juif en France. Alors j'ai retrouvé mon carnet et je l'ai rouvert.

Et il y a eu de quoi le remplir en quelques semaines. Pas une journée ne s'est passée depuis le mois de décembre où les journaux n'ont pas parlé des Juifs, de l'antisémitisme galopant, une nouvelle obsession quotidienne des matinales à la radio, un marronnier quotidien pour les éditorialistes.

En janvier, ma synagogue a installé de nouvelles caméras et un sas de sécurité. La police monte de nouveau la garde chaque jour. En février, mon meilleur ami s'est fait agresser au couteau dans un café du 13e arrondissement. Son agresseur précisa qu'il l'avait choisi parce qu'il portait une casquette et avait l'air sioniste. En mars, la police recensait 366 actes antisémites en France depuis le début de l'année. En avril, des manifestants à Sciences Po refusent l'entrée d'une étudiante dans un amphi qu'ils occupent au motif qu'elle est juive et donc sioniste, pendant qu'à Harvard, un avion survole le campus arborant une bannière où était écrit en lettres rouges "Harvard hates Jews". Des slogans soutenant le terrorisme islamique sont brandis par des manifestants. Au cinéma joue le film : Le dernier juif d'Agnès Jaoui. En mai, la synagogue de Rouen est brûlée. En juin, une jeune fille de 12 ans est battue et violée par 3 garçons de son âge parce que juive.

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À chaque fois, les mêmes discours aberrants dans les médias, des politiques d'extrême gauche ne condamnant qu'à demi-mot et s'affichant aux côtés de personnalités qui osent soutenir publiquement le terrorisme sous le blanc-seing d'une pensée anticolonialiste. Combien de fois entend-on «mais le racisme antimusulman existe aussi» comme si celui-ci pouvait excuser l'antisémitisme. Puis, sur le plateau télévisé suivant, les voix opportunistes de l'extrême droite qui utilisent cette haine qui se déchaîne en France pour affirmer leur discours identitaire et raciste.

Le 9 juin, les voix raisonnables s'éteignent. Les électeurs français ont voté pour les extrêmes. Le président, à la stupéfaction de tous, les écoute et dissout l'assemblée. L'extrême gauche s'allie à la gauche à la stupéfaction de tous. Le président de la droite républicaine s'allie à l'extrême droite. Le parti présidentiel perd toute crédibilité. On se sent trahi. Partout, on nous impose un choix : l'extrême droite ou l'extrême gauche. La France se clive en deux. Une soirée d'anniversaire avec des amis de la faculté me fait comprendre la profondeur du clivage. Ce n'est pas juste à la télévision, la fracture est dans le quotidien.

Le lendemain matin, au marché, un homme avec une tabaa sur le front refuse de laisser passer mon grand-père, qui a sa casquette sur la tête et sa canne à la main, dans la queue. Il le pointe du doigt et dit : «Vous, je ne vous laisse pas passer. Si vous voulez passer, allez à une autre caisse. Moi, je ne laisse pas passer les gens comme vous.» Le gardien est obligé d'intervenir et nous protège jusqu'à la sortie du magasin.

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Au travail, mes chefs sont tous perdus. La recherche, l'enseignement, la chirurgie n'avancent qu'en présence d'un environnement sain. Notre système de santé publique et universelle est le fruit de la raison. J'écoute, sans donner mon avis, les débats qui naissent à table. Je partage simplement mon inquiétude. Je ne veux pas éveiller de débats, l'époque étant trop trouble. J'entends la voix du chef de service d'anesthésie, sidéré par la situation : face à l'extrême droite, l'abstention serait un crime ; la gauche doit se réconcilier avec les Juifs. J'entends ceux qui, comme à chaque époque, ont plus peur de l'extrême gauche que de l'extrême droite, et ceux qui n'ont plus peur de l'extrême droite et sont prêts à voter «pour essayer». Je relis Histoire d’un Allemand (Babel, 2000) de Haffner, Le Monde d'hier de Zweig et regarde le dernier épisode de la série La fièvre sur Canal + qui se termine sur la question de Kad Merad : «la guerre civile ?».

Avec la complicité des journalistes friands du buzz, les extrêmes viennent d'étouffer les voix raisonnables. Deux parties de la population ne sont plus réconciliables et on voudrait me faire choisir un camp.

Je compte les pages de mon carnet. Dois-je en commencer un deuxième ou faire mes valises ?

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