Sur fond d’intense conflictualité politique – complexe, pour ce qui est des principaux mouvements actuels, les protestations massives contre la montée de l’extrême droite en Allemagne ne se recoupant pas forcément avec le soutien, lui aussi très relayé, à un cessez-le-feu à Gaza – la Berlinale a continué, aux premiers jours de sa 74e édition, à projeter des films. Ou principalement : l’écran de son tapis rouge, aux abords de Potsdamer Platz, diffusant aussi, de bon matin, des clips d’allure publicitaire pour la sauvegarde de la démocratie. D’un cinéma démocratique, ou bien qui ne le serait pas, c’est tout un programme de réflexion. En tout cas, les salles sont pleines, prêtes à accueillir tous les films. Mais certains semblent s’adresser à elles avec plus de nécessité que d’autres, avec plus de croyance, plus de doute, plus d’urgence.
Jouissance autoritaire et égotisme
A considérer les films français, nombreux en ce week-end d’ouverture, quelque chose de cet ordre se dessine, qu’il faudrait pouvoir exprimer sans trop forcer le trait. L’Empire de Bruno Dumont et Hors du temps d’Olivier Assayas, tous deux en compétition, ont pour seule chose en commun de nous parvenir de cinéastes installés, les auteurs d’un film de plus. Le premier est desservi par sa force, brutale, le second par sa ténuité. Chez Dumont, l’affrontement éternel du Bien et du Mal dans l’Histoire – c’est beaucoup de majuscules – est adapté en guerre des étoiles. Les deux principes extraterrestres s’y battent pour le contrôle de la Terre, mais butent sur la nature humaine, essentiellement double, car faite de la sensualité de la chair, innocente jusqu’à preuve du contraire. Mais le plaisir n’est pas au rendez-vous, contrecarré par la jouissance autoritaire, irrespirable, du metteur en scène sur sa création. Tout y semble prouvé et éprouvé d’avance.
Chez Assayas, plutôt que le Bien et le Mal, ce serait les maux et les biens. Une remise en scène autobiographique du confinement du printemps 2020 (le cinéaste, son frère, leurs conjointes, se retrouvant les uns sur les autres dans la maison d’enfance des premiers) est l’occasion d’une étude sur les liens fragiles unissant les familles au temps vite oublié du Covid, d’un traité sur la désuétude (ne pas être de son temps, avoir fait son temps) et d’une méditation sur l’héritage, dont le scénario confine à la déclaration de patrimoine. Le film semble étrangement vide d’autre sujet que soi-même (l’auteur), sans réussir à faire de cet égotisme une maladie intéressante. Les plans sont recouverts de mots, et les mots semblent dits dans le vent, en pure perte. Sans aucune confiance, lui non plus, dans les choses.
Déni rendu visible
Mais qu’est-ce que serait, en revanche, un film nécessaire ? Ça sonne atrocement ennuyeux ? Nécessaire à lui-même, avant de l’être au monde, contre l’usage éventé de l’adjectif. Ou qui ferait de cette nécessité vertu, de cette douleur, autre chose, un allègement, même fugace. Une famille de Christine Angot (section Encounters) commence comme un pied dans la porte, mais finit par l’indication d’un langage futur, d’une parole enfin possible. C’est peut-être un film «sur» l’inceste que l’écrivaine a subi de la part de son père – c’est surtout un film sur les mots que les autres, autour d’elle, choisissent pour lui en parler, au moment où elle le leur demande. Angot, dans ses livres, dans sa vie sans doute, a passé son temps à chercher les mots les plus exacts pour dire. Dans son film, elle cherche autre chose. Quoi ? Non à tirer des autres (de la femme de son père pleine d’un déni rendu visible, d’une violence folle, mais aussi de son ex-mari, de sa mère, de son amoureux, de sa fille, et d’autres alliés ou ennemis) justice, ni réparation, mais à voir s’ils sont capables d’exprimer, face à elle, à son adresse directe, une émotion. C’est-à-dire à la fois de la ressentir et de trouver des mots pour la dire. C’est le film expérimental de cette recherche, et il est, à son tour, extrêmement émouvant : par effraction d’abord, et par ténacité, puis par tendresse, enfin.
L’écrivaine Christine Angot dans son film «Une famille».
Et c’est Dahomey, de Mati Diop, en compétition, le premier grand film de cette Berlinale. Film parlant, du fond du silence. Film dont on entendra parler. Dahomey est un documentaire épique, il retrace les épisodes de la restitution au Bénin par la France, en novembre 2021, de 26 œuvres d’art et objets du trésor royal du Dahomey, volés en 1892 lors du pillage de la ville d’Abomey par les troupes de l’armée coloniale. A la description précise, matérielle, des étapes de ce retour, et de l’accueil fait aux œuvres – sur les plans scientifique, politique, affectif, muséal – dans leur pays d’origine, la cinéaste franco-sénégalaise entrelace une autre ligne brisée, en rendant son âme, et sa voix d’outre-monde, grâce à un texte du poète haïtien Makenzy Orcel, à l’objet n° 26, la statue du roi Ghézo, corps de bois, de métal, de son et d’autres forces. Diop invente le cinéma fantastique décolonial qui pourrait se placer à la hauteur des besoins, des espoirs, des pensées infinies de la jeunesse béninoise, africaine, postcoloniale, mondiale, obligée de tout reconstruire en cherchant sur quoi s’appuyer. Si l’objet est d’art, il est aussi rituel, magique et politique, comme le film qui lui tourne autour. Par la voix d’une étudiante, lors du débat qui est en son cœur et que le film laisse grand ouvert, comme un appel d’air, Dahomey pose une question géniale et troublante. Les musées à l’occidentale (comme les festivals européens), avec leurs vitres et leurs grilles, sont-ils là pour protéger les œuvres ou aussi bien pour nous protéger d’elles et de leurs pouvoirs : de leur puissance de changement, de dévastation et de vérité ?
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