Pesticides : « C’est comme si le Médoc ne pouvait pas vivre sans une viticulture qui resterait dans ces pratiques-là »

Marie-Lys Bibeyran, figure girondine de la lutte contre les pesticides dans la viticulture, présente ce vendredi son livre « On vous le dira dans vingt ans, Pesticides vin et bouche cousue », aux éditions BBD

interview – Marie-Lys Bibeyran, figure girondine de la lutte contre les pesticides dans la viticulture, présente ce vendredi son livre « On vous le dira dans vingt ans, Pesticides vin et bouche cousue », aux éditions BBD

C’est une des figures de la lutte contre les pesticides en Gironde. De 2011 à 2022, Marie-Lys Bibeyran s’est battue pour faire reconnaître les risques liés à l’exposition aux pesticides dans la viticulture du Médoc, en Gironde. Née dans une famille de viticulteurs et elle-même ouvrière viticole, elle a tenté de faire bouger les lignes de l’intérieur, sur ce territoire dominé par les grands châteaux et qui vit presque exclusivement du vin. Elle n’hésite pas à comparer les propriétaires viticoles à des seigneurs, et les ouvriers qui y travaillent à leurs vassaux.

Après avoir fermé son association Info Médoc Pesticides et arrêté son activité militante, elle retrace son parcours dans un livre intitulé « On vous le dira dans vingt ans, Pesticides, vin et bouche cousue », publié aux éditions BBD. Déjà disponible en précommande, il est présenté en avant-première dans le Médoc ce vendredi, et sa sortie nationale est programmée au 24 avril.

pesticides : « c’est comme si le médoc ne pouvait pas vivre sans une viticulture qui resterait dans ces pratiques-là »

La lanceuse d’alerte anti-pesticides raconte son combat dans un livre qui sort le 24 avril. – Marie-Lys Bibeyran

Pourquoi ce titre, et pourquoi avez-vous ressenti le besoin d’écrire ce livre ?

Quand on a diagnostiqué un cholangiocarcinome (cancer des voies biliaires) à mon frère, le 11 décembre 2008, il a demandé à son cancérologue si c’était lié aux produits de la vigne (qu’il a utilisés pendant plus de vingt ans). Le médecin a répondu : « on vous le dira dans vingt ans. » C’est du cynisme parce que mon frère, tombé malade à 46 ans, avait dix mois d’espérance de vie. Il n’a pas tenu davantage, et ce dans des conditions difficiles. Le cancérologue savait très bien que son patient ne serait plus là dans vingt ans.

J’ai écrit ce livre juste après avoir annoncé l’arrêt de mes activités militantes, en septembre 2022. C’est une façon de refermer ce chapitre et de faire un bilan de ce que c’est d’être une lanceuse d’alerte sur un terrain viticole, aujourd’hui, en France.

Après onze ans, quelle est la contribution principale à la lutte antipesticides que vous retenez ?

Là où l’on a incontestablement marqué des points, c’est sur la prise de conscience des habitants de ces territoires viticoles concernant leur exposition aux pesticides et aux risques associés.

Il est difficile maintenant, pour des propriétés viticoles dont les vignes sont à proximité d’habitations (ce qui est très courant dans le Médoc), de faire n’importe quoi aux abords de ces lieux de vie. Fini le temps où ils pouvaient pulvériser tranquilles sans être interpellés. Cela ne veut pas dire que les habitants ne sont plus exposés, ils le sont toujours. Mais, la profession doit composer avec eux.

Avec la fin de l’association et de son rôle de vigie et la disparition d’un inspecteur du travail dans cette zone, je crains néanmoins pour l’avenir, surtout que les décisions de l’équipe gouvernementale signent un retour en arrière catastrophique sur les interdictions des pesticides.

Comment expliquer que le combat antipesticides reste encore très laborieux et que les pratiques n’aient pas changé en profondeur, malgré les dangers avérés de ces substances ?

Il y a eu un élan populaire mais insuffisant pour faire basculer les choses. Quand je faisais des appels au financement participatif via mon collectif Info Médoc Pesticides, cela a toujours bien fonctionné. Nos marches blanches à Bordeaux et ailleurs comptaient de nombreux manifestants, et les pétitions recueillaient beaucoup de signatures. Mais cela aurait pu être beaucoup plus que ça… et alors, on aurait pu avancer davantage.

La raison ? Les liens qu’entretiennent les habitants et la viticulture. C’est un peu de l’ordre du religieux, du dogme. C’est comme si le Médoc ne pouvait pas vivre sans une viticulture qui resterait dans ces pratiques-là. Parce que faire évoluer les pratiques, ce n’est bien sûr pas faire disparaître la viticulture, comme on m’a accusé de le vouloir.

En quoi consistait votre stratégie de lanceuse d’alerte au niveau local ? Avec quels résultats ?

Je sais que ma stratégie était un peu « rentre-dedans » mais sur le terrain, c’était la façon d’obtenir les résultats les plus rapides, car c’est là que sont les opérateurs et les personnes exposées. Ceux qui ont essayé d’avancer autrement, en essayant d’être plus compréhensifs avec le monde viticole, n’obtiennent pas de meilleurs résultats.

Avec le collectif Info Médoc Pesticides, on a eu beau essayer d’être présents sur tous les fronts et de multiplier les enquêtes de terrain, cela n’a pas suffi. On a diffusé des informations, notamment des données chiffrées issues des analyses de mèches de cheveux de riverains (études Apache), avec des résultats difficiles à contester. Mais on est toujours face à ce mur, ce déni des institutions et de la société civile. C’est usant.

Quels effets la crise de surproduction qui frappe le vignoble bordelais va-t-elle avoir sur l’usage des pesticides ?

J’ai bien peur que cette crise ne soit un argument de plus pour ne pas évoluer, en arguant qu’ils n’ont pas les moyens d’une transition. Même en surproduction, les traitements ne sont pas réduits. Je reprends par exemple dans mon livre une phrase entendue en 2023 de la bouche d’un viticulteur : « faudrait bien un peu de maladie parce que la récolte, on ne saura pas quoi en faire ». Ils ont traité quand même…

La production de vins biologiques constitue une des réponses à la crise, ce sera toujours plus facile de vendre du vin biologique que non biologique. Ce n’est pas la seule réponse, mais ça en fait partie.

Vous rappelez aussi que le consommateur a du pouvoir en choisissant son vin…

Il y a un phénomène d’inflation, bien sûr, mais le vin reste un produit de choix qui n’est pas vital. Alors autant aller vers un produit de qualité, donc sans pesticides. On a maintenant des vins bio moins chers que des vins pesticidés. Nous sommes tous exposés, de près ou de loin, car des pesticides, il y en a partout (dans l’eau, l’air, les sols…) Là encore, je ne comprends pas pourquoi la société civile ne bouge pas davantage, car personne ne peut se dire qu’il n’est pas exposé.

Allez-vous quitter le Médoc ?

Je pourrai véritablement laisser tout ça derrière moi quand je ne serai plus dans le Médoc, où commence une nouvelle saison de traitement dont je serai la spectatrice. Je vais essayer d’éviter les territoires ayant les mêmes problématiques, ou du moins dans ces mêmes proportions.

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