Notre-Dame de Bétharram : « Je me suis fait dégommer la tronche par mon prof de musique », raconte un ex-élève
« 20 Minutes » a rencontré Boris Fauche, 49 ans, victime des violences qui avaient cours au sein de l’institution catholique Notre-Dame de Bétharram (Pyrénées-Atlantiques) dans les années 1980. Un récit qui fait froid dans le dos
Notre-Dame de Bétharram : Un ancien élève, victime de violences témoigne
témoignage – « 20 Minutes » a rencontré Boris Fauche, 49 ans, victime des violences qui avaient cours au sein de l’institution catholique Notre-Dame de Bétharram (Pyrénées-Atlantiques) dans les années 1980. Un récit qui fait froid dans le dos
Boris Fauche a été « remué » quand le dossier Notre-Dame de Bétharram a éclaté au grand jour, au début de l’année. Elève de 1987 à 1991, entre ses 13 et ses 16 ans, au sein de l’institution catholique située près de Pau (Pyrénées-Atlantiques), il a été victime, comme des dizaines d’autres, des violences physiques et psychologiques infligées par une partie des surveillants et du corps enseignant, laïc et religieux, entre les années 1970 et 1990.
Celui qui va fêter cette année ses 50 ans a rejoint le groupe Facebook d’anciens élèves créé par Alain Esquerre, une autre victime de l’institution, et à l’origine de « l’affaire Bétharram. » « J’ai été horrifié de ce que j’y ai lu », raconte Boris Fauche, qui a reçu 20 Minutes dans son appartement des Chartrons, à Bordeaux. « D’un seul coup, plein de choses sont remontées à la surface, mais d’un autre côté je me suis aussi rendu compte que je n’étais pas tout seul à avoir vécu cela. A l’époque, chacun restait seul avec sa souffrance. On ne s’épanchait pas entre nous. »
Victime d’un réseau de pédophilie avant son entrée à Bétharram
Boris Fauche s’est demandé s’il irait « au bout du truc », et notamment jusqu’à « déposer plainte » comme d’autres membres du groupe. « Cela voulait dire replonger dans le bain de cette époque qui a été suffisamment douloureuse comme cela, poursuit-il. Finalement, j’ai compris que j’avais la ressource pour l’affronter, en dépit des stigmates qui sont restés au fond de moi. Je me suis dit que cela pourrait aider à libérer la parole de certaines victimes, particulièrement celles pour lesquelles les faits ne sont pas prescrits, ce qui permettrait de punir les faits dénoncés, et les acteurs de ces atrocités qui ont œuvré en toute impunité jusqu’à la fin des années 1990. »
Mais ce n’est pas de gaieté de cœur qu’il accepte de replonger dans cette période des années 1980, pour raconter sa propre histoire à Bétharram. Il s’allume une cigarette, tire une grande bouffée. Puis se lance. « Je vis dans un contexte particulier à cette époque, avec la séparation de mes parents qui ne se passe pas bien, une maman qui travaille beaucoup et qui n’a pas le temps de s’occuper de moi. Je suis au collège, ça se passe mal, je fais de mauvaises rencontres… » Il se passe la main sur le visage. « Je me retrouve alors victime d’un réseau de pédophilie, qui sera démantelé, ce qui m’amène à témoigner devant les gendarmes, à 12 ans. »
La mère de Boris avait « déjà prévu » de lui faire intégrer Bétharram, institution dont la méthode éducative à la dure lui permettait d’obtenir des taux de réussite « exceptionnels » au bac, et qui avait la réputation de remettre les élèves en difficulté « dans le droit chemin. » « Face à l’urgence de ma situation, ma mère souhaite accélérer le processus. Nous sommes allés sur place, et nous avons supplié le directeur, le père Carricart, de m’accepter [mis en examen en 1998 pour viol et tentative de viol, après les accusations d’un jeune homme de la région bordelaise, Pierre Silviet-Carricart s’est suicidé en 2000]. C’est comme cela que je suis rentré à Bétharram au milieu de mon année de 5e. »
Premier jour, « tous les gamins arrivent au dortoir en chialant »
Boris Fauche n’oubliera jamais son premier jour là-bas, « ce fameux 13 septembre 1987 ». « C’était un dimanche soir, au retour des vacances de Pâques. Je vois tous les gamins arriver au dortoir en chialant. Tout le monde est sur la défensive. En l’espace d’une demi-heure, je comprends que je suis dans un autre monde. » Celui « de la rigueur et du silence, les mains derrière le dos ». « Le moindre comportement estimé inapproprié – un clignement, un sourire – c’était violence, punition, humiliation. »
L’enfant qui n’a pas encore 13 ans, en fait les frais « dès le premier soir ». « A l’internat, j’essaie de parler avec mon voisin. Il ne me répond pas. Et là, j’entends le pion qui claque des doigts. On fonctionnait aux claquements de doigts des surveillants. Il finit par venir me voir, et me tire du lit par les cheveux. Mais ça, ça allait encore. » La situation n’aura de cesse d’empirer, notamment durant le moment des études surveillées, de 17h30 à 19h30. « Un bruit, et la sanction tombait, souvent avec un sadisme sans nom. Je me souviens particulièrement d’une droite que j’ai prise pour avoir fait claquer accidentellement mon bureau. Je n’ai plus jamais pris une gifle d’une telle violence. J’ai été violenté par les pions, par les profs. Je me suis fait dégommer la tronche par mon prof de musique, qui a réussi à ce moment-là à m’en dégoûter, moi qui adore pourtant la musique. »
Une douche par semaine chronométrée
Il y a ce fameux perron aussi, en bordure du gave de Pau, où les élèves étaient envoyés quand ils étaient punis, parfois dans le froid, sous le regard de la Vierge Marie. « Il fallait s’y tenir les mains derrière le dos, à la vue de tout le monde, sans bouger, ni se dandiner, ni vaciller. Et si jamais le surveillant général passait à ce moment-là, on pouvait se faire punir une seconde fois. Lui était connu pour retourner sa chevalière avant de frapper. Et quand on passait dans son bureau, là on dérouillait vraiment. »
Boris Fauche a aussi été marqué par « l’insalubrité ». « On avait six, sept chiottes à la turque au fond de la cour, sans chasse d’eau. Bref, c’était dégueulasse tout le temps. A tel point que je pouvais passer la semaine sans y aller. Je pensais être le seul dans ce cas, mais dans les témoignages que je peux lire aujourd’hui, je m’aperçois que nous étions nombreux à nous retenir. A côté de ça, on n’avait qu’une douche par semaine, et elles étaient chronométrées. On ne pouvait pas régler l’eau chaude. Et cette douche pouvait nous être supprimée, pour trois fois rien. »
« J’ai échappé au pire le jour de mes 13 ans »
Reste le cas des violences sexuelles, qui représentent aujourd’hui la moitié des plaintes dans ce dossier. « A Bétharram, j’y ai échappé, mais de peu », estime le Bordelais. « A la rentrée de 1987, le jour de mes 13 ans, je me fais appeler par le père directeur à son bureau, se souvient-il. Il m’accueille avec jovialité et… il me fait venir sur ses genoux. Il commence à avoir des gestes déplacés, à me caresser, à m’embrasser… Je ne me rappelle pas comment j’ai fait, mais je me suis dépêtré de la situation. Ce qui est vraiment sordide là-dedans, c’est que c’est à lui que nous avons raconté, ma mère et moi, comment j’ai été abusé par des adultes, ce traumatisme qui a fait que je suis venu dans cet établissement. Et cet homme-là allait me faire revivre la même chose. J’ai échappé au pire ce jour-là. »
Boris Fauche est resté « trois ans et un trimestre » à Bétharram. Avant de prendre la tangente direction un BEP Vente, qui lui évitera de faire le lycée au sein de l’institution. « Je me suis senti très seul à ce moment-là, avec le sentiment d’être en prison, se remémore-t-il. Des angoisses m’ont suivi pendant longtemps, et j’ai fini par faire une grosse dépression en 2010. J’ai été hospitalisé, j’ai suivi une thérapie. A la deuxième séance, j’ai évoqué le mot Bétharram, et il s’avère que mon thérapeute avait déjà traité d’anciens élèves de l’institution. J’ai fait alors un travail qui me sert beaucoup aujourd’hui. J’ai pris conscience que ça avait eu beaucoup plus d’impact dans ma vie que ce que je pensais. C’est ça aussi la gravité de ce qu’on nous a fait vivre, au nom d’une soi-disant méthode pédagogique, qui a brisé plein de gamins au final. C’était juste sadique ce qu’on a vécu. »
76 plaintes, dont 38 pour des faits à caractère sexuel
Sans cette thérapie, « je n’aurais pas appréhendé la médiatisation de l’affaire de la même manière », estime-t-il. « J’ai travaillé sur la colère pour pardonner. Aujourd’hui je suis en paix. » En veut-il à sa mère de l’avoir envoyé là-bas ? « Ma mère a voulu m’aider, je me mets à sa place, je ne peux pas lui en vouloir. » A ses agresseurs ? « La seule question qui m’anime, c’est comment peut-on s’éloigner à ce point des valeurs religieuses qu’ils étaient censés véhiculer ? J’arrive même à me dire que cela doit être terrible pour eux de ne pas arriver à maîtriser ces pulsions qu’ils avaient. »
Au bout d’une heure de discussion, Boris Fauche termine l’entretien vidé. Il achève son récit, en disant espèrer que son témoignage puisse délier des langues, et pourquoi pas « réveiller d’autres institutions dans lesquelles il y aurait pu y avoir des problèmes similaires, parce que c’est récurrent ».
A ce jour, le parquet de Pau, qui a ouvert une enquête préliminaire pour « violence, viol et agression sexuelle aggravée », a reçu 76 plaintes, dont 38 pour des faits à caractère sexuel, survenus entre les années 1970 et la fin des années 1990. Quelque 21 adultes, dont neuf religieux, sont désormais incriminés.
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