Rendez-vous avec Maïtena Biraben : « Mesdames, n’ayez pas peur : 50 ans, c’est un âge jubilatoire ! »

Rendez-vous avec Maïtena Biraben : « Mesdames, n’ayez pas peur : 50 ans, c’est un âge jubilatoire ! »

Elle arrive avec cinq minutes de retard, s’excuse platement, pose son minuscule sac à main sur la table et commande une citronnade maison. Nous sommes chez Jeannette (Paris 14^e), un café qui lui ressemble, branché mais pas trop, où l’on peut bien manger et papoter tranquillement. Pull rose en cachemire, tatouage fleuri à l’avant-bras et cheveux blonds en épi, Maïtena Biraben a toujours l’allure de la bonne copine, nature, souriante et malicieuse, la même que l’on avait laissée sur les canapés cosy des Maternelles (sur France 5), il y a vingt ans.

Détendue, cool, à 56 ans ? Oui, mais « peut-être pas sereine, n’exagérons rien », prévient-elle dans son livre La Femme invisible (Grasset). Car, ne nous y trompons pas, Maïtena Biraben peut aussi être sérieuse, en colère et même révoltée. Et là, elle l’est. À 56 ans, elle a décidé de « changer le monde ». Rien que ça !

Devant nous, elle répète combien il lui est « insupportable » d’être assignée à être jeune et jolie : « Mais pourquoi je ne devrais pas vieillir ? Pourquoi est-ce qu’on s’adresse à moi en disant quelles crèmes, quels liftings, quelles techniques je dois utiliser ? Pourquoi est-ce qu’un homme de 50 ans, c’est la somme de tout ce qu’il a appris, compris, engrangé, perdu, gagné, exploré ? Et pourquoi, pour une femme, ce serait la fin de tout ce qu’on a été ? » L’ancienne présentatrice de La Matinale et du Grand Journal sur Canal+ en a marre du « récit privatif » que l’on fait de la femme sans règles. « Sans envie, sans vie » ? « Tout chez moi est avec ! », rétorque-t-elle.

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Et elle n’a pas peur de parler d’elle pour porter ce nouveau combat contre l’invisibilisation de la femme ménopausée. L’ex-mère célibataire, mariée trois fois, à la tête d’une famille recomposée, la femme qui déteste faire du ménage et du sport a toujours misé sur le travail pour s’épanouir avant d’être débarquée de Canal+, juste avant ses? 50 ans.

«Ã‚ J’ai lutté contre l’assignation toute ma vie pour me retrouver, à la fin de mes règles, de nouveau assignée, mais, cette fois, à? disparaître ! » Impossible pour celle qui exècre les « C’est comme ça ! » de se résigner à accepter l’inacceptable. Oui, elle a les seins qui tombent, des paupières qui tombent ? « un peu » ?, des rides du cou qu’elle compare à des « ravines en montagne », et, oui, comme sa mère avant elle, elle guette à la loupe les poils du menton? Mais elle a aussi une « richesse de savoirs », des « envies », « la pêche », « une force de vie usée et augmentée » et? « une liberté, comme jamais ! ». Bien sûr, elle a connu les coups de blues, les trous de mémoire, la fatigue, mais aussi des moments plus drôles comme, en périménopause, celui où elle a ressenti une « libido de dingue » : « Je n’avais qu’une envie, baiser ! Je n’arrivais plus à raisonner? Je me suis dit : ?C’est ça être un garçon ? L’enfer !? »

La cinquantaine, « une crise d’adolescence équipée d’un cerveau »

Alors pourquoi ne pas en parler et le partager avec d’autres femmes ? « Je dis : mesdames, n’ayez pas peur, ne soyez pas triste ! À 50 ans, on perd, mais on gagne aussi, du temps pour nous et la liberté d’être nous-mêmes, enfin? C’est un âge jubilatoire ! » Et si finalement la cinquantaine n’était qu’une « crise d’adolescence équipée d’un cerveau » ?

Maïtena Biraben compte bien déconstruire le mythe de la femme ménopausée-bonne-à-jeter tout comme elle avait, au début des années 2000, remis en question le modèle de la mère parfaite dans Les Maternelles. Avec son associée, la productrice Alexandra Crucq, elle lance donc un nouveau média 100 % digital, Mesdames, pour s’adresser aux femmes de plus de 45 ans. Étrangement, toutes les chaînes de télé à qui les deux femmes ont proposé leur projet de talk ont refusé, dans un premier temps.

«Ã‚ On parle de 9 millions de personnes, allô, quoi ! » s’offusque la productrice en reprenant le gimmick de Nabila. Ces 9 millions de femmes sont des forces vives de la nation ! Elles travaillent, elles produisent du PIB, elles élèvent, ou ont élevé des enfants, elles ont des relations sociales, elles sont une force économique, elles votent? Et personne ne s’adresse à elles ! Vous pouvez me citer un projet de loi qui concerne les femmes entre 45 et 65 ans ? En dehors de la réforme des retraites, où on a compris qu’elles étaient perdantes? » Maïtena Biraben se sent investie d’une mission : changer le regard sur ce quart de la population française (« J’ai participé de ce regard-là », confesse-t-elle), et tenter de changer le discours politique. « La société a changé, on meurt de plus en plus tard. On va mourir, vous et moi, on aura environ 90 ans, c’est dans 40 ans ! Ça va être long d’être ?vieille? pendant 40 ans? »

On connaissait les règles, des règles qui ne nous étaient pas favorables?

L’animatrice télé, qui a connu une carrière digne de celle d’un homme (en se battant notamment pour obtenir les mêmes salaires), n’a aucun regret. « J’ai eu une vie professionnelle fabuleuse, vraiment. » Elle n’a eu que des « jobs de pouvoir » et elle a gagné beaucoup d’argent. « Mais c’était un autre monde. » Le monde d’avant MeToo. « On connaissait les règles, des règles qui ne nous étaient pas favorables? » Ce mouvement de libération de la parole a mis certaines femmes de sa génération, dit-elle, dans une espèce de « malaise », un sentiment proche de la « culpabilité ». Ceux que l’on appelait « goujats » à son époque sont aujourd’hui considérés comme des « délinquants ». « Et c’est tant mieux ! » estime-t-elle.

Son dimanche idéal : « Je me lève, je glande, je fais lentement? Je vais au marché vers 10 heures, je cuisine. Vers 13 heures, il y a 7, 8, 10, 12 personnes qui arrivent à la maison. Je mets tout sur la table (tartare de thon, pâtés, salades, fromage, pain?), tout le monde se sert. On est dehors, il fait beau. On écoute de la musique, on s’allonge dans l’herbe, on picole : j’adore boire l’après-midi ! Vers 19 heures, on finit les restes. Et vers 23 heures, tout le monde va se coucher ! »

«Ã‚ Je pense profondément que si la génération des 20-30 ans peut faire avancer les choses aujourd’hui, c’est parce qu’on a tenu. On n’a pas navigué avec les mêmes armes. Nous, il a fallu qu’on fasse avec. Elles font contre, ou sans, mais c’est nous toutes qui faisons que ça change. MeToo, c’est une temporalité, mais qui appartient aux femmes. En tout cas, moi, je me l’attribue. » En revanche, ne comptez pas sur elle pour balancer des noms : « Je n’aime pas les chasses à l’homme. » Et d’expliquer : « Je pense que c’est une société qui est coupable, pas des individus seuls. Après, dans cette société, il y avait aussi des pervers et des délinquants parfaitement condamnables. »

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Mère célibataire et femme de pouvoir

De son côté, si victime n’est pas son « genre de beauté », elle dénonce tout de même dans La Femme invisible le « sexisme crasse et vulgaire » auquel elle a été confrontée lors de sa dernière année à Canal. Elle n’a pas refait de télé depuis. « Par choix, écrit-elle. Par blessure aussi, si je suis honnête. » Elle sort en effet d’un long combat judiciaire contre son ancien employeur, qui l’avait licenciée, à l’été 2016, « sans cause réelle et sérieuse ». « Pendant sept ans, j’ai affronté un mâle alpha pater familias type Ancien Régime qui m’a prise pour une quiche avec un grand mépris et je n’ai pas aimé. » La Cour de cassation a tranché, en 2023, condamnant le groupe audiovisuel à lui verser plus de 3,4 millions d’euros d’indemnités.

François Hollande et Maïtena Biraben. © WITT/SIPA / SIPA

François Hollande et Maïtena Biraben. © WITT/SIPA / SIPA

À 50 ans, elle commence donc une nouvelle vie, crée sa boîte, Mesdames Productions. Et à 56 ans, elle lance son média numérique. Ça, c’est son âge officiel. Dans sa tête, Maïtena a « bloqué » sur ses 28 ans, l’âge auquel elle a eu son premier enfant. « Ils disent que j’ai 56 ans. OK, si vous voulez ! Moi, j’ai 28 ans, je le sais ! » L’âge où, et ce n’était pas prévu, elle a dû élever seule son fils. « C’est la chose la plus triste qui existe au monde. C’est d’une grande violence. » Il a fallu tout gérer de front : le travail, bien sûr, dix à douze heures par jour, et s’occuper de « petit gars ». C’était le temps des Maternelles, une aubaine pour la jeune animatrice, qui avait commencé sa carrière en Suisse. « J’étais toute seule, je n’avais personne pour discuter. Et on me propose aux Maternelles d’avoir tous les spécialistes de la terre pour parler de mon fils, c’était génial ! »

Souvent on dit que je suis sans filtre, alors que je suis quelqu’un d’extrêmement réfléchi.

À la quarantaine, alors qu’elle est l’une des rares femmes à présenter une matinale, elle est encore « inquiète », dit-elle aujourd’hui en sirotant sa citronnade. « Je vais faire du bruit ! » prévient-elle, polie, avant d’aspirer les dernières gouttes de jus avec sa paille. « Souvent, on dit que je suis sans filtre, alors que je suis quelqu’un d’extrêmement réfléchi, de très cérébral. Mais je n’ai pas de limites, je suis quelqu’un de très libre ! » Elle marque un temps, rit d’elle-même : « Cette phrase est dingue? »

En effet, impossible de lui coller une étiquette, elle est « trop déformatée » (sic). Depuis son enfance, celle qui a grandi dans les Landes entre « quatre frères puissants », un « père raide » et une « mère glorieuse et malheureuse au foyer » observait avec lucidité le grand cirque et les attributions sociales. L’ado en Kickers et pulls informes ne pensait qu’à s’extirper de ce monde sans ailleurs. « Mes frères, ils ont toujours été eux-mêmes avant d’être des hommes. Moi, j’étais la fille de, la s?ur de, la femme de? Il a fallu que je n’aie plus de fonction ? professionnelle et biologique ? pour devenir qui je suis. »

À 50 ans passés, elle peut enfin dire « non » avec le sourire. « Moi aussi, j’ai été écrasée par le récit de la société. Il en faut de la force pour s’extraire de là où on est. » Dorénavant, elle vit dans son monde, qui a parfois des airs du monde de « Oui-Oui ». Et elle s’en moque : « Je n’ai pas le goût pour le malheur, j’ai envie de me marrer, de faire des câlins aux gens. C’est le privilège de l’âge, je veux des gens gentils dans ma vie, des attentions, du rire, du plaisir, du partage? On va tous mourir à la fin ! »

Chaque dimanche, Le Point a Rendez-vous avec des personnalités connues et moins connues du monde de la culture, de la télé, du cinéma, de la gastronomie, du sport, de l’entreprise? Ils et elles se prêtent au jeu de l’entretien intime, nous racontent leur parcours, parfois semé d’embûches, nous livrent quelques confidences et nous donnent leur vision de la société.