Témoignages : “J’ai acheté une gare”

témoignages : “j’ai acheté une gare”

À Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, la gare Godillot, restaurée par un couple de particuliers, a retrouvé son charme, après des décennies d’abandon… et quelques années de travaux pharaoniques.

Petite folie ou grand rêve ? Certains amoureux du monde ferroviaire sont devenus propriétaires de bâtiments cédés par la SNCF, devant lesquels passent encore, quelquefois, des trains. L’idée ? En faire leur maison, un gîte ou un lieu de mémoire, et toujours y rendre honneur à la mémoire des chemins de fer.

Elle présente cette structure solide en pierres de taille, cette façade familière de trois étages, aux larges et hautes fenêtres côté ville et côté voies et ces toits de zinc typiques de la région parisienne. À l’intérieur, l’escalier monumental, qui a perdu ses barres de cuivre, volées au fil des années, grimpe au premier, au niveau du quai côté voies. Là, ce qui fut la salle des pas perdus impressionne encore par sa hauteur sous plafond et on imagine sans peine les voyageurs se pressant pour prendre leur train de banlieue. Mais aujourd’hui, ce vaste espace aux murs décrépits et couverts de tags est vide – si l’on excepte les tréteaux et les escabeaux des ouvriers. À Saint-Ouen, la gare Godillot, construite en 1909, abandonnée en 1968, est en pleine rénovation, à l’initiative des nouveaux propriétaires Leonardus Geraerts 69 ans, ancien antiquaire, et Kumiko Nakayama, 62 ans, styliste… qui l’ont rachetée pour y habiter en 2010.

Pour trouver la perle rare, une astuce : interroger les réseaux de cheminots

Avec l’essor de la grande vitesse, de nombreuses petites lignes ont, comme celle qui passait ici, dépéri, avant d’être neutralisées. Les gares ayant perdu leur utilité de salles d’attente et de guichets, la SNCF les a mises en vente.

Qui sont les candidats au rachat ? En priorité des communes et des collectivités. Mais aussi quelques particuliers, des passionnés qui ont le train et parfois le patrimoine dans la peau. Ces amoureux du rail cherchent à ressusciter l’esprit – et bien souvent les contours – d’édifices pour la plupart construits à la fin du XIXe siècle. Portant un soin extrême à voir chacune des pièces d’origine retrouver son éclat, ils travaillent aussi à un ameublement conforme à l’histoire des lieux. Il leur a fallu visiter des dizaines de lieux pour trouver le bon, consacrer des sommes folles aux travaux, passer un temps infini à dénicher les accessoires qui décoreront l’endroit dans un esprit ferroviaire et néanmoins douillet… L’achat d’une gare est un rêve, auquel ils se consacrent entièrement.

Premier défi : savoir où chercher «sa» gare. «Les opportunités d’achat restent rares et souvent chères», commente Freddy Rueda, agent immobilier en Occitanie qui s’est occupé du dossier de la gare de Gabian (dans l’Hérault), cédée par la SNCF en 2019. À la branche «immobilier» de l’opérateur national, on assure que ces cessions sont des «cas isolés», indépendants de son activité, et qu’elle «ne vend pas de gare aujourd’hui».

Alors comment les particuliers propriétaires s’y sont-ils pris ? Chaque histoire est unique. Un couple franco-américain, Christine et Grégory Marshall, elle, 65 ans, ancienne enseignante de littérature et inspectrice d’académie, lui, 77 ans, ancien policier, propriétaires de la gare de Dracy-Saint-Loup dans le Morvan, explique : «Cela a été compliqué de la trouver, mais nous avons pu compter sur d’anciens cheminots qui ont mis leur réseau à notre disposition.» Mis au courant de l’opportunité, le couple a acheté cette bâtisse d’un étage, aux larges fenêtres, en 2016.

L’achat n’est qu’une première étape, prélude à des travaux de grande ampleur

D’autres ont, selon la SNCF immobilier, trouvé leur gare dans la décennie 1980-1990, «à une époque aujourd’hui révolue», quand les petites lignes disparaissaient presque aussi vite qu’apparaissaient les TGV. Franck Lopez et Catherine Mazeau, 61 et 62 ans, retraités de l’Éducation nationale, entrent dans cette catégorie. Ils ont acquis la gare de Savigny-en-Septaine (dans le Cher) en 1992. La vente s’est déroulée aux enchères, pour «50 000 francs à l’époque».

Aujourd’hui, c’est plutôt auprès de communautés de communes, ou d’autres particuliers qui les avaient acquis auparavant auprès de la SNCF, que l’on peut espérer trouver ces biens atypiques. C’est le cas à Borredon, dans le Tarn-et-Garonne, où Joseph Gonzalez, 72 ans, a pu racheter à un particulier, avec les membres de son association Mémoire de l’Espagne républicaine 82 (MER 82), la gare par laquelle arrivaient des réfugiés espagnols fuyant la guerre civile avant d’être conduits dans le camp de Septfonds. Le lieu avait déjà été transformé en restaurant et scène de jazz. L’achat, réalisé avec l’objectif de faire de la gare un lieu de mémoire, a demandé de l’énergie : l’association a rassemblé par financement participatif la somme nécessaire. «Au bout de deux ans, nous avions réuni 50 000 euros sur les 160 000 nécessaires, explique Joseph Gonzalez. Puis nous avons demandé un prêt bancaire avec la caution de la mairie.» La suite de l’histoire, c’est la «communauté des enfants de la diaspora» qui l’a écrite en contribuant au remboursement du crédit. «Aujourd’hui, la gare est à nous», ajoute-t-il. Après de nombreux travaux, elle accueille enfin des scolaires, des conférences et des expositions. L’intérieur a été entièrement remodelé pour permettre l’accueil du public dans un grand espace de 84 mètres carrés, et se mettre aux normes. Des aménagements respectant l’esprit du lieu, inscrit en 2011 au titre des monuments historiques pour sa dimension mémorielle et historique.

Car l’achat n’est qu’une première étape, prélude aux travaux et à la refondation des lieux. Les nouveaux propriétaires mentionnent souvent la décrépitude de la bâtisse, mal entretenue, parfois désaffectée depuis des années voire des décennies, squattée. Ou encombrée d’objets de rebut, comme à Savigny-en-Septaine… Christine et Grégory Marshall estiment pour leur part que «la gare de Dracy-Saint-Loup était dans un très mauvais état mais sa transformation n’a pas représenté une tâche plus ardue que pour la rénovation d’une petite maison». Parfois, le chantier est très ambitieux. À Pontivy (dans le Morbihan), un édifice construit en 1874, le plafond s’était effondré et des fuites d’eau étaient apparues. Depuis son acquisition en 2019 moyennant 70 000 euros, son propriétaire, Jean-Philippe Vanwalleghem, 60 ans aujourd’hui, qui voulait «refaire la gare telle qu’elle était à l’origine, lui redonner son lustre mais aussi des usages liés au ferroviaire», s’est lancé dans des travaux à hauteur de 1,2 million d’euros.

Pour accoucher de leurs envies diverses, du projet professionnel au souhait d’y élire domicile, les nouveaux aventuriers du rail doivent également prendre en compte quelques contraintes, comme, bien sûr, la présence de rails, et parfois le passage des trains, qui, s’ils ne s’arrêtent plus, peuvent encore traverser leur royaume, voire frôler le bâtiment, ponctuant les journées des habitants. Franck Lopez et Catherine Mazeau en étaient bien conscients. «Nous sommes venus ici pour ça, raconte Franck. Cela fait partie du paysage et de notre quotidien. Lorsqu’il y a des grèves et que le train ne passe pas, cela vient même à nous manquer.» Le quai a été réduit par rapport à sa version d’origine : une coquette barrière sépare la terrasse devant leur maison d’un bout de pelouse formant la partie la plus proche des voies, qui demeure propriété de la SNCF. Il en est de même à l’ancienne gare de la rue Godillot, à Saint-Ouen : des wagons de fret passent deux fois par jour, un le matin, un le soir, à des horaires variables, derrière le mur qui défend l’accès aux voies. «Cela fait une animation : on ouvre les fenêtres et on s’amuse de ces trains de marchandises qui passent juste en dessous !», raconte Leonardus Geraerts. Mais pour installer un garage et un atelier de part et d’autre de l’ancien bâtiment principal, il a fallu tout surveiller d’extrêmement près : les pelleteuses fouissaient la terre mais juste à côté, les rails ne devaient pas bouger d’un millimètre.

À Pontivy, le vieux guichet trône à nouveau et la gare a retrouvé ses couleurs d’origine

Une erreur de débutant à ne pas commettre non plus : oublier de consulter l’environnement direct. Car dans ce pays qui a lié son développement industriel, au XIXe siècle, à l’avènement du chemin de fer, la gare est un monument. Souhaitant partir sur de bonnes bases, beaucoup se sont rapprochés de la municipalité, des acteurs locaux et des riverains. Jean-Philippe Vanwalleghem a souhaité rencontrer la mairie de Pontivy, mais aussi ses futurs voisins et faire la connaissance du réseau cheminot. «Lorsque j’ai senti leur enthousiasme, j’ai concrétisé l’achat», explique-t-il. Grâce à lui, la gare de Pontivy a retrouvé ses couleurs initiales, vert pastel, avec son carrelage d’origine. Et le vieux guichet trône à nouveau. «J’ai récupéré beaucoup de meubles des années 1950 d’une autre gare et un hygiaphone de guichet sur Le Bon Coin, dit-il. Je me suis même rendu à Dijon pour une lanterne appartenant à une fille de cheminot.» À Saint-Ouen, c’est avec curiosité, émotion, voire fierté que les plus anciens observent «leur» gare reprendre vie : la gare Godillot voyait auparavant passer des milliers de passagers chaque jour. Certains viennent raconter leurs anecdotes ferroviaires aux nouveaux propriétaires et l’un des voisins a même rapporté un vieux numéro de La Vie du rail de 1966 montrant la gare à l’époque. Leonardus Geraerts raconte avec gourmandise qu’il vient de trouver une pendule de gare, aux puces toutes proches, et comment- il veut refaire ce lieu «comme il était avant».

Ces réussites ne doivent pas cacher d’autres projets plus hasardeux, comme celui de la gare d’Avricourt, en Moselle. Fermé en 1969, puis propriété, tour à tour, d’un comité de sauvegarde qui avait empêché sa destruction, puis, en 2018, d’une entreprise locale, le monumental bâtiment d’un étage et de 50 mètres de long, aux vitres cassées, parfois condamnées, semblait promis à une nouvelle vie dans l’événementiel. Quatre ans plus tard… toujours rien, et il se dégrade lentement. Éric Denny, le maire, l’a même retrouvé mis en vente sur un site. «Et à un prix élevé, explique-t-il. Or la gare aujourd’hui dépérit et nous, petite commune, nous n’avons pas les moyens de nous en occuper. Nous essayons d’aider l’entrepreneur qui l’avait achetée à réorienter son projet.» Avec l’espoir de voir l’endroit reprendre vie, sous la forme d’un hôtel, d’un restaurant, d’une habitation ou de tout autre symbole de renaissance dans la commune. Pour que cette gare ne reste pas à quai.

“Prochain objectif : voir un train à vapeur circuler sur les rails sous nos fenêtres»

Leonardus Geraerts et Kumiko Nakayama, gare de Godillot

Après avoir été abandonné en 1968, ce bâtiment avait été squatté pendant vingt-cinq ans : les fenêtres étaient murées, tout était très délabré. «La maire de la ville connaissait mon travail de fabricant de meubles aux puces de Saint-Ouen, et elle m’a parlé de cette gare, se souvient Leonardus Geraerts. Il nous a ensuite fallu des années avant de pouvoir la racheter en 2010.» Et la rénovation est toujours en cours ! «Nous avons installé notre appartement au dernier étage, raconte Leonardus. Il y a aussi cinq studios que nous louons à l’étage au-dessous, et même un poulailler et un potager de part et d’autre du bâtiment. Mais le rez-de-chaussée et le premier étage sont encore en travaux.» Quand il en sera venu à bout, le couple se donne un nouvel objectif : faire circuler un train à vapeur entre «sa» gare et les puces de Saint-Ouen, toutes proches.

“Je n’avais pas de plan, c’était plutôt un rêve !”

Jean-Philippe Vanwalleghem, gare de Pontivy

J’ai grandi dans le Nord au contact de la culture cheminote, se souvient Jean-Philippe Vanwalleghem. Un jour, alors que j’étais chef d’une entreprise de fabrication de trains miniatures, un client m’a appelé et m’a dit : «Tu as vu cette annonce ? La gare de Pontivy est en vente, tu pourrais la récupérer.» Aujourd’hui, cette gare entame sa seconde vie. Des trains de fret passent, un train touristique s’y arrête et dispose d’un local dans l’ancien réfectoire. Jean-Philippe n’y vit pas mais à l’étage, il a créé quatre duplex, loués à des particuliers en lieu et place des logements qu’occupaient jadis les cheminots. Le rez-de-chaussée, à la décoration et au carrelage d’origine, est devenu la salle d’attente de la gare routière de la ville. Un guichet de l’office du tourisme y a trouvé place. Et une boutique de modélisme ferroviaire a ouvert… celle du client de Jean- Philippe qui lui avait transmis l’annonce !

“Nous voulions sauver ce patrimoine de la démolition”

Catherine Mazeau et Franck Lopez, gare de Savigny-en-Septaine

Heureux propriétaires, Catherine Mazeau (fille d’employés de la SNCF) et Franck Lopez coulent à Savigny-en-Septaine une douce retraite. Pour cela, il a d’abord fallu remettre un peu d’ordre dans cette gare «abandonnée», se débarrasser des objets amoncelés, réorganiser l’intérieur. Et décorer, en choisissant de mettre à l’honneur le passé de l’endroit et du monde ferroviaire. Avec un soupçon de rêve d’enfant : l’extérieur de la gare est identique désormais à celui de la gare miniature fabriquée par Franck, passionné de trains électriques. «Considérant l’âge de cette gare, construite sous le Second Empire, nous pensons que dans quelques années elle pourrait être inscrite aux monuments historiques», estime le couple, qui a plusieurs fois ouvert ses portes aux visiteurs à l’occasion des Journées du patrimoine.

“Nous avons visité une quarantaine de lieux avant de tomber amoureux de celui-ci»

Christine et Grégory Marshall, gare de Dracy-Saint-Loup

Cette petite gare rurale, au bout de son allée d’arbres centenaires, a été construite en 1882 par la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée. Pour Christine et Grégory Marshall, «l’objectif était de préserver ce patrimoine », tout en l’adaptant, pour en faire aujourd’hui le Train des rêves, un bed & breakfast. La salle des pas perdus voit à présent patienter les clients dans ce qui est devenu un café-bar. Le bureau du chef de gare fait office de cuisine et les locataires ponctuels des deux chambres à l’étage déposent leurs valises sur des porte-bagages d’époque. «Mais la particularité réside dans ce que nous avons fait des extérieurs», dit le couple. On y trouve douze voitures et wagons, achetés au gré des trouvailles, aménagés pour que les visiteurs y passent quelques nuitées.

➤ Cet article a été publié dans dans le GEO HS n°111 de Octobre-Novembre 2022.

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