Une jeunesse hitlérienne au féminin, fanatisées et prêtes à mourir pour le Führer
Des jeunes filles allemandes de la Bund Deutscher Mädel, à Dantzig en 1937.
La Bund Deutscher Mädel (BDM), branche féminine des Hitlerjugend (jeunesses hitlériennes) est moins connue que son pendant masculin. Et pourtant… des dizaines de milliers de jeunes filles sont enrôlées à partir du début des années 1930 dans cette organisation nazie. Pour Hitler, elles sont «les gardiennes du sang allemand».
L’émotion du groupe de filles, venues de la région de Basse-Saxe, au nord de l’Allemagne, est palpable. Certaines en ont les larmes aux yeux. Ce 29 mars 1936, ces membres de la Bund Deutscher Mädel (BDM), Ligue féminine des jeunesses hitlériennes, sont reçues par le Führer à Berlin. Adolf Hitler les salue d’un Heil Mädel !, puis les dévisage avec attention. «Je me réjouis de vous voir saines et fraîches», dit-il. Les filles sont si impressionnées qu’elles ne peuvent prononcer le moindre mot. «Nous avions le sentiment qu’il voyait au fond de nos coeurs», racontera l’une d’entre elles dans le Erzieher (daté du 1er juin 1936), journal spécialisé dans l’éducation de la jeunesse.
«Les rГ©gimes de terreur puisent leur force dans lРІР‚в„ўidГ©alisme… et l’énergie des jeunes gensР’В», Г©crit lРІР‚в„ўhistorienne amГ©ricaine Wendy Lower dans Les Furies d’Hitler (Г©d. Tallandier, 2014). Et tel est prГ©cisГ©ment le rГґle confГ©rГ© Г la BDM qui, depuis 1930, Г©duque au nazisme et Г В«l’hygiГЁne racialeВ» les jeunes filles de 10 Г 18 ans, dans le cadre d’une idГ©ologie profondГ©ment misogyne.
Dans Michael, un destin allemand (1929), roman semi-autobiographique de Joseph Goebbels, celui-ci écrit : «Je hais ces femmes criardes qui se mêlent de tout sans rien y comprendre. Elles oublient alors la plupart du temps de se consacrer à leur vraie mission : élever des enfants.» Hitler, de son côté, a brossé le portrait de la femme idéale allemande dans son discours de Nuremberg, en 1935. «Il n’y a pas de plus grande noblesse pour une femme que d’être la mère des fils et des filles d’une nation», a-t-il clamé. Et d’ajouter : «Nos femmes sont les gardiennes du sang allemand.»
Au début des années 1930, la plupart ont été renvoyées dans leurs foyers. Depuis, il leur est interdit d’être avocate ou juge, d’avoir un quelconque rôle politique ou social d’importance. Dans les universités, un numerus clausus de 10% seulement d’étudiantes est imposé. Les jeunes filles âgées entre 10 et 18 ans rejoignent volontairement, par milliers, le BDM, bien avant le décret de mars 1939 qui rendra cette adhésion obligatoire. On estime qu’au total 3,5 millions d’entre elles passeront dans cette organisation, de sa création, en 1930, à sa dissolution, en 1945. Et c’est une femme, Jutta Rüdiger, psychologue surdiplômée, qui sera la responsable de la BDM de 1937 à 1945.
Formater de façon ludique de jeunes cerveaux à l’idéologie nazie
La mission de la fameuse Ligue ? Formater les jeunes cervelles à l’idéologie nazie. Sans violence. Et d’une manière ludique. «Elles sont enrôlées dans cette structure grâce à des activités sportives, culturelles, de loisirs, des voyages aussi, tout en mettant en avant la communauté raciale populaire qui tendait vers un même idéal patriotique, sans distinction de classes sociales», ob ser ve le spécialiste Didier Chauvet (auteur de La Ligue des filles allemandes, éd. L’Harmattan, 2023). Cette «éducation» est moderne à bien des égards. Inge Scholl, soeur de Sophie et Hans Scholl, membres du groupe de résistance au nazisme la Rose blanche, analysera, dans son livre justement intitulé La Rose blanche (éd. de Minuit, 1953) la séduction que pouvait exercer le nazisme. «On commença à nous parler de patrie, de camaraderie, de communauté populaire et d’amour du pays, écrira-t-elle. Ces notions s’imposaient à nous et nous écoutions, enthousiasmés, ce qu’on en disait à l’école ou dans les rues.»
Les filles sont formées à être de parfaites femmes de maison et elles pratiquent aussi plusieurs sports. L’objectif du Troisième Reich est de produire des corps féminins sains, pour favoriser des «grossesses de qualité»… La mission première des femmes est en effet de repeupler le pays. La cohésion de groupe est renforcée lors de camps d’été, en pleine nature, loin des parents. On attend avec impatience des événements comme la Nuit des Amazones, une procession aux flambeaux constituant une source d’exaltation. Un enthousiasme que confessera Melita Maschmann, une ex-cadre de la BDM, dans son ouvrage Ma jeunesse au service du nazisme (éd. Plon, 1964). «J’étais envahie par un désir ardent d’appartenir à ces groupes pour qui c’était une question de vie ou de mort», écrit-elle.
Lancer la politique de germanisation du Reich en Pologne, dans les pays baltes et en Ukraine
Mais le temps de l’innocence est bref. En 1939, le régime réaffirme la place naturelle de la femme au sein du foyer, tout en lui demandant de participer à l’effort de guerre en remplaçant les hommes dans les tâches subalternes. «Une fois adultes, et bien formatées à un soutien idéologique fort du régime, ces jeunes femmes sont utilisées dans le cadre du Service du travail, mais aussi dans celui du Generalplan Ost, c’est-à-dire la colonisation à l’Est», souligne Didier Chauvet. Beaucoup sont alors envoyées en Pologne, dans les pays baltes et en Ukraine pour mettre en oeuvre la politique de germanisation du Reich. Melita Maschmann sera, pour sa part, dépêchée en Pologne en 1941, comme 19 000 de ses camarades. La jeune femme déborde alors d’enthousiasme. «Vivre cette époque était une grande aventure», écrira-t-elle.
Certaines anciennes membres de la BDM commettront des atrocités. Liesel Willhaus, épouse du commandant du camp de concentration de Janowska, en Pologne, utilise, par exemple, des enfants juifs comme cible vivante lors de parties de tirs. D’autres se rendent coupables des pires exactions, comme la gardienne de camp Irma Grese, surnommée la «Hyène d’Auschwitz». Toutes les jeunes filles de la Ligue ne deviendront pas des criminelles, mais toutes se mueront en rouages de la machine nazie. Après avoir visité le ghetto de Łódź, en Pologne, Melita Maschmann résumera, dans une formule qui glace le sang : «La destruction des Juifs était une des choses tristes auxquelles nous devions nous résoudre afin que le Warthegau [partie annexée de la Pologne] devienne l’Allemagne.»
➤ Article paru dans le magazine GEO Histoire n°74, Le nazisme et les femmes, de mars-avril 2024.
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