Raphaël Glucksmann, l’empêcheur de voter en rond ?

Raphaël Glucksmann, l’empêcheur de voter en rond ?

Gabriel Attal nommé à Matignon ? « Ça m’a mis un coup de boost ! » défie Raphaël Glucksmann. Si la désignation d’un Premier ministre de 34 ans à la popularité ? pour l’heure ? insolente est censée faire rempart, on le sait, à l’ascension du patron du Rassemblement national, Jordan Bardella, aux élections européennes du 9 juin, il n’est pas interdit de penser qu’Emmanuel Macron avait une autre idée en tête.

En choisissant un chef du gouvernement issu de l’aile gauche de la macronie, qui fit ses premières armes dans les cabinets ministériels de l’ère Hollande, il entend aussi freiner sur sa gauche un autre adversaire, le futur leader de la liste PS-Place publique.

Lequel ambitionne ouvertement d’aspirer les électeurs déçus du macronisme qui se bouchent le nez devant le virage droitier du gouvernement et qui n’ont sans doute pas été rassurés par la conférence de presse du président aux accents populistes et conservateurs.

Une campagne sans concessions

Mais depuis quelques jours, voilà Raphaël Glucksmann désigné également comme l’ennemi politique numéro un par les Insoumis, qui le prennent pour cible sur les réseaux sociaux, tandis que le député LFI de la Somme François Ruffin l’a interpellé, vendredi 19 janvier, dans un long message sur X (ex-Twitter).

Si on ne connaît pas encore tous les candidats sur la ligne de départ, les sondages frémissent doucement pour l’essayiste, engagé en politique depuis 2018, et ne montrent, à ce stade, pas d’impact de la nomination de Gabriel Attal sur les rapports de force.

Selon une enquête Harris-Interactive, la liste Glucksmann arriverait ainsi en troisième position avec 11 % des intentions de vote, derrière le RN à 28 % et la liste Renaissance à 19 % ? dans l’hypothèse d’une candidature de l’ancien ministre Olivier Véran.

Selon un autre sondage Ifop, la liste Glucksmann atteindrait 9 % dans l’hypothèse Véran, faisant jeu égal avec la liste écologiste de Marie Toussaint, et 10 % si la liste macroniste avait été portée par le désormais chef de la diplomatie Stéphane Séjourné (contre 9 % pour les Verts).

C’est nettement plus que son score des européennes 2019, 6,2 %, mais la tendance reste à consolider dans une campagne qui s’annonce déjà sans concessions. Bien décidé à faire le plein à gauche, Glucksmann s’affichait ce samedi en meeting à Bordeaux avec José Bové, icône des altermondialistes.

Supposée complaisance envers Israël

Avant Noël, cet ovni politique, mi-activiste, mi-essayiste, avait déjà reçu le soutien d’un très proche du président, Daniel Cohn-Bendit, qui avait porté les Verts au score canon de 16,3 % aux européennes il y a quinze ans. Raphaël Glucksmann laisse donc la porte ouverte à un accord avec les écolos, mais prévient : « On n’attendra pas. » Pas question, comme il y a cinq ans, de perdre un temps précieux de campagne en tractations de coulisses.

À LIRE AUSSI Alain Joyandet (LR) : « Le moment est venu de mettre en place une coalition avec la majorité » Inquiéterait-il les Insoumis, dont la liste portée par Manon Aubry oscille entre 6 et 7 % ? Selon Harris-Interactive, le député européen bénéficierait de bons reports des électeurs de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle : 39 % d’entre eux se porteraient sur la liste Aubry et 24 % sur la sienne.

Il n’est guère surprenant, dès lors, qu’il fasse l’objet, sur les réseaux sociaux, d’une insistante campagne épinglant sa supposée complaisance envers Israël depuis les massacres du 7 octobre. Des accusations nauséeuses, mais qui sera surpris ?

Couper net le lien avec LFI

C’est omettre que, dès le 8 octobre, lors d’un meeting à Paris, il dénonçait les « actes terroristes » du Hamas et appelait à la « fin de la colonisation » par Israël et à « la reconnaissance de l’État palestinien », quand une large partie de la gauche se fourvoyait.

Ces jours-ci, Glucksmann a vivement riposté sur son compte Instagram aux 800 000 abonnés en rappelant qu’il avait voté « pour un cessez-le-feu immédiat » face « au carnage à Gaza ». Ajoutant, à toutes fins utiles, à l’attention des Insoumis, avec qui il a toujours refusé de discuter ou de nouer quelque alliance : « Leurs attaques incessantes s’expliquent par des raisons bassement politiciennes. »

À LIRE AUSSI « Vieux jeu », Emmanuel Macron ? Et si Jean-Luc Mélenchon, de crainte de le voir percuter la liste Aubry, s’engageait dans la bataille des européennes ? « Ça me mettrait un coup de boost aussi », lance Glucksmann, qui y verrait une façon de clarifier le débat, alors qu’une partie de la gauche rechigne encore à couper net le lien avec LFI et à acter la mort de l’alliance électorale de la Nupes. Le 9 juin, c’est aussi une partie de l’avenir de la gauche qui se joue. Et les partisans de Glucksmann espèrent bien le voir peser à l’avenir sur la recomposition d’une gauche réaliste et réformiste.

Débat captivant à gauche

Autrement plus complexe s’annonce la riposte au long courrier que lui a adressé ce vendredi François Ruffin sur X. Loin des invectives peu glorieuses de son camp, l’élu LFI de la Somme porte le fer sur certaines divergences fondamentales, actant « un franc désaccord » sur la question de l’élargissement de l’Union européenne à l’Ukraine, alors que des négociations au long cours sont désormais ouvertes.

Ruffin se dit heurté d’avoir entendu Glucksmann, le 14 janvier sur France Inter, suggérer aux opposants de l’adhésion de Kiev de voter RN, en ces termes : « Si vous êtes farouchement hostile à cette adhésion, si vous pensez que c’est une catastrophe, je vous propose de voter pour la liste du RN. » Au risque d’apporter du grain à moudre à la liste Bardella, qui n’en a guère besoin.

«Ã‚ Quel cadeau ! Bon sang, vous croyez que Marine Le Pen a besoin de votre coup de pouce ? » s’insurge Ruffin. Réticent pour sa part à cette adhésion, il rappelle le coût des précédents élargissements en termes de délocalisations.

À LIRE AUSSI Loi immigration : pourquoi le RN rêve, comme le gouvernement, d’une censure constitutionnelle « Et cette réticence est partagée, largement, il me semble, dans mon coin, dans tout le pays je dirais. Non par racisme, non par égoïsme, mais par expérience. Nous avons déjà donné, en vies brisées, en salariés licenciés. Et à eux, vous faites la leçon. Eux, vous les poussez dans les bras du RN, bravo ! Chapeau ! Je fais de mon mieux, moi, je me bagarre, pour les ramener à gauche, eux, dont les parents, les grands-parents, ont voté socialiste, communiste, et vous leur dites, vous : “Partez ! La gauche vous emmerde ! Allez voir Bardella !” »

Subtile façon de placer la future tête de liste PS-Place publique face à une contradiction : lui-même s’indigne de voir le débat des européennes confisqué par l’affrontement entre Renaissance et le RN, désigné de fait comme l’unique rival par Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse. « Nous ne laisserons pas le match Attal-Bardella kidnapper ces élections », s’agaçait Glucksmann dans un entretien au Monde.

Voilà qui augure d’un débat captivant et de haut vol à gauche. D’autant que François Ruffin précise qu’il ne s’agit en rien d’une déclaration de guerre. « Je ne veux pas d’un retour des “deux gauches irréconciliables”. Ce serait la certitude de la défaite, la voie ouverte au pire. Car, oui, je vois se dessiner le tableau. Une partition même où chacun joue son solo, se tourne le dos : une gauche radicale qui fait tout pour effrayer, et un centre-gauche tout pour désespérer », écrit-il. On attend avec impatience la réponse de l’essayiste.