Qui était Lizzy Mercier Descloux, figure mythique et méconnue de la musique française ?

Décédée dans l’indifférence générale il y a tout juste vingt ans, la chanteuse parisienne avait émigré à New York en pleine période punk dès 1975, avant de se passionner pour les musiques antillaises et africaines, entre bien d’autres. Jamais réellement considérée en France, trop indépendante pour les carcans industriels, elle demeure une petite icône outre-Atlantique.

Sont-ce ces photos où elle pose ténébreuse et défiante ? Ou le fait qu’elle ne parle presque pas anglais ? Ou sa beauté insaisissable ? Son talent de musicienne, peut-être ? Un peu de tout cela à la fois certainement. Si à la fin des années 1970, le New York artistiquement bouillonnant est fasciné par Lizzy Mercier Descloux, jeune Parisienne débarquée à 18 ans au cœur de la mégalopole américaine, jusqu’à l’ériger en petite icône locale, la France ne connaît que très peu la vie de cette artiste hors du commun, presque trop libre, décédée le 20 avril 2004 soit il y a tout juste vingt ans.

Elle a vécu dans le même appartement que Patti Smith, fréquenté le fondateur du groupe Television, Richard Hell, traversé le continent africain du nord au sud pour enregistrer un album, fait partie des avant-gardistes de la world music, pour finir sa vie recluse, sans le sou, au fin fond de l’Eure-et-Loir, et par mourir d’un cancer en Corse à seulement 47 ans. Folle trajectoire et terrible destin qui, c’est une maigre consolation, renforce un peu plus le côté culte de sa figure.

Aux porte du succès

Restent six albums parus entre 1979 et 1988, dont un premier avec son groupe Rosa Yemen. Lizzy Mercier Descloux a, toute sa courte vie, était attirée par les exotismes en tout genre, même les plus miteux, pour finir par en devenir un à son tour. Arrivée aux Etats-Unis en pleine vague punk puis new wave en 1975, elle intègre la partie la plus expérimentale de ces mouvements, publie un premier album avec Rosa Yemen donc, puis un premier solo, Press Color. “C’était musicalement très radical, explique Simon Clair, auteur du livre Lizzy Mercier Descloux, une éclipse (Playlist Society, 2019). Il y a ces guitares électriques qui partent dans tous les sens, des paroles ni vraiment en anglais ni vraiment en français. Elle inventait des mots, presque comme dans un happening.”

Au cours de sa carrière, elle a tenté, à plusieurs reprises, de se faire un nom dans son pays d’origine. Par trois fois, elle a cru toucher le succès du bout des doigts, la reconnaissance. La première, c’était lors de l’interprétation de son titre Fire en direct sur TF1 et devant Serge Gainsbourg, en 1979, qui ne sera pas le tournant commercial espéré. Le deuxième, c’était avec un excellent album Mambo Nassau, bien trop mal compris et distribué dans l’Hexagone en 1981. Enfin, la troisième, c’était lors de la sortie du disque Zulu Rock en 1983, boudé par la presse et le public suite à une polémique concernant les crédits. “Le single s’appelle ‘Mais où sont passées les gazelles’ et parvient à rencontrer un auditoire, à être diffusé en radio, rembobine Simon Clair. C’est la première fois de sa vie que ça arrive.” Elle est allée enregistrer le disque en Afrique du Sud, en plein Apartheid, avec des musiciens locaux, après un périple africain de plusieurs mois payé par une grosse maison de disques, en l’occurrence CBS. Par cette démarche et son résultat musical, elle est l’une des pionnières de la world music, avant que le genre ne devienne un phénomène mondial, presque une norme pop. “Elle gagne le Bus d’Acier en France, qui est alors une récompense assez prestigieuse, il y a un boulevard. Mais puisque les musiciens africains n’avaient pas été crédités sur plusieurs morceaux, le spectre de l’appropriation culturelle lui revient dans la figure.”

Ni l’une ni l’autre

L’écoute de sa discographie dévoile une artiste et une femme hors cadres, qui joue de sa voix comme on joue d’une percussion, de la langue également, qu’elle maltraite malicieusement, et qui est capable, comme sur les albums Mambo Nassau ou Zulu Rock, de s’aventurer dans les contrées sonores peu familières des occidentaux de l’époque. “Les producteurs ont toujours eu besoin de comprendre si elle était une chanteuse à voix ou une punk déglinguée qui pourrait être marketée, continue Simon Clair. Elle n’était ni l’une ni l’autre. Lizzy avait un côté tête de mule.” Elle s’est pas mal abîmée en courant après un succès dont elle ne voulait peut-être pas vraiment, a fini par jeter l’éponge en 1988, après que la sortie de son sixième album, Suspense, ait été sabordée par sa maison de disques. Les voyages aux Antilles ou au Brésil ont rythmé la vie précaire qui a suivi.

Vingt ans après sa mort, Lizzy Mercier Descloux exerce encore une forme de magnétisme, notamment auprès des anglo-saxons. A travers sa musique, et à travers ses photos, qui dévoilent une femme totalement libre et habitée par la noblesse de l’indépendante.