Droit à l'image des enfants: pourquoi certains parents pourront perdre leur "autorité parentale numérique"

Mercredi 7 février 2024, l’Assemblée nationale votait une loi visant à davantage protéger les enfants sur internet, et plus particulièrement leur présence sur les réseaux sociaux.

Après un an de tractation, l’Assemblée nationale a finalement voté la loi visant à “garantir le respect du droit à l’image des enfants” ce mercredi 7 février 2024. Un vote qui s’est fait à l’unanimité, alors que le texte cherche à mieux encadrer cette tendance très présente sur les réseaux sociaux: mettre en scène son enfant au détriment de sa vie privée.

Les enfants sont rompus à l’utilisation des smartphones. (illustration)

Le “sharenting” pointé du doigt

Depuis plusieurs années et l’avènement des réseaux sociaux de partage de photos, comme Instagram ou Snapchat, un phénomène a vu le jour. Baptisé “sharenting”, contraction du mot “Share”, partager”, avec le mot “Parenting”, il s’agit du partage par les parents de tranches de vies familiales, mettant de fait très en avant leurs enfants.

Le phénomène n’est certes pas nouveau, mais il a pris une autre dimension lorsque les influenceurs, devenus parents, ont parfois utilisé leurs enfants de manière abusive, les surexposant alors qu’ils n’avaient parfois que quelques semaines. Une tendance d’autant plus forte qu’elle permet des séquences virales, surtout lorsque les enfants prennent place dans la stratégie de communication de ces personnalités issues notamment de la télé-réalité.

C’est aussi leur présence dans le cadre de publications publicitaires qui pose problème au législateur – qui avait d’ailleurs déjà statué sur le sujet dans une loi dédiée aux enfants influenceurs.

L’année dernière, l’influenceuse Poupette Kenza, connue pour ses coups d’éclats réguliers, avait été accusée de maltraitance après avoir mis en scène son nouveau-né dans des situations jugées dangereuses.

Par ailleurs, la tendance du “sharenting” est également un moyen pour les pédocriminels de récupérer facilement des photos d’enfants pour les partager ensuite dans des réseaux.

Désormais, aux côtés de l’autorité parentale, est logé le principe du droit à l’image dans le Code civil, ce qui n’a pas été une mince affaire: “c’est toujours intéressant d’arriver à faire converger les députés pour agir en commun car je pense que le message est d’autant plus fort,” explique Bruno Studer, rapporteur du texte et député Renaissance, à Tech&Co, “ça renforce la portée du message.”

A qui s’adresse cette loi?

Liée à la loi sur les enfants influenceurs, le texte est-il seulement dirigé vers les parents influenceurs eux aussi, de plus en plus nombreux sur les réseaux sociaux? “Elle vise avant toute chose, l’ensemble des parents qui doivent prendre conscience des enjeux liés à la vie privé” poursuit le député.

“Et elle vise particulièrement les influenceurs dans le sens où certains exposent leurs enfants sans tenir compte de leur dignité. Ca n’est pas le cas de tous les influenceurs, mais pour certains, afin de générer de la viralité, ils font faire des ‘pranks’ [des blagues, ndlr]. De la même manière, des familles n’hésitent plus à partager sans cesse leur vie privée, qui n’est du coup plus privée” souligne Bruno Studer.

A l’heure où des programmes dédiés aux familles nombreuses offrent une importante mise en avant des enfants, jusque sur les réseaux sociaux, où les parents deviennent parfois de véritables stars, cette loi veut mettre des limites.

Surtout, elle doit servir d’exemple pour tout un chacun: “c’est pour cela que j’ai utilisé le Code civil, sans passer par des interdits qui se traduirait par des peines par exemple. Ce n’est pas ça l’objectif, l’objectif, c’est de s’adresser à la société tout entière.”

Recueillir le consentement de l’enfant

Dès que l’on parle des enfants, la question du consentement est particulièrement importante. Pour autant, il paraît compliqué de percevoir si tous les enfants ont bien donné leur accord pour apparaître dans une vidéo ou sur un cliché diffusé ensuite sur les réseaux sociaux.

Car cette loi vient rappeler que la vie privée de l’enfant est la responsabilité des parents. “L’idée, c’est qu’il y ait une prise de conscience” martèle le député. Dans le cas les plus graves, un juge peut ainsi décider de déchoir l’autorité parentale numérique et désigner un tiers qui prendrait alors les décisions pour l’enfant dont les parents ne sont plus en mesure de le faire.

D’autant que l’inscription au Code civil fait, qu’automatiquement, la partie liée à la vie privée et au droit à l’image sera lue en mairie lors d’une union civile: “il n’y aura peut-être pas de résultats immédiats puisque ce sont des mentalités qu’il faut faire évoluer, mais c’est une loi en miroir de ce qui se passe dans la société.”

Limiter la diffusion d’images d’enfants

L’examen de cette loi, le rapporteur Bruno Studer a pu compter sur le soutien du gouvernement, et particulièrement d’Eric Dupont-Moretti, ministre de la Justice: “il était présent lors des deux premières lectures, le soutien du gouvernement a été total.” Il appelle néanmoins à ce que la question de l’enfance continue à être traitée avec autant d’importance par le nouveau Premier ministre Gabriel Attal.

“A la fin, vous savez, changer le Code civil, et plus particulièrement l’article concernant l’autorité parentale, ça ne se fait pas tous les quatre matins,” explique le député.

Suite au remaniement, Bruno Studer salue les nominations de Marina Ferrari au poste de secrétaire d’Etat au numérique et de Sarah El Haïra en tant que secrétaire d’Etat à l’enfance: “Je ne doute pas qu’elles auront à cœur de continuer le travail initié sur ce sujet.”

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