Y a-t-il encore des gens qui payent pour utiliser des jumelles touristiques ?
Ces télescopes panoramiques que l’on trouve souvent sur le littoral ont tendance à disparaître du paysage
Mer en vue – Ces télescopes panoramiques que l’on trouve souvent sur le littoral ont tendance à disparaître du paysage
Ils font partie de notre paysage depuis des décennies et s’érigent comme un marqueur des vieux sites touristiques. Un brin désuets, ils trônent tantôt face à la mer, tantôt face à la montagne ou parfois même aux abords d’un précipice. Vont-ils tomber ? Pas impossible. Aujourd’hui, ils souffrent terriblement et sont clairement menacés de disparition, sans que personne ne s’en émeuve. Qui ? Les télescopes panoramiques, évidemment ! Ces jumelles que la France, et même une bonne partie du monde, connaît depuis sa tendre enfance sont en réel danger. La raison ? Plus grand monde n’ose y glisser une pièce d’un ou deux euros pour une minute ou deux de plaisir. Derrière ces machines, il y a pourtant une véritable histoire que 20 Minutes va vous raconter.
La légende raconte que c’est un certain monsieur Winkles qui avait eu l’idée, dans les années 1960, d’équiper le littoral européen de longues-vues touristiques permettant à tous les visiteurs du dimanche non équipés de jumelles d’observer les bateaux ou la faune sauvage. L’homme avait alors lancé sa société, proposant aux municipalités de leur installer un télescope sans qu’elle n’ait un centime à débourser, pouvant même percevoir une petite redevance. Pour se rémunérer, son entreprise installait des monnayeurs sur chacun des appareils, obligeant les touristes à payer 1 ou 2 francs pour profiter de la vue.
« Papa, t’aurais pas un euro »
Soixante ans plus tard, c’est en euros que les visiteurs doivent payer. Le font-ils encore ? « De moins en moins, il faut le reconnaître mais ça dépend des endroits. Les télescopes ont un côté désuet et archaïque mais ils continuent de servir. Ils font partie du paysage », assure Mélanie Juanola, responsable de la société Wika-Dimo qui en exploite quelques petites centaines en France.
Pour vérifier ses dires, nous avons marché sur les remparts de Saint-Malo, où l’on trouve encore une dizaine de télescopes de différentes formes. Ici, une concession entre la ville et la société a longtemps existé mais n’a jamais été renouvelée. Qu’importe le contrat, les jumelles sont toujours là. Et en cette journée ensoleillée, force est de constater que tous les enfants qui passent ne peuvent s’empêcher de grimper sur le marchepied, avant de se tourner vers leurs parents pour supplier. « Papa, t’aurais pas un euro. » Vous connaissez la réponse. « Si, c’était gratuit, je leur aurais dit oui ! Moi, je l’ai fait quand j’étais gamin et j’en garde un bon souvenir. Mais je trouve ça cher. Payer un ou deux euros juste pour regarder, c’est un peu exagéré », témoigne Laurent, qui a tenu bon face à ses enfants.
A Saint-Malo, une dizaine de longues-vues sont installées sur les remparts, permettant à ceux qui acceptent de payer de profiter de jumelles pendant un temps très court. – C. Allain/20 Minutes
Morgane n’a pas eu la même force. « Une mère trop permissive », taquine son mari. Pour faire plaisir à son fils Antoine, la gentille maman a glissé un euro dans la fente pour offrir une minute de plaisir au garçon. La question nous brûle les lèvres. Mais qu’a-t-il vu ? « J’ai regardé les gens qui faisaient du kayak, les îles et les immeubles d’en face [les villas de Dinard]. J’ai bien aimé mais c’est passé vite. » Sa mère a jeté un œil aussi. « Franchement, plus personne ne paye, si ? Je suis peut-être la seule. »
Pas tout à fait. « On a clairement des sites qui ne marchent pas, je ne vais pas le nier. Mais ceux de la tour Eiffel, ils cartonnent ! », assure la responsable de la société Wika-Dimo, tout en reconnaissant que l’âge d’or de ses machines est sans doute passé. Il y a cinq ans, son entreprise basée en Alsace exploitait 300 télescopes mais le chiffre fond d’année en année. « On a parfois des conseils départementaux ou régionaux qui nous demandent de les retirer. Parfois, on les enlève parce qu’ils ne sont plus rentables. » En interrogeant des touristes anglais et américains, on a appris que, chez eux aussi, les télescopes disparaissaient.
Et quand la machine ne fonctionne pas ?
La question qui nous taraude, c’est de savoir combien de pièces tombent dans la tirelire des appareils qui restent ? On ne le saura pas, pour des raisons de sécurité. Nous apprendrons simplement que pour être « rentables », les appareils doivent rapporter 1.200 euros par an. Soit trois clients par jour en gros. « Sur la tour Eiffel, on fait plus de cinq fois ça », glisse-t-elle.
Maxence et Léana sont de véritables héros. En appuyant sur un bouton, ils ont réussi à déverrouiller les jumelles, profitant gratuitement de ce télescope installé sur les remparts de Saint-Malo. – C. Allain/20 Minutes
Ça, c’est pour les appareils qui fonctionnent. Car pour un certain nombre d’entre eux, la mécanique peut parfois s’enrayer, générant la colère de ceux qui viennent de perdre un euro pour rien. C’est le cas de Philippe et Gabrielle, qui ont fini par céder en glissant un euro dans le monnayeur d’une belle longue-vue de corsaire posée sur les remparts. « On a eu une belle crise tout à l’heure parce que les enfants voulaient s’arrêter à chaque jumelle. Ils jouent aux pirates, ils rigolent. On a fini par céder. » Le hic, c’est que celle-ci ne fonctionne pas. « Déjà que je trouvais ça cher… », grommelle Gabrielle. La société qui les exploite invite pourtant ses clients à les appeler afin de signaler tout dysfonctionnement et proposer un dédommagement. « Nous répondons toujours et nous envoyons des techniciens qui font la maintenance », promet Mélanie Juanola.
« J’ai juste appuyé sur le bouton et ça a marché »
Il y a aussi des bons côtés aux dysfonctionnements. A force de trifouiller une paire de jumelles, Maxence a réussi à les déverrouiller. Et sans les violenter, précisons-le « C’était tout noir. J’ai juste appuyé sur le bouton en or, là. Et ça marche, regarde. » Grâce à l’obstination de ce garçon de 11 ans, j’ai pu pour la première fois profiter de cette expérience que j’ai tant réclamée (mes parents n’avaient jamais cédé, je crois). Et ainsi observer les marcheurs se rendant sur le Grand Bé et les cormorans en train de se sécher. Un moment sympa, avouons-le. « C’est vraiment chouette qu’ils puissent en profiter plus longtemps sans être coupés au bout d’une minute. C’est un peu le but des jumelles, non ? », se réjouit son père, pas peu fier de voir son fiston dompter la machine à sous.
Cet avis est partagé par Bernard Fernandez. Propriétaire de la société Visimaxi, l’homme travaille depuis plus de trente ans dans le domaine. A le croire, il aurait installé des longues-vues un peu partout en France et dans le monde. Il a, aujourd’hui encore, des demandes de collectivités ou de musées qui veulent s’équiper. Mais en général, ce sont des modèles sans monnayeur. « Parce que ça ne rapporte pas grand-chose. Franchement, je ne le recommande pas. Pour moi, les jumelles doivent être contemplatives, elles doivent permettre de se poser pour bien regarder, pour chercher », assure le professionnel. Pour conclure, on peut préciser que ces équipements ont un coût non négligeable. Comptez au moins 5.000 euros pour un modèle posé sur pied. A ce prix-là, il va falloir avaler quelques pièces pour le rentabiliser.
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