« Portal Kombat », l’outil russe pour manipuler l’opinion en Europe

«Ã‚ Portal Kombat », l’outil russe pour manipuler l’opinion en Europe

De la désinformation, massive et organisée, via des dizaines de sites russes. Dans la guerre informationnelle qui oppose la France à d’autres puissances étrangères, un nouveau dispositif vient d’être mis au jour. Il s’agit d’un réseau de portails d’information numérique riche de 193 sites destinés à promouvoir massivement le point de vue russe sur la guerre en Ukraine. Les autorités françaises, qui le dévoilent ce lundi, l’ont surnommé « Portal Kombat » en référence au jeu vidéo Mortal Kombat.

Ce portail « offensif » est détecté en septembre 2023 par les équipes du service gouvernemental Viginum. Selon leur analyse, qui court jusqu’à décembre 2023, ces sites ont été créés par un acteur privé russe dès 2013. Ces sites prétendent couvrir l’actualité russe et ukrainienne de façon badine. En réalité, ils diffusent surtout des informations très orientées sur des villes ciblées avec précision, à la frontière entre la Russie et l’Ukraine, par exemple. Ces sites « dormants » ont été soudainement réactivés et musclés en 2022 dès le lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Ils ont alors réorienté leur activité vers les territoires ukrainiens occupés, puis vers l’Europe, en particulier la France, l’Allemagne et la Pologne (pays connus pour soutenir l’Ukraine dans ce conflit) en diffusant des fake news sur le conflit ukrainien.

À LIRE AUSSI Azerbaïdjan : Ilham Aliev, le dictateur qui veut déstabiliser la FranceSelon Viginum, les sites de Portal Kombat ne produisent aucun contenu original. Ils sont alimentés grâce à des publications prorusses sur les réseaux sociaux (VK et Telegram), des dépêches d’agences de presse russes et des sites officiels d’acteurs locaux (celui du gouvernement en Crimée, par exemple). Objectif : présenter sous un jour favorable « l’opération militaire spéciale » russe, fustiger les dirigeants ukrainiens présentés comme « nazis », « corrompus » et « incompétents », ou encore promouvoir le FSB, les services de renseignements russes ou dénigrer les pays qui soutiennent l’Ukraine.

« Écosystème Pravda »

Un premier groupe de sites a été désigné sous le nom d’« écosystème Pravda ». Créées en juin 2023, ces adresses à charte graphique similaires se nomment pravda-fr.com pour la France, pravda-de.com pour l’Allemagne, et ainsi de suite, pour l’Autriche, la Suisse, la Pologne, l’Espagne, le Royaume-Uni et les États-Unis. L’audience de ces sites est « modérée », indique une source diplomatique : seulement 10 000 vues pour pravda.fr en novembre 2023, et tout juste 34 000 pour son clone allemand.

Néanmoins, la France préfère mettre au jour les projets russes afin de les tuer dans l’?uf. « C’est toujours un équilibre difficile de communiquer sur ces sujets, confie une source diplomatique. Il ne faut pas survaloriser des actions qui seraient restées dans l’ombre autrement. Mais on est surtout jugés à l’aune de ce qui ne se produit pas : notre tempo d’action permet de désamorcer Portal Kombat avant qu’il n’ait un réel impact sur les opinions européennes. »

À LIRE AUSSI Le lent réveil de la France face aux menaces de l’espionnage chinoisUn deuxième groupe de 41 sites créé en 2022, comportant « news-ru » dans leur adresse URL, cible des localités très précises en Ukraine, à Kherson ou Marioupol, par exemple. Ils visent à « amplifier le ressentiment des populations locales russes à l’encontre des autorités ukrainiennes », indique une source diplomatique. Enfin, un troisième groupe de 147 sites, considérés comme les maillons « historiques » de Portal Kombat, diffusent des informations communes et automatisées en Ukraine et en Russie sur divers sujets depuis 2013. L’ensemble de ces sites ont été « boostés » sur les moteurs de recherche pour leur assurer une meilleure exposition.

Leurs publications sont massives : le 24 juin 2023, le site pravda.de a publié 1 687 contenus? dans la même journée. En moins de trois mois, les cinq sites comportant « pravda » dans leur URL ont publié plus de 150 000 articles. À l’été 2023, le site pravda-fr s’est ainsi concentré sur les crises au Niger et au Gabon, dénigrant la présence française au Sahel.

«Ã‚ Nous nous trouvons dans un contexte de tensions internationales exacerbé, basé sur le rapport de force et parfois la déstabilisation des démocraties occidentales, analyse une source diplomatique, qui précise que « le dispositif d’influence numérique russe est le plus actif à ce jour ». « Il y a une intensité et une intention évidente côté russe qui incite à la prévention », confirme une autre source.

«Ã‚ L’arme informationnelle est utilisée par la Russie de façon massive, ajoute une source militaire. Face à cela, il faut avoir une stratégie de temps long, avec de la pédagogie. Il faut documenter, expliquer, notamment en Afrique francophone où cette propagande a cours. Portal Kombat n’est que la toute petite partie émergée d’un iceberg de désinformation. » L’année 2024 est celle des élections présidentielles russe et américaine, des élections européennes et des Jeux olympiques de Paris. Autant d’événements sur lesquels les tentatives d’ingérences étrangères seront plus que jamais scrutées.

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