Une brève histoire de Clarence House, la véritable maison du roi Charles III
Le 4 novembre 1949, un jeune prince nommé Charles fête son premier anniversaire dans la nurserie de Clarence House, la maison de ses parents située au centre de Londres. Tandis que sa mère, la princesse Elizabeth, veille sur lui, d’autres enfants de noble extraction se joignent à la fête, parmi lesquels son cousin le prince Richard, fils du duc de Gloucester. Sur son gâteau parfumé au rhum, trône une unique et imposante bougie orange.
Soixante-quatorze ans plus tard, cet enfant est devenu roi d’Angleterre et il a opéré un retour aux sources en élisant pour domicile les cinq pièces de la Clarence House, même si sa résidence officielle reste le gigantesque palais de Buckingham, à quelques encablures de là. Pour Charles III, il semblerait que ce lieu soit rempli de souvenirs joyeux, notamment liés à sa grand-mère Elizabeth, la reine-mère. C’est dans ces lieux qu’entouré de photos de sa famille, il cherche le repos, tandis qu’il est soigné pour un cancer dont la nature n’a pas été révélée.
Clarence House, qui est davantage une maison de ville aristocratique qu’un palais, est pour les membres de la famille royale britannique un sanctuaire. Tout a commencé par l’édification d’un ensemble d’appartements assez miteux sur le terrain du palais St James. La construction de ce bâtiment, situé sur le site d’un hôpital pour les jeunes lépreuses, remonte au XVIe siècle, au cours du règne d’Henry VIII. Au fil des années, les membres de la famille royale se sont installés dans les bâtiments contigus au château.
Clarence House Dans les jardins de Clarence House, dans les années 1890. Hulton Archive/Getty Images
The Morning Room Dans un des salons de Clarence House, en 1894. Print Collector/Getty Images
Royal Family Elizabeth II, le prince Philip et leurs enfants, Charles et Anne, dans les jardins de Clarence House, en 1951. Fox Photos/Getty Images
Prince Philip Le prince Philip à Clarence House, en 1951. Fox Photos/Getty Images
Toronto Star reporter Val Sears walks through the grounds of Clarence House with the Queen Mother. La reine mère reçoit le journaliste du Toronto Star Val Sears à Clarence House. Toronto Star Archives/Getty Images
C’est au XIXe siècle qu’une suite d’appartements à proximité des écuries devient le domicile londonien du prince William Henry, duc de Clarence et futur roi William IV. Troisième fils du roi George III et de la reine Charlotte, celui-ci était né en 1765. Comme le raconte l’historien Christopher Hussey, auteur d’un livre sur ces lieux, William a passé une grande partie de sa vie dans la marine, où il charme ses compagnons par sa simplicité et sa camaraderie : « Appelez-moi William Guelph, leur disait-il, car, comme vous, je ne suis qu’un simple marin. »
« Vif sans être prétentieux », comme l’écrit Christopher Hussey, William avait « un tempérament bon et insouciant qui le faisait aimer des marins. Il est également célèbre pour sa relation longue de 22 ans avec Dorothea Jordan (appelée Mrs Jordan), actrice de profession, dont sont issus dix enfants qui prendront le nom de FitzClarence. »
2369904 Le salon du premier étage de Clarence House en 1949. Hulton Archive/Getty Images.
Selon le même historien, Dorothea Jordan a probablement vécu dans les appartements de la Clarence House, avant que le couple ne se sépare en 1811. En 1817, l’unique légitime prétendante au trône d’Angleterre, la princesse Charlotte, meurt en couches à l’âge de 21 ans. William est finalement rappelé à l’ordre et se marie. En 1818, il épouse Adélaïde de Saxe-Meiningen, « une jeune femme aimante, et éduquée dans les meilleures manières ».
À la surprise de tous, leur union sera très heureuse. Le duc s’assagit, délaisse le thé vert, se met au sport, sans pour autant renoncer aux eaux de vie, son péché mignon. Il est désormais troisième dans l’ordre d’accession au trône. Il prend alors la plume pour réclamer à son frère, le roi George IV, des fonds royaux pour se faire construire nouvelle maison :
« Sa Majesté ne connaît que trop bien l’inconfort et l’inadéquation de nos appartements présents. Ils ont été arrangés pour moi en 1809, alors que j’étais célibataire. Depuis lors (cela fait désormais 15 ans), aucune rénovation n’a été entreprise, et vous connaissez l’état déplorable des lieux. Je fais humblement la requête, au nom de l’aimable et excellente duchesse, que l’on remédie àla malpropreté et àl’inconvenance de nos appartements. »
Les fonds trouvés, on charge le célèbre architecte John Nash de concevoir la nouvelle maison de ville des Clarence. Construit entre 1825 et 1827 sur le site des anciens appartements, le bâtiment est une maison des plus classiques, enduite de stuc, loin de la pompe d’autres demeures royales. Mais le fait que George IV ait délié les cordons de sa bourse pour ce chantier n’en signifie pas pour autant que les deux frères aient une relation chaleureuse. « Regardez-moi cet idiot, s’est un jour emporté le roi George IV au sujet de son frère selon l’historien John Van der Kiste. Quand il occupera ma place, ils me regretteront. »
Après la mort de George IV, le 26 juin 1830, Clarence, 64 ans, apprenant qu’il est devenu roi, se précipite d’amener sa femme au lit, car il n’a « jamais couché avec une reine ».
Rafistolée de toutes parts
Celui qui est devenu roi sous le nom de William IV a beaucoup de points communs avec l’occupant actuel des lieux. C’est l’homme le plus âgé à accéder au trône, avant Charles III. Et, tout comme son aïeul, il lutte avec le stylo-plume qu’on lui fournit pour signer les papiers.
Il choisit de vivre à la Clarence House mais fait construire un passage souterrain afin de se rendre plus facilement au palais St James. Le roi William et sa femme vivent simplement. Pendant qu’elle coud, il baigne ses mains arthritiques dans l’eau chaude, pour les reposer des très prenantes séances de signature, son frère ayant laissé derrière lui de nombreux textes à parapher.
William IV décède en 1837, transmettant le trône à sa nièce Victoria. Sa sœur, la princesse Augusta Sophia, vit brièvement à Clarence House, avant de mourir à son tour en 1840.
En 1866, un autre prince-navigateur, Alfred, duc d’Édimbourg et fils cadet de Victoria, s’installe à Clarence House. Avec sa femme, la grande-duchesse Maria Alexandrovna, ils se livrent à des travaux d’expansion assez désordonnés. Après la mort d’Alfred, en 1900, son jeune frère Arthur prend possession des lieux, où il restera jusqu’en 1942. La maison tombe alors en décrépitude : dépourvue de chauffage central, elle est rafistolée de toutes parts, et ne comporte aucune salle de bains moderne.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Clarence House devient un centre logistique pour la Croix Rouge britannique. Mais en 1947, elle redevient propriété royale et reprend sa fonction de demeure officielle des jeunes époux princiers Elizabeth et Philip.
Selon le livre Elizabeth the Queen de Sally Bedell Smith, le prince Philip s’est personnellement chargé de superviser les travaux de rénovation, qui ont permis de remettre le bâtiment au goût du jour.
1468863234 Charles et Camilla lors d’une réception à Clarence House, en février 2023. Chris Jackson/Getty Images
La petite famille emménage dans la Clarence House à l’été 1949. Le prince Charles est souvent laissé seul avec ses nurses tandis que sa mère rend visite au prince Philip, stationné à Malte. C’est la grand-mère, Elizabeth, qui s’occupe beaucoup du bambin, développant son goût pour les arts. Le 15 août 1950, la famille accueille un nouvel enfant, la princesse Anne, née à Clarence House.
Mais leur séjour est de courte durée : le 6 février 1952, le roi George VI meurt, laissant le trône à sa fille désormais Elizabeth II. Selon Hugo Vickers, la nouvelle reine ne souhaite pas quitter son domicile londonien, mais le Premier ministre Winston Churchill la convainc de regagner le palais de Buckingham.
Cela implique cependant de déloger sa propre mère, la reine mère Elizabeth, ce que l’intéressée accepte de mauvaise grâce, surtout lorsque le parlement se plaint du coût des rénovations qu’elle exige.
La reine mère s’installe finalement en mai 1953, avec son impressionnante collection d’art et sa fille Margaret. La maison a été transformée en « dernier cri du luxe domestique » selon le Los Angeles Times, bien plus confortable que le « très froid » palais de Buckingham.
Clarence House se distingue alors comme un temple du gin, célèbre pour ses dîners, ses pique-niques et surtout ses cocktails, assidument fréquentés par Charles, le petit-fils préféré de sa grand-mère. Dans ses fêtes à l’assistance éclectique, la reine mère s’assure du confort de chacun, et fait régner une atmosphère propice au plaisir.
« J’ai organisé un cocktail pour 200 curés venus de l’étranger. Sur le coup de huit heures, ils étaient dans une forme olympique ! écrivait ainsi la reine mère àsa fille. Ils se sont confortablement installés dans les canapés et ont descendu martini sur martini. »
Parmi son personnel, son bras-droit William Tallon a pour fonction de la faire sourire en toutes circonstances. Il s’occupe des cocktails et veille sur la bonne humeur générale. Le profil de son personnel, avec ses excentricités, détonnerait dans d’autres maisons royales. Mais c’est précisément ce que souhaite la reine-mère.
«J’étais calme, d’un calme qui précède la mort. J’avais l’impression d’être un agneau mené àl’abattoir.»
Lady Diana
Cependant, si pour de nombreux invités, Clarence House est un délicieux refuge, pour la future épouse de Charles, Lady Diana Spencer, la maison a des airs de prison. Après l’annonce de leurs fiançailles, le couple qu’elle forme avec Charles emménage en février 1981 dans les lieux. « Il n’y avait personne pour m’accueillir, se souviendra la princesse dans le livre Diana: Her True Story in Her Own Words d’Andrew Morton. C’était comme un séjour à l’hôtel. »
« Quand j’étais àClarence House, je me souviens qu’une adorable dame âgée me réveillait chaque matin, m’apportant le courrier et les différents papiers administratifs pour les fiançailles, qu’elle posait sur mon lit. Quand je suis arrivée sur place, il y avait sur mon lit une lettre de Camilla. »
Trois jours plus tard, Diana déménage à Buckingham. Mais à la veille du mariage, la reine-mère l’invite à passer la soirée à Clarence House.
« Ils m’ont installée dans une chambre surplombant le Mall, j’ai été incapable de trouver le sommeil. J’étais calme, d’un calme qui précède la mort. J’avais l’impression d’être un agneau mené àl’abattoir. »
Lorsque la reine mère décède à l’âge de 101 ans, en 2002, Charles reprend ses deux maisons, tant Clarence House que sa propriété écossaise de Birkhall. Selon le livre Prince Charles de Bedell Smith, il dépense la coquette somme de 7 millions de dollars (issus de fonds publics) pour rénover Clarence House et paye 2,5 millions de sa poche pour le travail de l’architecte d’intérieur Robert Kime, auquel il donne deux consignes : « Préserver l’essence de la décoration de la reine-mère et utiliser autant que faire se peut des tissus d’époque. »
Il honore la mémoire de sa grand-mère en plantant un jardin en son souvenir, comme il le raconte dans son livre de jardinage The Elements of Organic Gardening, cosigné avec Stephanie Donaldson.
Redevenue demeure royale, Clarence House accueille de nombreuses réceptions importantes, tout en servant de théâtre d’opération à la firme royale. « Le roi Charles III et la reine Camilla semblent avoir été profondément influencés par la veine maximaliste, a déclaré Deepa Mehta-Sagar, fondatrice d’Area Decor LLC, au Daily Express. La maison est remplie d’œuvres d’art, d’objets de mémoire venus du monde entier. Une opulence qui est le reflet de l’histoire illustre de la famille royale. »
Mais Clarence House est également une demeure familiale chaleureuse, pleine de photos de famille, dans laquelle le soir, la reine et le roi, côte à côte dans leur lit commun lisent leurs livres, entourés de souvenirs des êtres chers à leurs cœurs, vivants ou décédés.
Initialement publié par Vanity Fair US