Sophie Scholl et le dernier tract de la Rose blanche

sophie scholl et le dernier tract de la rose blanche

Sophie Scholl (à droite) avec un de ses frères Werner Scholl.

Toutes les allemandes n’ont pas adhéré à l’idéologie mortifère du IIIe Reich. Parmi celles qui ont dit non, Sophie Scholl fut sans doute la plus emblématique, par son courage comme par sa jeunesse. Pilier d’un réseau antinazi, l’étudiante fut arrêtée avec son frère après avoir lancé des tracts dans la cour de l’université de Munich. Exécutée à l’âge de 21 ans, la jeune fille est devenue une icône de la résistance intérieure, dont la mémoire est toujours célébrée.

Ce 23 février 1943, les murs de Munich étaient couverts d’une affiche rouge sang. On annonçait que, la veille en fin d’après-midi, Sophie Scholl, 21 ans, étudiante en biologie et en philosophie, son frère Hans, 24 ans, et Christoph Probst, 23 ans, tous deux étudiants en médecine, avaient été décapités dans la prison de Stadelheim. Leur exécution, à l’issue d’un procès expéditif, sonnait le glas de la Rose blanche (Weiße Rose), une organisation clandestine qui avait répandu durant plusieurs mois à Munich, puis dans tout le pays, des milliers de tracts appelant à résister au nazisme.

Sophie et Hans Scholl avaient été arrêtés le 18 février, quatre jours avant leur condamnation à mort. Ce matin-là, ils avaient pénétré dans leur université, transportant une valise remplie de tracts. Après avoir déposé de petits paquets de feuilles ronéotypées devant les amphis et dans les couloirs, Sophie était montée au second étage dominant la cour intérieure. De là-haut, la jeune fille avait fait tournoyer des dizaines de tracts qui eurent tôt fait de recouvrir le sol. “L’heure de régler les comptes est venue entre la jeunesse allemande et la tyrannie la plus exécrable que notre pays ait jamais connue…”, avertissait le texte.

Témoin de la scène, Jakob Schmid, le concierge de la faculté, membre de la SA et du parti nazi, reconnut Sophie et Hans. Immédiatement, il bloqua les portes et prévint la police. Les deux étudiants, qui n’avaient pas cherché à s’enfuir, furent interrogés par le recteur de l’université et des policiers, avant d’être emmenés au palais Wittelsbach, siège de la Gestapo. Ils affirmèrent être les rédacteurs des tracts de la mystérieuse Rose blanche.

Sophie Scholl, symbole féminin de la résistance allemande contre le nazisme

Plusieurs théories existent quant à l’origine du nom de ce groupe fondé quelques mois plus tôt, au printemps 1942. Hans Scholl aurait affirmé dans son interrogatoire qu’il avait voulu faire référence à une romance espagnole. Il pourrait aussi s’agir d’un hommage au poète allemand Clemens Brentano (1778-1842), auteur des Romances du Rosaire. Quelles qu’en soient les origines, le nom frappe encore les esprits comme un symbole de paix et de beauté fragile au milieu de la barbarie.

En fouillant Hans, la Gestapo découvrit sur lui le brouillon de ce qui apparaissait être le prochain manifeste du groupe. Qui en était l’auteur ? Sophie et Hans s’en attribuèrent immédiatement la paternité. Mais en perquisitionnant leur appartement, la police tomba sur des lettres de la main de leur ami Christoph Probst, dont l’écriture était identique. Le jeune père de famille fut interpellé le 20 février. De son côté, face à la Gestapo, Sophie ne se démonta jamais. Jusque dans l’antichambre de la mort, elle assuma ses actes avec courage et asséna :

Vous vous trompez, je referais tout de la même manière, car ce n’est pas moi, mais vous, qui avez une fausse idéologie.

Dans les semaines suivantes, la Gestapo poursuivit le démantèlement de l’organisation, arrêtant notamment Alexander Schmorell et Willi Graf, eux aussi étudiants en médecine, ainsi que le professeur de philosophie Kurt Huber, qui furent tous trois jugés et exécutés. En disparaissant, la Rose blanche entrait dans la légende, érigée en symbole de la résistance de la jeunesse. Avec ses martyrs, célébrés sur les ondes de la BBC. Son héritage fécond, puisque l’aviation anglaise larguera sur l’Allemagne des milliers de fac-similés de ses tracts. Et son icône, Sophie Scholl, à jamais symbole féminin de la résistance allemande contre le nazisme.

Les violences antisémites provoquèrent son rejet total du nazisme

Et pourtant, comme bien d’autres jeunes de sa génération, Sophie avait d’abord été séduite par le national-socialisme. À l’image de Hans, qui avait rejoint un temps les Jeunesses hitlériennes, elle adhéra même à la Ligue des jeunes filles allemande à l’âge de 12 ans, fascinée par la mise en scène des grands-messes nazies, alors même que son père, Robert Scholl, était un militant antifasciste de la première heure. Mais cette erreur de jeunesse ne dura pas.

Comme son frère, qu’elle vénérait, Sophie quitta les rangs de l’organisation de jeunesse après le congrès de Nuremberg de 1935. Les lois raciales choquaient profondément la jeune fille, élevée selon les enseignements de la Bible. Les violences antisémites perpétrées lors des pogroms de la nuit de Cristal (les 9 et 10 novembre 1938) provoquèrent “le déclic décisif du rejet total du nazisme chez Sophie et Hans”, affirme ainsi le spécialiste Didier Chauvet dans Sophie Scholl, une résistante allemande face au nazisme (éd. L’Harmattan, 2014).

Dans le sillage de son frère, Sophie s’était plongée dans la lecture des auteurs chrétiens, et notamment des cathoullsteinliques français Paul Claudel, Georges Bernanos et Jacques Maritain, se passionnant aussi pour les écrivains “interdits”, Thomas Mann et Stefan Zweig. Puis l’engagement de la fratrie se concrétisa avec l’aventure de la Rose blanche.

Une organisation pour réveiller les consciences du peuple allemand

L’organisation résultait de la volonté aussi farouche qu’idéaliste de “réveiller les consciences du peuple allemand et les élites intellectuelles et artistiques”, comme le résume Didier Chauvet. Les étudiants qui la composaient, tous âgés de moins de 25 ans, n’avaient pas d’engagement politique, ils étaient uniquement pétris de culture humaniste et de foi chrétienne. “Bien avant la Rose blanche, il existait d’autres groupes de jeunes résistants mais qui appartenaient surtout au mouvement ouvrier… [L’organisation] a été tout de suite considérée comme le symbole de la résistance pure et morale, libre de toute aspiration, de pouvoir et d’influence”, souligne Christiane Moll dans Des Allemands contre le nazisme (éd. Albin Michel, 1997).

Le premier tract avait été publié dans la première quinzaine de juin 1942. Hans Scholl et Alexander Schmo rell, qui en étaient les seuls auteurs, en diffusèrent une centaine d’exemplaires. Sophie découvrit alors par hasard le rôle de son frère qui, plus que jamais, lui servait de modèle. Elle se joignit immédiatement à son combat. À l’université, la jeune fille avait été marquée par le cours de son prof de philo, Kurt Huber, sur Leibnitz et sa vision de l’origine du mal et du péché originel. Son rejet, désormais viscéral, du nazisme se trouva conforté par cette rencontre intellectuelle. “Il faut faire quelque chose pour nous dégager nous-mêmes de toute culpabilité”, écrivit-elle à son fiancé Fritz Hartnagel, militaire de carrière envoyé sur le front russe, qu’elle réussit à convertir à l’anti-nazisme. Des étudiants en médecine suivirent l’exemple de Sophie, parmi lesquels Christoph Probst et Willi Graf.

Du 27 juin au 12 juillet 1942, furent diffusés trois autres tracts. Par centaines, ils inondèrent la ville. Ils évoquaient les camps de concentration et même – ce qui était rarissime dans les communications de la résistance allemande – le génocide des Juifs. Dans certains tracts, où Hitler était présenté comme l’Antéchrist, la Rose blanche appelait aussi au renversement du régime et prônait des actions de sabotage dans les bureaux et les usines.

Dans un pays corseté par la terreur, les membres de l’organisation savaient qu’ils devaient être aussi vigilants que prudents. Alors, pour taper leurs tracts, ils prenaient soin d’utiliser une machine à écrire d’un modèle très répandu, une Remington portable. Pour la duplication, ils firent l’acquisition d’une ronéo dans un quartier très éloigné du leur. Autre précaution, l’impression avait lieu au domicile de Manfred Eickemeyer, un architecte qui avait mis son atelier à leur disposition. Entre deux tirages, le matériel était dissimulé par un ami libraire. Une fois édités, certains tracts étaient discrètement disposés sur des bancs publics, dans des cabines téléphoniques ou glissés sur le pare-brise d’automobiles en stationnement, d’autres éparpillés autour de la gare de Munich. Ils étaient aussi expédiés par la poste à des professeurs, des libraires, des directeurs d’école, et des médecins, mais aussi à des restaurateurs et des commerçants, dont les adresses étaient piochées dans des annuaires. Un tiers des destinataires du premier tract le remirent à la Gestapo…

Un réseau dans plusieurs villes du Reich

Durant l’été 1942, la diffusion des tracts stoppa brusquement. Hans Scholl, Alexander Schmorell et Willi Graf furent en effet envoyés sur le front russe en tant que médecins auxiliaires. En novembre, à leur retour, ils reprirent leurs actions de contre-propagande avec d’autant plus d’énergie qu’ils avaient été les témoins des exactions commises par la Wehrmacht et par les SS dans les zones d’occupation. Willi Graf avait même assisté aux crimes commis par les Einsatzgruppen, les terribles unités mobiles d’extermination. Quant à Sophie, sa détermination fut décuplée par les ennuis judiciaires subis par son père, condamné pour avoir traité Hitler de “grand fléau de Dieu”, mais aussi par la disparition d’un ami tombé sur le front de l’Est. Elle déclara alors :

Ça suffit. Maintenant, je vais faire autre chose ; je vengerai cette mort.

À compter de cette période, la diffusion des tracts ne se limita plus à Munich. La Rose blanche tissa un réseau dans plusieurs villes du Reich. À Stuttgart, Ulm, Cologne et Ausbourg, Sophie déposa des centaines de tracts dans différents bureaux de poste et boîtes à lettres. Willi fit de même à Sarrebruck, Bonn et Fribourg. Alexander à Salzbourg, Linz et Vienne. Des tracts parvinrent même à Berlin ! Il s’agissait de faire croire que l’organisation était tentaculaire. Le stratagème fonctionna un temps, mais la Gestapo, qui s’était dotée d’une unité d’enquête chargée de démasquer le groupe, finit par se rendre compte que les tracts étaient tous tapés sur la même machine à écrire.

«Notre histoire fera des vagues» prophétisait la jeune fille devant ses parents

Après l’humiliante défaite à Stalingrad, fut imprimé le 16 février 1943 le sixième tract – le dernier – en grande partie rédigé par Kurt Huber. “300 000 Allemands conduits à la mort à cause de la stratégie géniale du caporal de la Guerre mondiale. Führer, nous te remercions !”, ironisait le document. La Rose blanche n’était alors plus un petit groupe de province, mais un mouvement de résistance en contact avec de nombreuses cellules d’opposants. Une rencontre était même programmée entre les différentes organisations pour donner naissance à une structure unifiée. La fin tragique de la Rose Blanche empêcha qu’elle se tienne.

Huit décennies après l’arrestation de Sophie et Hans, des mystères demeurent. Pourquoi avoir décidé d’agir à visage découvert au sein de l’université ? Pourquoi n’avoir pas cherché à s’enfuir ? En réponse, de simples hypothèses. Parmi lesquelles celle de Fred Breinersdorfer, le scénariste d’un film consacré, en 2005, à Sophie Scholl :

Un étrange mélange de sang-froid et de témérité, d’euphorie et de dépression a sans doute déterminé cet acte…

Peu de temps avant son exécution, l’étudiante au visage d’enfant confiait à ses parents : “Notre histoire fera des vagues.” Elle ne se trompait pas. Aujourd’hui encore, une cérémonie a lieu chaque 22 février au pied du buste érigé à sa mémoire dans le hall de l’université de Munich.

➤ Article paru dans le magazine GEO Histoire n°74, Le nazisme et les femmes, de mars-avril 2024.

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