«Ã‚ Ã€ quoi bon, tandis qu’un bon tiers de la planète flambe, continuer d’inventer des histoires ? », par Dominique Fortier
Ces jours-ci, alors que je suis à mettre la dernière main à un roman qui a été le plus exigeant de tous ceux que j’ai écrits et qu’en même temps dans l’actualité, à la grandeur de la planète, les catastrophes succèdent aux drames ordinaires, je ne peux m’empêcher de me demander à quoi il sert d’écrire, voire, ce qui ne m’était encore jamais arrivé, à quoi il sert de lire de la littérature. C’est une crise de foi assez répandue, j’imagine, que doivent traverser de temps à autre tous ceux qui vivent au moins pour moitié dans la fiction, mais la question ne s’en présente pas moins à moi de manière pressante, presque urgente.
Il y a quelques mois une amie m’a dit cette chose que je crois vraie tout en espérant qu’elle ne soit pas tout à fait vraie : « Le salut ne passe pas par les livres. »
Festival du livre : les défis vertigineux du monde de l’édition
À quoi bon, alors, tandis qu’un bon tiers de la planète flambe, continuer d’inventer des histoires et de les raconter à des gens qui savent aussi bien que vous qu’elles ne sont pas vraies ? Me revient en mémoire ce matin, au lendemain de l’éclipse solaire totale qui était visible depuis Montréal au début de la semaine, cette comparaison de la romancière Catherine Leroux, qui expliquait que les romans sont semblables à ces dispositifs que l’on fabriquait enfants, à l’aide d’une boîte à chaussures, d’une aiguille à coudre et de papier-alu, et qui permettaient d’observer non pas l’éclipse elle-même mais sa projection. De même le roman, proposait-elle, serait un mécanisme conçu pour regarder sans trop de danger ce qui autrement nous aurait brûlé les yeux. À travers lui, nous pouvons contempler les passions, les effrois et les fureurs, les éblouissements et toutes les dévastations sans y risquer notre peau. Il nous permet de vivre en miniature d’autres vies que la nôtre.
J’aimais tout de cette image, à commencer par la boîte à chaussures elle-même, un petit univers en soi, clos et étanche, à la manière d’un théâtre de marionnettes où l’action est clairement circonscrite et les personnages nettement définis. Mais aujourd’hui je me demande si par définition le roman, si la littérature tout entière n’est pas aussi, si elle n’est pas d’abord cet instant de bascule où l’ordre du monde se trouve renversé, une nuit qui tombe en plein jour et nous rend étranger ce que l’on croyait connaître – à commencer par nous-mêmes. Une éclipse.
C’est entendu, les livres ne nous sauvent pas, pas plus ceux qu’on lit que ceux qu’on écrit, mais l’espace de quelques heures, de quelques dizaines ou centaines de pages, ils nous donnent un monde autre, et ils le font non pas en braquant sur le réel une lumière plus vive mais au contraire en le plongeant dans une obscurité que l’on passe le reste de sa vie à fuir. Alors que de partout fusent les certitudes, alors qu’il faut avoir sur toute chose une opinion et être prêt à la défendre, le roman est peut-être le seul lieu où l’on puisse encore entendre cette voix qui ose dire, au cœur d’une petite nuit, d’une lumière d’aveugle : Je ne sais pas.
Et il y a dans cet aveu autant de lumière que d’ombre.
Claire-Louise Bennett, Andrea Bajani, Santiago Gamboa… Les livres de la semaine à ne pas rater
Dominique Fortier, bio express
Née en 1972 à Québec, Dominique Fortier est écrivaine et traductrice. Après un doctorat en littérature française à l’université McGill, elle travaille une dizaine d’années dans le monde de l’édition avant de publier en 2008 « Du bon usage des étoiles » (Alto, 2008 ; Les Editions de La Table ronde, 2011) lauréat du prix Gens de mer / Étonnants voyageurs. Elle a reçu en 2016 le prix littéraire du Gouverneur général, la plus haute distinction littéraire au Canada, pour son roman « Au péril de la mer » (Alto, 2016 ; Les Escales, 2019), et en septembre 2020, en France, le prix Renaudot Essai pour « Les Villes de papier » (Grasset). Dernier livre paru en France : « Les Ombres blanches » (Grasset, 2023), autour d’Emily Dickinson.
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