Après le «harcèlement» subi par Julian Alaphilippe : «Un coureur cycliste ne doit pas être considéré autrement qu’un salarié»

Julian Alaphilippe (à gauche) et le directeur de son équipe, Patrick Lefévère (à droite), en conférence de presse, ce jeudi à Gand.

Une énième attaque, celle de «trop». «Trop de fêtes, trop d’alcool… Julian est sérieusement sous le charme de Marion [Rousse]. Peut-être trop.» Les propos, signés du manager belge de l’équipe cycliste Soudal-Quick Step Patrick Lefévère dans l’hebdomadaire flamand Humo, visent son coureur Julian Alaphilippe et sa compagne, Marion Rousse, directrice du Tour de France femmes.

Depuis des mois, Lefévère pressurise son double champion du monde. Il coûterait trop cher, pour des résultats médiocres. Pourtant habitué des déclarations du père Fouettard du vélo belge, la sortie a électrisé le petit milieu du cyclisme. Dans l’Equipe, ce jeudi 22 février, le manager a dans un premier temps reculé : «J’ai tout à fait débordé, je suis désolé.» Avant d’enfoncer le clou : «J’ai dit que je voulais qu’il change de comportement. Que Mme Marion se sente attaquée dans sa vie privée, c’est son problème. J’ai dit que c’était bien qu’elle soit là pour l’aider, mais de temps en temps, il faut lui lâcher la laisse. Je peux encore dire ce que je veux, je le paye moi, et très bien.»

Mysogynie grossière, vie privée étalée, pression médiatique constante et, in fine, pour Pascal Chanteur, président de l’Union nationale des cyclistes professionnels, du harcèlement. Une situation peu commune selon lui. S’il arrive au syndicat d’être approché par des coureurs pour des «contentieux» avec leur équipe, son président certifie que le harcèlement moral n’est pas fréquent dans le monde du vélo.

En réaction aux propos de Patrick Lefévère, vous avez réagi en parlant de «harcèlement». C’est un terme que l’on rencontre peu, dans le vélo. Il n’est pas trop fort ?

Il était juste de le prononcer : les mots ont un sens et un coureur cycliste professionnel, quel que soit le salaire qu’il puisse toucher, peut subir du harcèlement. C’est le cas de Julian Alaphilippe. Ce n’est pas courant que des managers se comportent de la sorte, d’autant que j’ai l’habitude d’être en contact avec les groupes cyclistes, surtout français, qui font quand même très attention à ce genre de choses. En son temps, nous avons accompagné Nacer Bouhanni [l’ancien sprinteur français a récemment raconté à l’Equipe avoir subi un «harcèlement psychologique à base d’humiliations publiques et de litiges permanents» à la Cofidis, ndlr]. Nous n’avions pas hésité à contacter le manager [Cédric Vasseur], ainsi même que le partenaire de l’équipe [Cofidis]. Ce, afin de mettre en évidence des comportements qui nous semblaient injustes. Un coureur cycliste ne doit pas être considéré autrement qu’un salarié.

Avec la particularité de n’exercer son travail que sur des contrats courts…

Oui, à la différence du monde de l’entreprise «normal», un coureur cycliste possède systématiquement un contrat à durée déterminée. C’est le cas, de Julian Alaphilippe. Son contrat se termine en décembre 2024, mais pas sa carrière. Il est donc dans le devoir d’avoir des résultats, d’être compétitif pour pouvoir à nouveau négocier un contrat pour 2025 et les années suivantes. Il faut que ces déclarations par voie de presse cessent enfin, et qu’Alaphilippe et Lefévère se mettent autour d’une table pour discuter. Si les choses venaient à empirer, il faudra les régler sur le terrain administratif et juridique. Mais le juridique et le sportif ont des temporalités différentes : une affaire comme celle-là peut prendre plusieurs années.

Reste cette sensation que le conflit frontal entre un coureur et son équipe est souvent esquivé. Pourquoi ?

Parce que l’un et l’autre n’en ont pas intérêt. En général, quand vous embauchez un coureur, c’est pour en tirer la quintessence de son potentiel, certainement pas pour le dénigrer, qu’il se retrouve en situation de fragilité. Quand on connaît les difficultés pour exercer son métier de coureur cycliste… Dans une course, et en l’occurrence samedi en Belgique, avec le Omloop Het Nieuwsblad [sur laquelle est annoncé Julian Alaphilippe, ndlr], vous n’avez pas un mètre de droit ni de plat, avec des pavés, du vent, de la pluie… Autant physiquement, les coureurs sont capables de soutenir la douleur et les conditions extrêmes, mais psychologiquement, quand vous êtes dans des états de fatigue et de pression intenses, vous avez besoin de vous relâcher. Beaucoup de coureurs sont des hypersensibles. Et c’est pour ça qu’il faut faire très attention.