Pétrole: en faisant fondre le permafrost, deux oléoducs laissent craindre un désastre environnemental

Conduite métallique (illustration).

En réchauffant le permafrost chinois, le pétrole brut transporté depuis la Russie par les oléoducs parallèles CRCOP I et II – principalement souterrains – pourrait déclencher une catastrophe environnementale dans la région, alerte une nouvelle étude.

L'Amour ne connaît pas de frontière, dit-on. Pourtant, après avoir pris sa source en Mongolie, ce fleuve marque bien la frontière entre la Russie au nord, et la Chine au sud. Au moins deux "artères", toutefois, le traversent. Véhiculant un "sang" noir. Il s'agit de CRCOP (China–Russia Crude Oil Pipeline) I et II, deux oléoducs parallèles dont la capacité annuelle atteint 30 millions de tonnes de pétrole brut.

Sur les quelque 1 030 kilomètres de leur parcours – en grande partie souterrain –, 441 km et 512 km correspondent respectivement à du permafrost (ou pergélisol), c'est-à-dire à un sol gelé en permanence pendant deux ans ou plus, et à de la terre gelée de manière saisonnière. Pour que le brut ne gèle pas, il faut donc chauffer.

Or, d'après les auteurs d'une étude (Kai Gao et al., 2024) relayée par le South China Morning Post (30 juin), le sol autour des conduites se réchauffe également. En faisant fondre la glace, ces dernières s'enfoncent ainsi de 0,2 à 0,45 mètre par an, ont calculé ces chercheurs de l'Académie chinoise des sciences et d'autres instituts de recherche du pays.

Possibles déversements de pétrole

Pour mener à bien leur recherche, les scientifiques se sont placés à mi-chemin du trajet des oléoducs, dans le district de Jagdaqi (nord de la Chine). Leur site de surveillance se trouvait ainsi à la limite sud du pergélisol – et qui plus est, à 600 m d'une station de pompage, où la pression et la température du pétrole dans les oléoducs sont contrôlées et ajustées.

À l'aide de mesures de la température du sol au niveau de forages expérimentaux (2014 à 2017) et de celle du pétrole en sortie de station de pompage (2011 à 2022) ainsi que d'observations par drone, ils ont mis en évidence un défaut d'isolation. Lequel a entraîné une expansion du "talik" – une couche de sol non gelé toute l'année au sein du permafrost – ainsi qu'une accumulation d'eau formant des mares.

"En tant que source de chaleur persistante, (le double oléoduc) libère continuellement de la chaleur dans le pergélisol environnant, ce qui entraîne le dégel du pergélisol, l'affaissement de la surface, la formation de mares en surface, le tassement des conduites, d'éventuelles défaillances ou des déversements de pétrole, et peut-être de futures catastrophes environnementales", soulignent-ils.

La région Amour-Heilong, à travers laquelle passent les oléoducs, constitue l'habitat essentiel de certaines espèces sauvages en danger critique d'extinction, comme le tigre de Sibérie et le léopard de l’Amour (WWF). Les forêts anciennes de feuillus et de conifères accueillent par ailleurs des porte-muscs de Sibérie et des ours bruns, tandis que les zones humides de la région offrent un refuge important aux oiseaux migrateurs, tels que les cigognes orientales et les grues du Japon.

Une aggravation des risques à prévoir

Si le permafrost représente environ le quart des terres émergées dans le monde, jouant un rôle clé en tant que réserve de glace et dans le maintien des écosystèmes des régions arctiques, celui du nord-est de la Chine "présente une faible stabilité thermique en raison de la température relativement élevée du sol, de sa faible épaisseur et de sa faible continuité. De ce fait, il est facilement affecté par les changements des conditions environnementales", notent les chercheurs. Et d'alerter :

La construction des pipelines, la température élevée du pétrole et le dégel du pergélisol ont entraîné l'apparition de géorisques qui pourraient s'aggraver sous l'influence des incendies, du réchauffement climatique et des activités humaines.

De futurs projets pourraient encore renforcer les inquiétudes environnementales, ajoutent nos confrères du South China Morning Post. La Russie est en effet en pourparlers depuis plusieurs années pour construire un nouveau gazoduc, le "Power of Siberia 2", qui transporterait du gaz naturel (et potentiellement du pétrole dans un oléoduc parallèle) vers la Chine, via… la Mongolie. Pays qui a déjà perdu le tiers de sa surface de permafrost, à cause du changement climatique.