L’hémicycle bleu du Parlement européen à Strasbourg accueille les eurodéputés lors des sessions plénières.
Les citoyens vont élire leurs eurodéputés du 6 au 9 juin. Pour Sylvain Kahn, chercheur au Centre d’histoire de Sciences Po, ce scrutin démontre bien que les Européens font société.
Les élections européennes auront lieu du 6 au 9 juin 2024. 360 millions de citoyens sont appelés aux urnes pour donner leur voix directement en élisant leurs représentants directs.
Occasion pour Ouest-France de demander ce que représente ce parlement au sein des institutions européennes à Sylvain Kahn, professeur à Sciences Po et chercheur au Centre d’histoire de Sciences Po, ainsi que coauteur du livre Le pays des Européens (Odile Jacob).
Pourquoi les élections européennes sont-elles importantes ?
Car le Parlement européen est vraiment colégislateur, comme l’Assemblée nationale en France. Les lois européennes portent sur l’intelligence artificielle, le numérique, l’utilisation des organismes génétiquement modifiés dans l’alimentation, la santé du consommateur… Donc autant peser sur ces décisions en votant pour les familles politiques dont on se sent le plus proche.
C’est l’un des rares moments où les Européens s’expriment tous ensemble…
Oui, on prend conscience que les Européens forment société. Dans le Parlement européen, il y a sept groupes parlementaires, moins qu’à l’Assemblée nationale ou au Sénat en France. Or, ils regroupent près de 260 partis politiques nationaux. Il existe vraiment une société politique et idéologique européenne. Portugais et Estoniens sont vraiment très éloignés les uns des autres, en termes de mode de vie, de culture, etc. Mais leurs partis sont suffisamment proches pour être dans les mêmes familles politiques.
Lire aussi : Les élections européennes 2024, comment ça marche ? Mode d’emploi
La construction européenne est le fruit d’un mélange entre les intérêts des États et ceux des citoyens…
L’Union européenne est une association fédérale d’États nations souverains. C’est un compromis qui correspond à ce que sont les Européens. Notre démocratie s’est construite sur l’idée que le peuple, c’est la communauté nationale. Notamment depuis 1789 et la Révolution française : la démocratie, c’est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Et le peuple reste aujourd’hui la communauté nationale. Quand les Européens ont décidé de fabriquer une société politique à l’échelle européenne, ils ont construit la démocratie à l’échelle des États. Le Conseil de l’Union européenne est une forme de chambre des États, avec vingt-sept représentants. Il vote les lois à parité dans de nombreux domaines avec le Parlement européen qui représente les citoyens avec des députés élus au suffrage universel. En Europe, les gouvernements sont eux-mêmes la résultante d’une majorité parlementaire.
La force du Parlement européen : son indépendance
Faut-il donner plus de pouvoirs au Parlement européen ?
Avoir une chambre des gouvernements au côté d’une chambre des citoyens, le Parlement européen, c’est le sens de notre Histoire. Le contraire eût été surprenant. Faut-il plus de pouvoirs pour le Parlement européen et moins de pouvoirs au parlement des États ? Je ne le pense pas, mais il devrait être aussi compétent que le Conseil de l’UE dans tous les domaines, même la fiscalité. Il y a des espèces de résidus de cette époque où on considérait que souveraineté et démocratie ne pouvaient être que du ressort des gouvernements nationaux. C’est pour ça que le Conseil a le dernier mot.
Le Parlement européen ne peut pas vraiment décider non plus du budget. Or, en démocratie représentative, il y a ce vieil adage inventé par les Anglais, berceau du parlementarisme, qui dit « no Taxation without presentation » . Pour lever l’impôt, il faut le consentement du peuple et donc de ses représentants.
Quels sont les pouvoirs les plus importants du Parlement européen ?
La manière dont il contrôle l’exécutif, la Commission européenne, notamment avec les auditions des futurs commissaires. Le Parlement européen, si on le compare aux vingt-sept parlements nationaux, est finalement la Chambre la plus indépendante et qui exerce le plus son pouvoir de contrôle. Pas parce que les parlementaires européens sont plus vertueux. Il n’y a pas cette interdépendance très forte qu’on voit au niveau national entre la majorité parlementaire et les dirigeants du gouvernement national, qui sont en général également les dirigeants du parti majoritaire. Ce lien existe beaucoup moins dans le système politique européen.
Si la Commission européenne est investie par le Parlement et peut être destituée par lui, elle n’est absolument pas en capacité d’influencer la composition des listes des futurs élus au Parlement européen. Les eurodéputés sont également très indépendants par rapport aux gouvernements nationaux et éloignés de la vie politique nationale. Ces raisons fonctionnelles font que les parlementaires européens sont très concentrés sur leur tâche. En plus, élément assez inconnu dans les parlements nationaux, tous les parlementaires européens ont le même poids dans l’hémicycle.
Le Parlement européen a un côté peut-être moins connu, mais il se rapproche beaucoup de l’idéal type du Parlement dans une démocratie représentative.
Le Parlement européen devrait donc peser plus dans le triangle institutionnel puisqu’il représente les 450 millions de citoyens, alors que les chefs d’État et de gouvernement ne représentent que la majorité politique au sein de leur pays…
Certes, mais c’est sans doute une des raisons pour lesquelles il y a beaucoup d’abstention. Les électeurs ont bien compris qu’il y a un décalage entre la fonction d’eurodéputé élu au suffrage universel et les pouvoirs qui sont les siens. Il n’a pas l’initiative de la loi ou le dernier mot sur le budget. Mais là, c’est encore un autre sujet. On a donné à la Commission européenne depuis 1957 le monopole de l’initiative législative pour avoir une institution totalement indépendante d’un point de vue supranational et qui est l’émanation de l’intérêt général européen de manière sûre et certaine.
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