Sur le Belem, la traversée de la seconde chance.
Sur le Belem, la traversée de la seconde chance.
16 jeunes de 17 à 25 ans ont été choisis pour escorter la flamme olympique à bord de ce trois-mâts mythique. Retour sur cette navigation hors-normes de 12 jours sur la Méditerranée entre Athènes et Marseille, qui a leur ouvert de nouveaux horizons et suscité des vocations.
Alors qu’il vient de partir du port du Pirée, le Belem, 128 ans d’âge, ne s’est sans doute jamais senti aussi jeune. Répartis entre le Spardeck (le pont principal), la dunette et le gaillard d’avant, reconnaissables à leurs polos rouges, il y a Clara Labruyère, 22 ans, la guitariste à la voix de chanteuse folk, perdue dans les méandres de l’orientation terrestre et qui a trouvé sa voie dans le service civique. Nathan Le Normand, 19 ans, des Hauts de France, pour qui l’internat, si dur, a conduit à sa déscolarisation, ou encore le solaire Houari Belkouane, Marseillais de 20 ans, surveillant dans les collèges des quartiers nord dont l’unique but dans la vie est d’aider son prochain.
Quant à la Varoise Manon Guariglia-Marseille, 24 ans, elle a tout laissé tomber malgré de très bonnes études pour se lancer dans une formation boulangerie chez les Compagnons du devoir. À bord du Belem, les personnalités se révèlent au fil des milles, comme si le bateau donnait des ailes à tous ces jeunes gens ayant connu des parcours chaotiques.
« Une fierté et un honneur »
«Ã‚ Même dans nos rêves les plus fous, on n’aurait jamais rêvé d’être là  » sourit Shawn Caillet, qui s’est découvert une telle passion pour la barre qu’on l’y trouve même quand il n’est pas de quart. Comme ses camarades, l’adolescent de 17 ans, venu d’Auvergne, a du mal à réaliser ce qu’il lui arrive : faire partie des 16 heureux élus chargés d’escorter la flamme olympique sur un trois-mâts mythique, classé monument historique depuis 1984 et construit la même année que les Jeux de l’ère moderne, en 1896. Ils sont, comme le résumait le capitaine Aymeric Gibet au départ d’Athènes, le 27 avril, la force vive du bateau, celles et ceux qui vont le mener à bon (vieux) port, le 8 mai à Marseille. « Une fierté et un honneur », comme le résume Thomas Tacnet, pompier volontaire dans l’Ain depuis 5 ans, qui en a vu, à 20 ans, infiniment plus que bien des adultes n’en verront dans leur vie. “Il y a plein de symboles et de valeurs dans cette flamme que nous transportons, et dans ce bateau : le dépassement des limites, le respect des règles, la persévérance, la cohésion”, ajoute-t-il.
Christelle De Larauze, déléguée générale de la Fondation Belem qui a initié ce programme d’insertion avec les 14 Caisses d’Épargne régionales, confirme : “Eléonor Budak, 20 ans, originaire des Pays de Loire qui a fait le premier stage en mai 2023 nous a confortés dans notre choix. Elle était très enthousiaste et s’est intéressée au bateau, c’est le point commun de tous ces jeunes. Ici, on recrée une petite société où les cartes sont rebattues, chacun se voit d’ailleurs attribuer un mug avec son numéro, comme un symbole d’égalité. Cette expérience est très valorisante. Cela leur fait prendre conscience que les limites qu’ils s’étaient fixées peuvent voler en éclat, le tout dans un cadre strict, car une discipline naturelle se met en place. Même les plus discrets comme Lucas (Desrues) et Anastasia (Skadia) se libèrent au bout de quelques jours. Il y a un effet Belem : c’est un bateau qui peut changer des vies. »
Les jeunes s’acquittent de leurs corvées dans la bonne humeur
À bord, bien que ce programme d’insertion laisse la part belle au voyage et à la découverte, ça n’a jamais été « La Croisière s’amuse ». Pas le bagne, loin de là, mais le rythme est corsé et l’autorité ne se discute pas. À chaque jour sa corvée sous les ordres de l’équipage : il faut récurer le pont, astiquer les cuivres, assurer les services aux repas, participer aux quarts de nuit et aux manœuvres. Et faire bouger un bateau de 800 tonnes de bois et d’acier comme le Belem et ses 22 voiles requiert de la main d’œuvre. Ces tâches ne sont pas vécues comme ingrates par les jeunes, très investis dans leur mission.
«Ã‚ Nous on est tellement contents d’être là qu’on est limite déçus quand le bateau navigue au moteur et qu’on ne nous demande pas de tirer sur des bouts » confirme Eléonor, alors qu’elle sort d’une série de manÅ“uvres très physiques. Personne pour rechigner, d’autant que les conditions idylliques de navigation, mer d’huile et grand soleil durant une grosse moitié de voyage ont permis aux néo-matelots de s’amariner et d’être relativement étanches au mal de mer. Le Marseillais Yassine Nassah, 19 ans, en formation de nageur sauveteur est si assidu au service de repas que Victor Chevillotte, le chef cuistot qui nous régale, lui a décerné un laurier d’or, une broche qui se devine de temps à autre dans ses longs cheveux noirs bouclés.
Tous sont conscients de vivre des moments hors du temps, comme ce passage du Canal de Corinthe entre eaux turquoise entre d’immenses falaises blanches ouvert spécialement pour le Belem, ce festival de dauphins faisant la course avec le navire, ou encore ce buffet sur le pont face au Stromboli en éruption. « Une dinguerie ! » dit Houari pour qui ce périple extraordinaire montre que « tout peut arriver dans une vie, si on sait saisir l’occasion. Il faut bouger, oser sortir de ses quartiers. Si mon expérience sert à ne serait-ce qu’une seule personne, je serais le plus content du monde ! »
La mer, lieu de joie et vie pour Zabih Yaqubee, arrivé d’Afghanistan à 16 ans
Heureux comme jamais il ne l’a été, il y a Zabih Yaqubee, 25 ans, pour qui ce voyage tient littéralement du miracle. Parti à 16 ans dans un long et âpre périple vers la France, ce jeune Afghan a été repéré parmi 350 autres jeunes ayant effectué un séjour de navigation. Son émotion a été d’autant plus intense qu’il ne savait pas qu’il naviguerait dans le cadre du relais de la flamme, cette opération s’étant greffée en cours de route. « Quand on m’a annoncé que j’étais pris, j’ai pleuré… Ça montre qu’il faut toujours y croire. Être sur le Belem et représenter la France qui m’a tant donné, c’est une chance incroyable !»
Depuis le début de la traversée de la Méditerranée, Zabih a l’impression d’être Jack Sparrow dans Pirate des Caraïbes, son film préféré. « On apprend les techniques de matelotage, à barrer, mais surtout, ça nous apporte de la force, de la fierté, de la confiance en nous, l’envie d’avancer dans la vie ! » Zabih, qui cauchemarde encore au souvenir de sa traversée vers la Grèce en tout petit canot sans moteur à 30 personnes dans la tempête, a aussi pris conscience que la mer « n’est pas qu’un lieu où l’on peut mourir.”, explique-t-il.
Tous les éclaireurs bénéficieront d’un suivi
Le 2 mai, la houle qui s’est levée et a transformé le navire en roller-coaster pendant 2 jours faisant quelques malades, a entamé les estomacs mais pas le moral. Comme si la tempête n’avait fait que renforcer la cohésion et susciter des vocations. Clara et Manon s’imaginent désormais en matelots, tandis que Nathan Le Normand, s’est vu confirmer son idéal de vie : devenir fusilier marin. « Ici, je me sens utile. Je pense vraiment avoir trouvé ma place. »
Le 8 mai, à 19 h, alors que le Belem faisait une entrée inoubliable dans le Vieux-Port, l’émotion était vive sur le pont. Beaucoup de larmes… Aucune envie de partir. « Quitter le Belem est un toujours un arrachement, on se sent d’un coup dépossédé de son chez-soi » constate Christelle De Larauze, qui promet un suivi de tous ses éclaireurs et la poursuite de ces stages d’insertion au moins jusqu’en 2027. La mer, pour donner à d’autres l’espoir d’une seconde chance à terre.