Qui est Mohammad Rasoulof, cinéaste iranien condamné à de la prison et à des coups de fouet ?
Le cinéaste iranien Mohammad Rasoulof a été condamné à une peine de huit ans de prison, dont cinq ans applicables, selon son avocat. AFP/Valery Hache.
La sentence est tombée. Le cinéaste iranien Mohammad Rasoulof a été condamné à une peine de huit ans de prison, dont cinq applicables, ainsi qu’à des coups de fouet, une amende et la confiscation de ses biens par un tribunal iranien, pour « collusion contre la sécurité nationale ».
Son dernier film « The seed of the sacred fig » sera présenté sur la Croisette la semaine prochaine. L’avocat du réalisateur a d’ailleurs affirmé que les autorités avaient convoqué des membres de l’équipe du film pour des interrogatoires et qu’ils avaient subi des pressions pour retirer le film des compétitions internationales.
Cinéaste multiprimé
Né en 1972 à Chiraz, dans le sud-ouest de l’Iran, Mohammad Rasoulof a étudié la sociologie, puis le montage à Téhéran. Il commence sa carrière de réalisateur avec une série de courts métrages. Il se fait connaître en 2005 avec « La vie sur l’eau » qui raconte l’histoire de familles venues s’installer sur un cargo au large des côtes iraniennes. Le film est sélectionné pour la Quinzaine des réalisateurs de Cannes, en 2005 et obtient le Prix spécial du jury du Festival de Gijón, en Espagne.
En 2009, le cinéaste sort « Keshtzaraye sepid », « The White meadows », qui raconte l’histoire d’un homme qui parcourt les îles du golfe Persique pour recueillir les larmes des habitants. Puis en 2010, il réalise dans des conditions semi-clandestines « Au revoir », qui remporte le prix de la mise en scène dans la sélection « Un certain regard » du Festival de Cannes 2011. Le film raconte le quotidien d’une avocate de Téhéran à la recherche d’un visa pour quitter le pays.
Une œuvre engagée
L’œuvre du cinéaste est marquée par sa critique du pouvoir. En 2010, il est arrêté avec Jafar Panahi, réalisateur phare de la nouvelle vague iranienne. Ils sont soupçonnés de préparer un film hostile au nouveau président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, et sont condamnés à six ans de prison en décembre 2010 pour « actes et propagande hostiles à la République islamique d’Iran ». Une peine associée à vingt ans d’interdiction de tournage. En appel, cette dernière est réduite à un an de prison et ne sera finalement pas appliquée. La Cinémathèque de Paris avait diffusé en février 2011 les films des deux cinéastes en signe de soutien.
En 2013, dans son film « Les Manuscrits ne brûlent pas », qui remporte le prix de la Fédération internationale de la presse cinématographique (Prix Fipresci) à Cannes, il dénonce la censure du régime. Lorsqu’il rentre en Iran, son passeport et ses effets personnels sont confisqués à l’aéroport. Il est libéré sous caution.
Quatre ans plus tard, « Un homme intègre », est présenté au Festival de Cannes dans la sélection « Un certain regard ». Le long-métrage qui dénonce la corruption en Iran, dépeint le portrait d’un homme simple qui refuse des pots-de-vin et qui est broyé par le système. Il reçoit le Grand prix pour ce film tourné en Iran, avec une autorisation accordée par les autorités sur la base d’un scénario édulcoré.
Accusé de « propagande contre le régime », le cinéaste iranien se voit confisquer son passeport alors qu’il revient d’un festival aux États-Unis. Une pétition visant à soutenir « la liberté d’expression » de Rasoulof est lancée à cette occasion, recueillant plus de 4 000 signataires.
« Je dois innover pour contourner les contraintes »
Malgré les risques, le cinéaste iranien a toujours choisi de revenir dans son pays. « Je suis iranien et je fais des films en Iran. Car la situation ne changera pas si l’on reste à l’extérieur », avait-il déclaré à Michèle Halberstadt, d’ARP Sélection, distributrice du film, citée par Le Monde.
En 2017, Paris Match avait interviewé le cinéaste, à l’occasion de la sortie du film en France. « À chaque fois que je me lance dans la production d’un nouveau film, je dois innover pour contourner les contraintes de la censure », expliquait-il. « La situation en Iran est telle que l’on se retrouve quotidiennement face au dilemme cornélien d’opprimer ou non l’autre, tout en étant soi-même opprimé par d’autres ! C’est le dilemme du piétiné qui piétine, de l’écrasé qui écrase. Ce dilemme déchirant n’est pas le choix des gens. Il a été imposé aux gens par le pouvoir », dénonçait-il.
En 2020, il reçoit l’Ours d’or du festival de Berlin pour « Le diable n’existe pas ». Ce film, tourné clandestinement, aborde la façon dont la peine de mort est appliquée en Iran à travers quatre histoires où le libre arbitre et la désobéissance des personnages sont questionnés. Interdit de sortie du territoire, Mohammad Rasoulof ne peut aller chercher son prix.
C’est sa fille unique, Baran, qui a vécu à Paris avec sa mère dès l’âge de 12 ans pour fuir les représailles du régime iranien qui montera sur scène à sa place. Dans le JDD, la jeune étudiante en médecine, qui a joué dans le film est revenue sur ce moment. « J’étais très nerveuse à l’idée de parler devant un public, alors je lui ai demandé son avis au téléphone. Il m’a répondu que ça lui ferait plaisir que je monte sur scène, mais qu’il ne m’en voudrait pas si je ne m’en sentais pas le courage. Forcément, j’y suis allée… »
Une arrestation en 2022
En juillet 2022, il est de nouveau arrêté et emprisonné, avec un autre cinéaste iranien Mostafa Aleahmad, après la publication d’une lettre ouverte qui appelait les forces de sécurité à « déposer les armes » face à l’indignation qu’avait suscitée l’effondrement d’un immeuble dans le sud-ouest du pays. Ce groupe de cinéastes iraniens, accusés d’encourager les manifestations, dénonçait « la corruption » et « l’incompétence » des responsables. Les autorités iraniennes avaient aussi arrêté Jafar Panahi au tribunal, alors qu’il était venu exiger des informations sur l’arrestation de ses confrères.
Après sept mois d’emprisonnement, Mohammad Rasoulof avait été libéré à titre temporaire pour raisons de santé. Jafar Panahi avait également été libéré sous caution. À l’époque, le Festival de Cannes avait condamné ces arrestations « ainsi que la vague de répression visiblement en cours en Iran contre ses artistes » et demandé la libération des trois réalisateurs. Invité en tant que jury du festival en 2023, Mohammad Rasoulof n’avait pu quitter le territoire iranien.