Obésité : « Le soin ne doit pas faire oublier la prévention »
Obésité : « Le soin ne doit pas faire oublier la prévention »
La Pr Martine Laville est l’auteure du rapport « Mieux prévenir et prendre en charge l’obésité en France », remis en avril 2023 au ministère de la Santé. Jusqu’en 2023, elle dirigeait le Centre intégré de l’obésité des Hospices civils de Lyon (Rhône).
Le Point : Existe-t-il une exception française à l’obésité ?
Pr Martine Laville, auteure du dernier rapport sur l’obésité en France. © Stéphane Audras/Réa
Pr Martine Laville, auteure du dernier rapport sur l’obésité en France. © Stéphane Audras/Réa
Pr Martine Laville : On pourrait le croire à la lecture des résultats, largement relayés en mars, d’un article du Lancet. Ces chercheurs s’intéressaient à l’épidémie d’obésité dans le monde ? plus de 1 milliard de personnes sont touchées ? mais ils ont souligné quelques rares exceptions, parmi lesquelles la France, où le taux d’obésité s’infléchirait. Leurs conclusions sont erronées, car elles se basent sur un échantillon de population plus aisée que la moyenne des Français. En résumé, nous ne sommes malheureusement plus une exception, même si nous sommes encore loin d’être parmi les pires élèves du monde.
À LIRE AUSSI Prise de poids : pourquoi mange-t-on plus qu’on ne le pense ? Notre pays est traversé par deux tendances bien distinctes?
D’un côté, le surpoids n’augmente plus chez les Français ? les courbes stagnent depuis 2012. De l’autre, le taux d’obésité continue de grimper : 17 % de la population générale est désormais concernée, soit un quasi-doublement en vingt ans. Le rythme est particulièrement préoccupant dans la catégorie des obésités massives, définies par un indice de masse corporelle supérieur à 40.
Comment expliquer ce décalage entre un surpoids stabilisé et une obésité qui flambe ?
Il existe une grande hétérogénéité selon les origines sociales. La stabilisation du surpoids est notamment due à l’efficacité du Programme national nutrition santé, instauré depuis 2001. Les messages de prévention répétés et ceux des multiples campagnes sur l’équilibre alimentaire ont été bien intégrés par une partie de la population, principalement la frange la plus aisée. En revanche, ces messages ratent la cible des personnes issues de milieux moins favorisés, qui sont plus souvent exposées à de nombreux facteurs d’obésité liés au mode de vie et à la consommation. Et c’est dans cette frange de la population que l’obésité progresse le plus vite. Il y a près de 2,5 fois plus d’obésité chez les gens vivant avec moins de 1 000 euros par mois que chez ceux vivant avec plus de 4 200 euros.
À LIRE AUSSI Maigrir : la révolution des médicaments anti-obésitéLa situation chez les enfants vous inquiète-t-elle ?
La stabilisation du poids moyen des petits Français est réelle, mais trompeuse. Elle cache un grand écart entre les milieux sociaux. À titre d’exemple, les enfants d’ouvriers ont quatre fois plus de risques d’être obèses que ceux des cadres. Si la tendance est plutôt à la diminution du poids chez les enfants des milieux favorisés, c’est l’inverse pour les enfants des autres milieux. Ce qui est problématique, c’est que l’obésité touche des patients de plus en plus jeunes et dans des formes de plus en plus sévères. Nous voyons des cas qui n’existaient pas il y a dix ou quinze ans. C’est un marqueur inquiétant pour le futur de notre société puisqu’un enfant obèse sur deux deviendra un adulte obèse.
À LIRE AUSSI Pourquoi bien dormir aide à mincirLe mode de vie « à la française » ne nous protège-t-il plus ?
Certaines de nos traditions culinaires sont précieuses, comme les trois repas pris ensemble à horaires réguliers. L’alimentation est un acte social. Partager ses repas permet aussi d’éduquer au goût des aliments et peut ainsi contribuer à adopter un régime alimentaire plus varié. De plus, en France, on dira facilement à un enfant qui se plaint d’avoir faim entre les repas, d’attendre de passer à table. À l’inverse, dans les pays anglo-saxons par exemple, le grignotage est culturel. Cette tendance gagne malheureusement notre pays. Or notre organisme est fait pour alterner des périodes d’alimentation et des périodes de jeûne, où il utilise cette nourriture pour fonctionner. Le grignotage oblige l’organisme à être en permanence en phase physiologique de « nourrissage » avec des taux d’insuline plus élevés et, à terme, un stockage renforcé des graisses.
À LIRE AUSSI Obésité : cinq régimes au banc d’essaiLes nouveaux médicaments contre l’obésité suffiront-ils à gagner le combat ?
C’est le début d’une histoire importante. Mais le soin ne doit pas faire oublier la prévention. L’urgence, en France, c’est de nous doter d’un plan obésité aussi ambitieux que le plan cancer, orchestré par Matignon sur dix ans renouvelables. Ne soyons pas naïfs : aussi performants soient-ils, les médicaments ne pourront pas résoudre à eux seuls l’épidémie d’obésité !