Greenwashing : les mille et une ruses des marques pour tromper le consommateur

Chiffres manipulés, labels douteux, « compensation » hypothétique… Comment distinguer le vrai du faux dans les promesses des marques ?

Si vous cherchez une paire de chaussettes, elle est forcément « durable ». Des cornichons ? « Bons pour la planète. » Vous avez honte de prendre l’avion ? Pas d’inquiétude, vous pouvez prendre un vol « 100 % compensé ». Depuis plusieurs années, les promesses environnementales ont envahi les rayons, sites de vente en ligne et messages publicitaires.

Mais souvent, le vernis vert de ces discours ne résiste pas aux faits. Ce qui explique pourquoi le réchauffement climatique a continué de s’aggraver, tandis que les émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France n’ont que timidement reculé en 2023. Ce greenwashing (écoblanchiment) dupe le consommateur bien intentionné et empêche de distinguer les engagements sincères des fausses promesses. Pour vous aider à y voir plus clair, Le Monde a décortiqué plusieurs des artifices les plus courants.

    Présenter les chiffres à son avantageEsquiver les engagements contraignantsMettre en avant de petits gestesFaire des promesses sur l’avenirAfficher des labels peu exigeantsExploiter les failles des réglementations

Jauger le caractère écologique ou non d’un produit soulève de nombreuses questions. Est-il fortement émetteur de GES ? Sa production et son utilisation nuisent-elles à l’air, à l’eau ou à la biodiversité ? Est-il durable ? Que deviendra-t-il après son utilisation ? Chaque réponse peut prêter à controverse. Le gouvernement français planche actuellement sur la mise en place d’une note environnementale des produits, sur le modèle du Nutri-Score dans l’alimentation, mais peine à trouver une formule convaincante.

Dans l’intervalle, certaines marques ne s’embarrassent pas de nuances, mettant en avant un chiffre censé démontrer les vertus de leurs produits. Ainsi, l’association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes Interbev minimisait les émissions de GES de l’élevage bovin dans un spot publicitaire diffusé à la radio début 2023 : « Les vaches sont des ruminants. Et la rumination produit naturellement du méthane. Ce méthane est compensé à 55 % par le stockage du carbone dans le sol des prairies. »

Saisi par un auditeur, le Jury de déontologie publicitaire, une instance d’autorégulation, a estimé que le spot incriminé avait pu « induire en erreur le public ». D’abord faute d’avoir cité la source de ses affirmations, mais surtout parce que le chiffre de 55 % d’émissions compensées ne concerne en réalité qu’un seul GES, le méthane. Or l’élevage bovin émet aussi du CO2, et ne compense au total que 15 % à 30 % de ses émissions de GES par le stockage de carbone dans les prairies et les haies, selon les sources.

Contacté, Interbev reconnaît que « sur ces sujets complexes, il est nécessaire de transmettre moins de messages pour mieux les expliquer ». L’association professionnelle assure qu’elle renverra à l’avenir les consommateurs vers des informations détaillées et des sources en ligne.

Les questions à se poser

  • La marque donne-t-elle la source de son chiffre ?
  • Que signifie vraiment cette donnée ?
  • D’autres sources présentent-elles une analyse différente du problème ?

La loi encadre de plus en plus strictement les promesses environnementales des entreprises. Depuis janvier 2023, les industriels qui vantent un produit « zéro carbone » doivent le démontrer, en fournissant un bilan détaillé de ses émissions de gaz à effet de serre.

Mais plutôt que d’apporter ces preuves, la plupart des marques ont préféré réviser leurs engagements à la baisse. Ainsi, la mention « 100 % neutre en carbone » qui figurait au pied du site de Nespresso, censée appuyer la revendication que « chaque tasse » de son café est « neutre en carbone », a été retirée au début de l’année 2023. Dans le même temps, l’entreprise a cessé de prétendre qu’acheter ses capsules de café en aluminium ne contribuerait pas au réchauffement climatique. Interrogé, le roi des dosettes de café assure curieusement qu’il s’agit d’« un choix », mais qu’il aurait pu tout à fait conserver cette mention. L’entreprise assure aussi avoir réduit les émissions de gaz à effet de serre de son café de près d’un quart entre 2009 et 2020, renvoyant vers le catalogue de ses actions pour le climat.

Nespresso est loin d’être la seule entreprise à se rétracter lorsqu’on lui demande de prouver qu’elle tient bien ses promesses. « Les communicants sont créatifs : quand il y a de la contrainte, ils trouvent souvent des solutions pour la contourner », analyse Clémentine Baldon, avocate spécialiste des contentieux environnementaux. Plusieurs mesures doivent durcir prochainement la lutte contre les fausses allégations environnementales au niveau européen pour tenter d’y remédier.

Les questions à se poser

  • Derrière les slogans, à quoi la marque s’engage-t-elle vraiment ?
  • S’agit-il d’une mesure concrète ?
  • Est-elle déjà appliquée ou s’agit-il d’une promesse à long terme ?

« Greenwashing » : le plan de Bruxelles pour mettre de l’ordre dans les labels verts

Lorsqu’il est impossible de se repeindre en vert, il est toujours possible d’attirer l’attention sur de petites initiatives isolées. « Nous prenons des mesures pour réduire notre impact environnemental », se félicitait ainsi la compagnie aérienne KLM en avril 2023, en annonçant recycler ses gobelets et dosettes de café, et valoriser son marc de café. Une initiative dérisoire rapportée à la contribution de l’aviation au réchauffement climatique. « Nous aurions dû mieux l’expliquer », reconnaît aujourd’hui KLM, déclarant avoir simplement voulu mettre en avant l’initiative d’une hôtesse de l’air.

Dans un registre plus technique, mais tout aussi trompeur, la société pétrogazière norvégienne Var Energi, dont 100 % de la production est centrée sur les énergies fossiles, se prétend sur le chemin de la neutralité carbone. Mais lorsque l’on regarde les actions prévues pour ce faire, on s’aperçoit très vite que cette promesse ne concerne qu’une partie du bilan carbone de l’entreprise – le processus d’extraction de l’énergie –, sans tenir compte des émissions liées à son utilisation. Or c’est au cours de leur combustion finale que les hydrocarbures contribuent le plus au changement climatique.

Les questions à se poser

  • Quelle est la portée de l’action vantée par l’entreprise ?
  • Représente-t-elle l’ensemble de ses activités ou seulement une petite partie ?

La neutralité carbone est-elle atteignable pour une entreprise dont l’activité est essentiellement assise sur les énergies fossiles ? Même après d’importants efforts, l’exploitation pétrolière conserverait des émissions loin d’être résiduelles. Pour résoudre cette délicate équation, TotalEnergies a une solution magique : la compensation carbone. Il s’agit de contrebalancer ses émissions de GES en développant des solutions équivalentes pour les absorber, par des plantations d’arbre, la création de puits de carbone ou tout autre mécanisme de séquestration des GES.

TotalEnergies projette ainsi d’atteindre le « net zéro » en 2050, en développant d’importants projets de stockage de carbone et des « solutions fondées sur la nature (puits de carbone naturels) ». Ce qui lui permet d’assurer que son empreinte carbone théorique en 2050, de l’ordre du quart de celle de 2015, pourrait être compensée. Mais l’agence de la transition écologique (Ademe) émet de sérieux doutes : si « une tonne de carbone est considérée comme équivalente à une tonne évitée ou séquestrée » dans la communication des entreprises, cette égalité entre les deux « n’est pas toujours vérifiée », écrit l’Ademe dans un guide où elle préconise de ne pas employer l’expression « produit neutre en carbone ».

Les engagements de compensation carbone future apparaissent souvent fantaisistes, car ils reposent sur des technologies incertaines et coûteuses. TotalEnergies investit d’ailleurs aujourd’hui bien davantage dans ses nouveaux projets fossiles que dans des projets renouvelables ou de captation des gaz à effet de serre. Plusieurs enquêtes et études scientifiques ont aussi montré que l’efficacité de programmes actuels a été largement surestimée. Aux promesses incertaines de compensation carbone, on peut donc préférer les réductions réelles d’émissions de GES à court terme.

Cette logique s’applique aussi aux déchets. Critiquée pour ses gourdes de compote jetables Pom’Potes, la société Materne promettait en 2020 de ne proposer que des emballages recyclables à partir de 2022. Pour l’heure, seul l’emballage des compotes bio a été repensé.

Les questions à se poser

  • Les actions vantées par cette marque visent-elles vraiment à éviter des dommages environnementaux ?
  • Ou s’agit-il simplement de les compenser ou à les réparer de manière hypothétique ?

Des fleurs, une planète, un sourire… Ces petits logos, de préférence en lettres vertes, qui se multiplient sur les emballages des produits, rassurent les consommateurs. Mais que recouvrent vraiment ces labels ? La réponse varie d’une référence à une autre.

Il faut déjà savoir qui les délivre. Les labels peuvent être gérés par des organismes publics, des organisations non lucratives, mais aussi directement par les industriels. Ces étiquettes répondent à des standards plus ou moins exigeants. Certaines répondent à un cahier des charges très précis avec des lignes rouge clair, alors que d’autres se contentent de grandes déclarations d’intention, peu contraignantes. Si des organismes certificateurs agréés par les pouvoirs publics mènent des contrôles sur les labels les plus sérieux (comme Agriculture biologique, AB, créé par le ministère de l’agriculture, ou le logo européen Eurofeuille), ce n’est pas le cas de bien des labels issus du secteur privé.

Prenons l’exemple du textile. Si vous cherchez à acheter un tee-shirt en coton issu d’une agriculture durable, vous pourrez trouver toute une série de références, qui correspondent à des logiques bien différentes. Le label GOTS niveau 1 atteste que le coton utilisé est à plus de 95 % biologique. Pour pouvoir s’en réclamer, il faut faire certifier sa production par un organisme extérieur, qui vérifie notamment la teneur en résidus de pesticides.

A l’inverse, le label Better Cotton Initiative est beaucoup moins exigeant. Ce n’est « pas un schéma de certification, mais un standard de durabilité volontaire » qui n’est pas équivalent au bio, reconnaît l’association chargée de ce label. Régulièrement accusée d’être aux mains des marques comme H&M, Ikea ou Wallmart, la Better Cotton Initiative ne garantit pas grand-chose. Aucun contrôle tiers ne vient ici attester du respect des engagements du label, qui sont souvent peu stricts. Ainsi, les producteurs sont invités à minimiser leur recours aux pesticides, et uniquement ceux qui sont « enregistrés au niveau national pour la culture concernée », sans seuil contraignant. Par ailleurs, l’organisme autorise les producteurs à remplacer ou mélanger du coton Better Cotton avec du coton conventionnel, tant que la proportion de ce dernier n’excède pas celle qui est labellisée.

Les questions à se poser

  • Qui est à l’origine de ce label ?
  • De quoi est-il censé attester ?
  • Quel en est le cahier des charges ?
  • Y a-t-il des vérifications de son respect et si oui, par qui ?

Notre comparateur pour mieux s’y retrouver dans les différents labels bio

Parfois, la législation elle-même ouvre la voie à un argumentaire environnemental contestable. Ainsi, la loi oblige les constructeurs automobiles à afficher clairement la classe d’émissions de CO2 par kilomètre parcouru pour chaque véhicule. Suivant cette logique, l’ensemble des véhicules électriques apparaissent dans la catégorie A, avec des émissions de GES nulles.

C’est ce qui permet à Renault et bien d’autres constructeurs de revendiquer des modèles « zéro émission ». Mais si les véhicules électriques n’émettent pas de CO2 en roulant, la production de l’électricité qui les alimente, et surtout la fabrication en amont des voitures et de leurs batteries, ont un impact carbone non négligeable – bien qu’inférieur aux modèles thermiques comparables.

Parler de véhicules « zéro émission » entretient l’idée qu’ils seraient sans conséquence pour l’environnement, ce qui est faux, et occulte les fortes différences qui peuvent exister entre deux modèles électriques.

Autre exemple : en intégrant le gaz aux énergies « durables » reconnues par sa nouvelle taxonomie, en 2022, l’Union européenne a donné un vernis officiel au discours des énergéticiens qui présentent le gaz comme « énergie de transition » – alors qu’il reste fortement émetteur en CO2. Les industriels savent tirer profit des incohérences de la réglementation. « C’est un vrai problème quand la loi elle-même donne une sorte de licence au greenwashing », déplore l’avocate Clémentine Baldon.

Comment l’industrie du gaz fait du lobbying pour défendre sa survie

Les questions à se poser

  • Ce produit ou service est-il vraiment « neutre en carbone » sur l’ensemble de son cycle de vie, de sa fabrication à son utilisation, puis à son recyclage ?
  • A quoi correspond la réglementation officielle sur laquelle s’appuient les producteurs ?

Vous avez des informations à nous transmettre ?

N’hésitez pas à contacter de façon sécurisée notre équipe enquêtes, qui se tient à votre disposition pour échanger avec vous si vous disposez d’informations ou de documents d’intérêt public.

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