« Restons calmes, nous ne sommes plus dans les années 1930 ! » Vraiment ?
«Ã‚ Restons calmes, nous ne sommes plus dans les années 1930 ! » Vraiment ?
Les résultats d’hier soir ont – malheureusement – confirmé, s’il en était besoin, que le risque d’une majorité absolue et d’un gouvernement RN était tout à fait sérieux. Dans une telle perspective, plusieurs ami·e·s dont j’estime la culture et l’intelligence cherchent à me convaincre que mes alarmes sont excessives (ils ont généralement aussi une peau pas trop sombre et un nom qui ne fleure pas une origine musulmane).
Pour elles et eux, ces gens d’extrême droite sont certes des adversaires politiques sur à peu près tous les sujets essentiels « mais nous ne sommes plus dans les années 1930 ». S’ils arrivent au pouvoir nous ne risquons plus vraiment l’huile de ricin et les camps de concentration. Il n’y a qu’à voir comment cela se passe en Italie, en Hongrie ou hier en Pologne, ajoutent-ils le plus souvent : le pouvoir de l’extrême droite est dur, illibéral, réactionnaire mais pas vraiment dictatorial. D’ailleurs le PiS polonais vient d’être battu dans des élections.
Je redoute fort qu’ils et elles se trompent et que la situation dégénère beaucoup plus rapidement et gravement en France qu’ailleurs si l’extrême droite arrive au pouvoir dans l’Hexagone.
En Hongrie et en Pologne, l’extrême droite refuse certes toute immigration et entend, comme en France, défendre l’« Europe chrétienne » face à un supposé risque d’islamisation. Mais il y a une différence essentielle entre ces pays et le nôtre : ils n’ont quasiment aucuns immigrés ou descendants d’immigré·e·s originaires de pays musulmans sur leur sol actuellement.
Quant à l’Italie, c’est un pays d’immigration récente qui a encore très peu de descendants d’immigrés parmi sa population. De plus, c’est depuis l’origine un pays très décentralisé où la société civile est structurée et puissante. Et son système politique, fondé pour l’instant sur le scrutin proportionnel, inclut de multiples contre-pouvoirs.
La spécificité de la France
En France en revanche, notre problème n’est pas tant celui de l’immigration en tant que telle, qui est restée très limitée depuis de nombreuses années, que celui des difficultés d’intégration de nombreux·ses descendant·e·s des immigré·e·s du passé. Ils et elles sont Français·es pour la grande majorité d’entre elles et eux mais toujours relégué·e·s géographiquement dans des quartiers périphériques des grandes villes, subissant en permanence des discriminations majeures dans le logement ou l’emploi. Ils et elles sont aussi victimes d’un harcèlement policier constant. Et comme l’ont montré les émeutes de l’année dernière, après bien d’autres événements du même type, cela crée une situation d’ores et déjà explosive dans de nombreux quartiers des villes françaises.
Par ailleurs la France est et reste un pays centralisé où les politiques impulsées depuis Paris ont un impact massif et rapide sur tout le territoire via notamment les préfets et les diverses structures de l’appareil d’Etat. Et il serait parfaitement illusoire de miser sur la haute fonction publique pour freiner ou résister à des politiques d’extrême droite : elle ira à la soupe comme elle le fait toujours.
De plus, notre système politique, celui de la Ve République, est caractérisé depuis sa création par une puissance excessive de l’exécutif et une grande faiblesse des contre-pouvoirs. Ces pouvoirs exorbitants de l’exécutif ont encore été renforcés depuis dix ans par la multiplication des législations d’exception imprudemment adoptées après chaque attentat.
Un seul contre-pouvoir
Le seul contre-pouvoir potentiel réel serait celui du président de la République. Mais rien n’indique que celui-ci soit particulièrement attaché à défendre les libertés publiques. Toute sa pratique depuis sept ans a tendu plutôt à démontrer l’inverse. Et à supposer qu’il le veuille désormais, il est tellement déconsidéré qu’il ne disposerait d’aucune autorité et capacité réelles pour le faire.
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Il ne faut pas oublier bien sûr la domination sans partage des moyens publics d’information qu’acquerrait rapidement l’extrême droite, celle du secteur privé étant d’ores et déjà acquise grâce notamment à l’action de Vincent Bolloré. Enfin un exécutif d’extrême droite disposerait également de l’appui immédiat et enthousiaste de l’appareil policier qui lui est acquis de longue date pour mettre en œuvre avec zèle et rapidité des politiques xénophobes et liberticides.
Bref le risque me paraît très sérieux que la situation dégénère rapidement en France, notamment autour de la problématique des banlieues et du traitement discriminatoire non seulement des immigrés à proprement parler mais aussi, et surtout, des Français·es descendant·e·s d’immigré·e·s, comme l’a déjà illustré la polémique lancée par le RN au sujet de la double nationalité. Une France gouvernée par l’extrême droite serait en réalité bien davantage une poudrière que l’Italie, la Hongrie ou la Pologne.
J’espère cependant me tromper et que ce sont mes ami·e·s qui estiment tous ces risques limités qui ont raison. Mais le meilleur moyen de ne pas avoir à le vérifier reste encore que chacun et chacune d’entre nous fasse ce qu’il faut cette semaine pour éviter une victoire de l’extrême droite le 7 juillet…