«La motion de censure, un outil qui pourrait redonner la parole aux Français sur leur destin»

FIGAROVOX/TRIBUNE – Alors que la droite menace à nouveau de déposer une motion de censure, l’universitaire Guillaume Drago loue les vertus de cet outil constitutionnel qui est, selon lui, nécessaire lorsque le doute s’est installé sur la capacité de nos dirigeants à régler les problèmes du pays.

«la motion de censure, un outil qui pourrait redonner la parole aux français sur leur destin»

Éric Ciotti et Olivier Marleix à l’Assemblée nationale, le 12 mars 2024.

Guillaume Drago est professeur à l’Université Paris Panthéon-Assas.

Qu’est-ce qu’une motion de censure ? On en a perdu le souvenir précis car ce mécanisme d’engagement de la responsabilité du gouvernement n’a été conduit à son terme qu’en 1962, c’est-à-dire une seule fois sous la Ve République, lorsque le gouvernement Pompidou soutenait la réforme qui a conduit à élire le président de la République au suffrage universel direct.

Rappelons-en les éléments, inscrits à l’article 49, alinéa 2 de la Constitution : «L’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d’une motion de censure. Une telle motion n’est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l’Assemblée nationale. Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée. Sauf dans le cas prévu à l’alinéa ci-dessous, un député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure au cours d’une même session ordinaire et de plus d’une au cours d’une même session extraordinaire».

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Ce texte clair indique que seule l’Assemblée nationale peut mettre en cause la responsabilité du gouvernement, ce qui lui donne un avantage certain sur le Sénat. La chambre issue du suffrage universel direct peut s’opposer au Gouvernement avec un effet constitutionnel puissant : faire tomber ce Gouvernement, selon un mécanisme classique du régime parlementaire.

Il s’agit alors de rédiger une «motion de censure», un texte signé par un dixième au moins des députés (58) condamnant la politique de l’exécutif et demandant à l’Assemblée nationale d’apporter son soutien à cette motion. Le procédé est simple et n’exige pas de qualité politique ou rédactionnelle dépassant celle d’un député de base… Le vote intervient après un délai de quarante-huit heures, afin de faire réfléchir les auteurs de la motion et les éventuels votants. Ce délai est mis à profit par les députés pour compter leurs voix, comme pour le gouvernement pour compter les siennes. C’est un moment d’intenses tractations politiques puisque, une fois ce délai écoulé, le vote de la motion doit rassembler la majorité des membres composant l’Assemblée (289) pour faire «tomber» le gouvernement, c’est-à-dire pour constater qu’il n’a plus la confiance de l’Assemblée.

Pourquoi une seule motion de censure seulement a-t-elle été votée sous la Ve République ? C’est que, généralement, l’exécutif – président de la République et Gouvernement – dispose d’une majorité stable et forte de soutien à leur politique. Ce fameux «fait majoritaire» est l’une des constantes de la Ve République donnant de la stabilité aux gouvernements et permettant de conduire une politique sur le long terme.

Mais, justement, en présence d’une majorité relative depuis les élections législatives de 2022, le gouvernement peine régulièrement à faire voter ses textes de lois. Les oppositions, car elles sont plurielles, cherchent à mettre en difficulté le pouvoir mais n’arrivent pas à se liguer pour rassembler un front majoritaire susceptible de voter une motion de censure. L’épisode de 2022 contre le gouvernement Borne a bien failli réussir, à 9 voix de la majorité requise.

Les conditions politiques d’une motion de censure doivent réunir plusieurs éléments : un rejet général de la politique suivie, dans l’opinion et dans les partis d’opposition : nous y sommes. Un «facteur déclenchant» majeur : ce pourrait être le niveau du déficit public ou une notation abaissée de la France par des agences de notation : on y vient. Un texte clivant, fortement politique ou sociétal : on y est puisque le projet de loi sur «l’aide active à mourir» devrait être discuté dans les semaines qui viennent. À la vérité, il ne manque qu’une volonté politique d’une opposition rassemblée.

Le résultat du vote d’une motion de censure est l’obligation pour le gouvernement de présenter sa démission au président de la République, remise par le Premier ministre, selon l’article 50 de la Constitution : «Lorsque l’Assemblée nationale adopte une motion de censure ou lorsqu’elle désapprouve le programme ou une déclaration de politique générale du gouvernement, le premier ministre doit remettre au Président de la République la démission du gouvernement».

Mais ce processus conduit à son achèvement n’est que le premier pas de la reconstruction d’une opposition digne de ce nom. Car le président de la République doit alors nommer un nouveau premier ministre et un nouveau gouvernement. C’est là que le caractère de la classe politique va se révéler… ou pas. Car la logique veut alors que les oppositions rassemblées n’acceptent un premier ministre et un gouvernement que venant de leur rang. Tout autre choix par le président doit donner lieu à un refus de l’Assemblée nationale, par le vote d’une nouvelle motion de censure ou un refus d’approuver une déclaration de politique générale ou la présentation d’un programme sur lesquels le premier ministre engagerait sa responsabilité, comme le permet l’article 49, alinéa 1er de la Constitution : «Le premier ministre, après délibération du conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale».

Il s’agit alors, pour l’opposition parlementaire, de «tenir» face au président et de lui opposer un front uni pour changer de politique. On connaît alors la suite du processus. En l’absence de gouvernement acceptable par l’opposition, le président de la République ne peut plus que procéder à la dissolution de l’Assemblée nationale, selon l’article 12 de la Constitution, et renvoyer les députés devant les Français pour des élections législatives. Dans la logique du régime parlementaire, ce sont les électeurs qui devront arbitrer ce conflit entre l’Assemblée nationale et le président de la République. Soit conforter l’opposition parlementaire en faisant d’elle la nouvelle majorité et donc un nouveau gouvernement du même bord politique. C’est alors une nouvelle «cohabitation» dans laquelle l’essentiel du pouvoir revient au premier ministre. Soit soutenir le président de la République, désavouer les députés critiques et redonner une majorité forte à l’exécutif.

La motion de censure s’inscrit dans la logique des démocraties parlementaires et souligne combien le peuple doit être l’arbitre des conflits entre l’exécutif et le législatif. Cette respiration démocratique est saine et nécessaire lorsque le doute s’est installé sur la capacité de nos dirigeants à régler les problèmes du pays. Le temps est peut-être venu de redonner la parole aux Français sur leur destin.

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