«Le corps part, mais sa mémoire reste» : émotion lors de l’hommage à Robert Badinter place Vendôme

Lorsque midi sonne ce mercredi, la place Vendôme plonge dans le silence. Apparaît le cercueil, recouvert d’un drapeau français, porté par la garde républicaine. Robert Badinter, disparu dans la nuit du 8 au 9 février, sort une dernière fois de ce ministère de la Justice qu’il occupa comme garde des Sceaux de 1981 à 1986. Le lieu de ce dernier hommage national, où a été dressé un immense portrait de l’ancien ministre, est inhabituel. Les Invalides, choisies de coutume pour les hommages nationaux, ont été cette fois-ci délaissées, symbole oblige.

Quelque 600 invités, personnalités politiques ou proches du célèbre avocat, ont été conviés. L’ancien président François Hollande, l’avocat Richard Malka, auteur d’une bande dessinée sur l’histoire de la famille Badinter, le philosophe Alain Finkielkraut, qui confie être là avant tout «pour Elisabeth» (Badinter, la philosophe épouse du défunt, NDLR), ou encore l’ancien ministre de la culture Jack Lang, qui nous confie son «émotion». Le député MoDem Jean-Louis Bourlanges se dit aussi «profondément ému». «Nous avions avec Robert Badinter une relation personnelle assez forte», confie celui qui déjeunait avec le défunt deux mois plus tôt et salue, un sourire triste aux lèvres, ce «collègue extraordinaire, bourré d’anecdotes», qui «passait de l’extrême gravité à l’humour».

Les députés LFI Éric Coquerel et Caroline Fiat sont aussi présents, volontairement discrets. Car la famille a fait savoir qu’elle ne souhaitait ni du Rassemblement national, ni de la France insoumise. «Je suis président de la commission des Finances, je viens aussi pour mon institution», se justifie le premier avant de se faufiler muni de son carton.

De l’homosexualité à l’antisémitisme

De l’autre côté de la place Vendôme, un public de tous âges se presse sous une pluie fine. Parmi eux, de nombreux anciens magistrats ou avocats, comme Jean, qui avait 20 ans lorsque Robert Badinter prononça sa célèbre plaidoirie contre la peine de mort à l’Assemblée nationale, en 1981. «C’était un moment puissant», se remémore-t-il, un brin nostalgique au souvenir de cet orateur qu’il estime «bien au-dessus» des hommes politiques qu’il a côtoyés.

«le corps part, mais sa mémoire reste» : émotion lors de l’hommage à robert badinter place vendôme
«le corps part, mais sa mémoire reste» : émotion lors de l’hommage à robert badinter place vendôme

Anne, d’origine américaine, ne retient pas seulement de l’ex-ministre de la Justice son combat pour l’abolition. «Ce n’est pas ce que j’admire le plus chez lui», explique celle qui a grandi aux États-Unis, où la peine de mort est encore appliquée. «J’aime sa pensée universelle, sa capacité de se poser des questions, de remettre en doute». D’autres évoquent son combat pour la dépénalisation de l’homosexualité. D’autres encore, la lutte contre l’antisémitisme portée par le brillant avocat, dont le père a été arrêté lors d’une rafle à Lyon et assassiné dans un camp d’extermination en Pologne. «Quand une partie de votre famille a brûlé à Auschwitz, vous vous devez d’être là», se justifie Paul, 87 ans, lorsqu’on lui demande la raison de sa présence. «Ma présence ne compte pour personne, mais pour moi, énormément», assure le parisien appuyé sur sa canne. Dans la foule apparaissent quelques kippas. Le grand Rabbin de France, Haïm Korsia, est également présent sous la tente des VIP.

Des plus jeunes ont aussi tenu à être présents, par admiration pour cet homme qu’ils ont étudié en cours, entendu sur les ondes ou lu par ses œuvres. Sabrina, 18 ans, est arrivée deux heures en avance la place Vendôme. «C’est lui qui m’a donné envie de choisir l’avocature», confie l’étudiante en droit à La Sorbonne. Dès 13 ans, elle a commencé de lire les livres du célèbre avocat. Elle se souvient notamment de L’exécution ou de sa célèbre plaidoirie sur la peine de mort. « C’est ce qui m’a inspirée», affirme-t-elle. «Lui a fait une double licence de Lettres en plus du droit, moi j’ai choisi de faire la même chose avec la philo.» Pour suivre ses pas.

«Un legs»

Sur la place où est déposé le cercueil résonne la 7ème symphonie de Beethoven. Sur l’écran géant , des photographies de Robert Badinter

défilent, retraçant les grands moments sa vie. Retentit dans les haut-parleurs un extrait de La Grande Librairie, lorsque Bernard Pivot demandait à Badinter ce qu’il souhaiterait entendre de Dieu le jour de sa mort. C’était en 1995. Après un temps d’hésitation, le défenseur de l’abolition avait répondu : «Tu as fait ce que tu as pu. Entre.»

Le silence est encore prégnant lorsqu’Emmanuel Macron prend la parole. «Robert Badinter. La République faite homme. La vie contre la mort», clame le chef de l’État devant la foule émue. «Les morts nous écoutent. Robert Badinter, vous nous écoutez désormais et vous nous regardez. Conscience morale que rien n’efface, pas même la mort. Et vous nous quittez au moment où vos vieux adversaires, l’oubli et la haine, semblent comme s’avancer à nouveau. Vos idéaux, nos idéaux sont menacés, met en garde le président. Alors je fais le serment d’être fidèle à vos serments et votre engagement.»

«le corps part, mais sa mémoire reste» : émotion lors de l’hommage à robert badinter place vendôme

La parole présidentielle est suivie de longs applaudissements. Des mots «justes», salue Françoise, 65 ans, un propos d’une «sobriété qu’il aurait voulue», renchérit Samuel, 25 ans, doctorant qui a correspondu avec Robert Badinter. «Le président n’a pas cherché à tirer d’idéologie, ou ne s’est pas emparé d’une vie qui n’est pas la sienne. Je lui en sais gré», souligne-t-il. «C’était difficile d’évoquer la totalité d’une vie si dense. Mais l’essentiel a été dit», conclut Florent, réajustant sa veste en tweed.

«C’est un chagrin que de perdre un repère», confie Françoise. «Badinter nous oblige. Il nous exhorte à lutter pour la paix, la fraternité – et par les temps qui courent, c’est plus que jamais nécessaire», souffle la sexagénaire. À ses côtés, Jade, 27 ans, pleure cette «belle figure de la gauche». Mais la jeune socialiste refuse de parler de perte. «C’est un legs. Un héritage. Le corps part, mais sa mémoire reste.»

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