Le scandale de la passerelle sans vue : un village hongrois symbole du gaspillage des fonds européens

La passerelle auvent est visible à l'extérieur du village de Nyirmartonfalva à environ 1 km à l'ouest de la capitale hongroise Budapest

Dans un village hongrois, une passerelle financée par des fonds européens devient le symbole des abus de pouvoir et de détournements de fonds qui gangrènent le système politique du pays.

Elle devait surplomber une forêt verdoyante, elle donne au final sur un morne terrain : dans un village de Hongrie, une passerelle suspendue financée par des fonds européens est devenue emblématique de la corruption.

Ce pays d'Europe centrale, qui prend lundi la présidence tournante de l'UE, est accusé par Bruxelles de détourner une partie de l'argent reçu au profit du cercle proche du Premier ministre Viktor Orban ou de son parti Fidesz.

À Nyirmartonfalva, une commune de quelque 2 000 habitants située près de la frontière avec la Roumanie, l'ouvrage en bois de 80 mètres de long n'accueille guère de promeneurs.

En revanche, il a vu ces derniers mois se succéder journalistes, membres de l'opposition et autres détracteurs du "système Orban".

Ce pont qui ne mène à rien, "c'est une incarnation saisissante du processus à l'œuvre depuis plus d'une décennie en Hongrie, où les fonds de l'UE sont volés et dilapidés", commente pour l'AFP Akos Hadhazy, un député indépendant connu pour sa croisade contre la corruption.

Tarifs excessifs et favoritisme

"Quelle vue !", ironisait en janvier au cours d'une visite le médiatique ambassadeur des États-Unis en Hongrie, David Pressman, qui appelle régulièrement à "combattre la corruption", à "l'effet corrosif sur la démocratie".

Élu avec le soutien du Fidesz, le maire Mihaly Filemon s'est vu octroyer en 2021 une subvention de 64 millions de forints (environ 160 000 euros) pour construire cette passerelle sur son propre terrain.

Mais face à la hausse des prix du secteur du BTP, il a décidé d'abattre les arbres et d'investir l'argent récolté dans les travaux.

Le scandale, révélé l'an dernier par le site d'investigation Atlatszo, a conduit à une enquête de l'Autorité d'intégrité, mise en place fin 2022 par le gouvernement sous la pression de l'UE pour mieux contrôler l'usage des fonds.

Les aides promises ont été retirées dans la foulée et une action judiciaire a été engagée à l'encontre du programme de développement rural géré par l'État, qui a supervisé cette passerelle et d'autres projets similaires.

De graves irrégularités (collusion, tarifs excessifs et favoritisme) ont été mises au jour.

Sur place, Filemon se défend, assurant que cette affaire lui a coûté son poste aux élections municipales du 9 juin et lui a fait perdre beaucoup de sous.

Et comment pouvait-il savoir qu'il n'aurait pas dû faire table rase ? L'appel d'offres ne précisait pas la taille minimale des arbres.

"Nous n'avions pas besoin d'une forêt ici et puis tout cela va vite grandir", s'emporte-t-il en montrant les jeunes pousses sur le site.

Dans le village, l'ambiance est délétère et "on refuse encore de me saluer", raconte le retraité Zoltan Palfy, le premier à avoir donné l'alerte.

Fonds détournés et scandales enterrés

Si le député Hadhazy se réjouit des résultats obtenus dans ce cas, il souligne que "seules les affaires exceptionnelles de corruption sont portées devant les tribunaux en Hongrie", les nombreuses autres étant enfouies "sous la machine de propagande".

Quant à l'Autorité d'intégrité, "c'est une organisation de façade" qui manque de réels moyens légaux pour remplir sa mission, estime-t-il.

Son président Ferenc Biro lui-même a réclamé une extension des pouvoirs de l'institution. "Il est urgent que nous puissions enquêter de manière indépendante et imposer des sanctions", a-t-il dit à l'AFP.

La corruption est devenue endémique en Hongrie, désormais dernière du classement de l'ONG Transparency International parmi les Vingt-Sept.

Depuis le retour au pouvoir en 2010 de Viktor Orban, ses proches se sont spectaculairement enrichis, de son ami d'enfance Lorinc Meszaros à son gendre Istvan Tiborcz qui contrôle désormais de larges pans de l'économie.

Devant les craintes de détournement, l'UE a décidé de bloquer des milliards d'euros de fonds réservés à Budapest.

Le gouvernement hongrois balaie des accusations "politiques" et organise sa riposte.

Une enquête vient d'être ouverte contre les deux principaux pourfendeurs de la corruption dans le pays : le média Atlatszo et l'antenne hongroise de Transparency.

Ils sont dans le viseur du nouveau "bureau de protection de la souveraineté", vu par Bruxelles et Washington comme un outil de plus pour faire taire les voix critiques.