Molières 2024 : femmes en majesté, coups d’éclat et émotions… Le récit d’une soirée engagée
«Ã‚ Après cette soirée, vous pourriez penser que je suis féministe… Oui… Et j’aime les hommes ! », lance Caroline Vigneaux sur la scène des Folies Bergères àl’issue de la 35e nuit des Molières qu’elle vient de présenter. Une cérémonie en honneur du spectacle vivant dont le palmarès s’avère équilibré et qu’elle a fortement teintée de son engagement féministe. Ça a commencé en fanfare pour l’humoriste, et littéralement puisqu’on l’a vue débarquant sur scène en compagnie de la Musique des sapeurs-pompiers de Paris jouant le générique de « Champs-Élysées », de Michel Drucker.
L’exemple qu’elle a souvent pris pour expliquer comment elle imaginait cette soirée, festive et divertissante. Mais d’abord les règles : les remerciements sont interdits, elle demande aux gagnants de parler de leur spectacle, de donner envie aux gens d’y aller… Alors, pour être utile et gagner du temps, elle y va elle, de ses remerciements à tout le monde, familles, collègues, appuyant sur les « ex qui devant leur télé ont grave le seum ! Cheh ! »
Rachida Dati épargnée
«Ã‚ Tout le monde, sauf Madame la ministre, s’interrompt-elle. Ou alors, vous nous récupérez les 204 millions, vous ne touchez pas àl’intermittence, et on vous libère àtemps pour être prête pour la mairie de Paris. Deal ? »
Et Rachida Dati, tout sourire, de lever le pouce. Le sujet des coupes budgétaires dont souffre le spectacle ou des menaces pesant sur l’intermittence reviendront, la ministre, elle, sera épargnée au fil de la soirée qui verra magiciens et mentaliste, circassiens et comédiens, musiciens et chanteurs défiler sur scène.
À l’aise, nature, Caroline Vigneaux tient la barre d’un exercice pas toujours simple, mais ne réussit pas à éviter les écueils de moments tombant parfois à plat ou à côté. L’arrivée de la flamme olympique éteinte ou ce passage où de jeunes comédiens – dont le spectacle est pourtant formidable au théâtre Libre – interprètent des scènes de « Cyrano » ou de « Roméo et Juliette » en changeant sans cesse de rôle, le jouant à deux, à trois sur les indications de Caroline Vigneaux… C’est censé être bluffant, le résultat est un peu brouillon. On comprend néanmoins le message de liberté, d’être ce qu’on veut comme on veut…
Dedienne et ses déclarations d’amour, Reali couronnée
Le flot des remises de prix, lui, déferle par vagues. Le premier, celui du comédien dans le privé, revient à Vincent Dedienne pour « Un chapeau de paille d’Italie ». Ces prix, « ça permet aux pudiques comme moi de faire des déclarations d’amour sur scène », souffle-t-il, surpris. Il en fait une au metteur en scène, Alain Françon, à ses partenaires. Et puis à Jean Robert-Charrier, directeur du théâtre. « La première fois que j’ai entendu ton nom c’était ici, prononcé par Jean-Pierre Bacri, souffle-t-il. Il avait oublié de dire à quel point tu étais un bon cuisinier et un bon amoureux ».
Vincent Dedienne, Molière du comédien dans un spectacle de théâtre privé dans
«Ã‚ T’as pas de MeToo aux fesses ? » Bruno Solo, lui, se fait cueillir dès son entrée. Il nie. « Sûr ? Du coup, c’est pour quand ? », insiste Vigneaux. « Rien ? Même pas une petite agression sexuelle ? Une costumière, une maquilleuse ? » « Ah si, une maquilleuse… mais c’est ma femme ». « Elle était consentante ? ». « Elle a dit oui àla mairie, on a deux beaux enfants ». « Un homme peut avoir une vraie carrière sans agresser d’autres femmes, c’est un beau message, et beaucoup ont besoin de l’entendre », assène la maîtresse de cérémonie. « On peut encore avoir de belles histoires dans ce métier », ajoute le comédien.
Après six nominations, la septième est la bonne pour Cristiana Reali, sacrée meilleure comédienne dans le privé. En tournage, elle n’est là qu’en vidéo, lançant des « Obrigada » à tout-va et finissant coiffée… d’une couronne.
Vigneaux sans soutien-gorge
Des reines, elles sont bientôt une quinzaine en plateau, danseuses représentant la plus grande diversité possible évoluant sur « Le corps des femmes ». « Mais qu’est-ce qu’il a le corps des femmes pour qu’on lui foute jamais la paix », chante Mathilde. C’est puissant. Dans le message, dans la forme. La salle se lève. Parmi elles, t-shirt blanc sans soutien-gorge, Caroline Vigneaux assume, bras en croix et poitrine en avant, revendiquant son droit ne pas en porter, demandant à tous de respecter celles qui font ce choix…
Sophia Aram et le « silence » après le 7 octobre
Moment fort encore, Sophia Aram qui vient pointer le « silence » du monde de la culture après le 7 octobre. « Nous devrions faire attention à nos silences (…) dans le brouhaha de nos indignations faciles, le silence, même relatif, après ce 7 octobre dans lequel 1 200 Israéliens ont été massacrés est assourdissant », assène-t-elle. Et de s’interroger : « Comment être solidaire des milliers de morts civils à Gaza sans l’être des victimes israéliennes ? Comment exiger d’Israël un cessez-le-feu sans exiger la libération des otages israéliens ? » Elle remettait alors le Molière de la comédie.
Sophia Aram est venue décrocher la statuette de l’humour.
La même remontera sur scène pour enlever la statuette de l’humour, se montrant alors drôle et grinçante. « C’est l’avantage quand on fait un spectacle sur tous les teubés de l’époque, complotistes, antivax, extrémistes de droite comme de gauche, je leur dédie ce Molière, glisse-t-elle. Sur les réseaux, ils doivent déjà m’inviter à me l’introduire dans le fondement, cingle-t-elle. En vérité, je le dédie à tous les autres ». Du sens et des messages il y en aura d’autres. Zabou Breitman appelle à « résister à l’autocensure », au « t’as pas peur que… ». Anne Roumanoff à décrocher des écrans.
Kevin Razy et Jean-Louis Garçon, de la distribution de « Passeport », d’Alexis Michalik, notent, eux, le peu de représentation des diversités parmi les nommés. Elsa Zylberstein, elle, vient évoquer le plaisir d’actrice à être façonnée comme une pâte à modeler. « Deux siècles de combats féministes pour finir en pâte à modeler », grince la maîtresse de cérémonie qui goûte peu la comparaison… Molière de la comédienne dans le public pour « Courgette » adapté du roman de Gilles Paris sur l’enfance, Vanessa Cailhol dédie sa victoire aux travailleurs sociaux et hurle un « merci maman ! » tonitruant.
Vanessa Cailhol, meilleure comédienne dans une pièce du théâtre public dans
« Mamie, tu disais que tu voulais que j’aie un Molière ! »
Si les remerciements sont interdits, les gagnants rusent, comme l’avait prédit Jean-Pierre Darroussin. Et c’est tant mieux. Dans ces moments, c’est aussi ainsi que l’émotion s’exprime. Celle de la jeunesse, fraîche et énergique d’Ethan Oliel, révélation masculine pour « Le Cercle des poètes disparus » qui pense à sa mamie. « Mamie, tu disais que tu voulais que j’aie un Molière avant que tu partes là-haut ! Il est là, que ça ne te dispense pas de rester longtemps avec nous », lui intime-t-il avant de lancer un grand « Carpe Diem ! ».
Ethan Oliel, révélation masculine pour « Le Cercle des poètes disparus ».
«Ã‚ Allez bien tous vous faire aimer ! », jette au public et téléspectateurs Eva Rami, les larmes aux yeux, saluée pour son seule en scène « Va aimer ! ». On a beau avoir de la bouteille, quand l’émotion vous étreint… Face àla salle levée pour le saluer alors qu’il reçoit un Molière d’honneur, Francis Huster est ému. Et ne parle pas de lui, mais de Molière et de ses « vraies héroïnes », les listant avec passion, Agnès, Elvire, Dorine… avant de fustiger avec hargne les hommes, « Tartuffe hypocrite et violeur », « Harpagon, obsédé du fric et de l’argent » et autre « Don Juan pervers ». Dans le ton et bien senti.
Francis Huster et son Molière d’honneur.
De l’émotion encore pour l’équipe de « 4 211 km », spectacle sur les exilés politiques iraniens en France qui reçoit le Molière du théâtre privé, soit le meilleur spectacle. Aïla Navidi, l’autrice, le dédie « à tous les exilés, les déracinés et ceux qui se battent pour la liberté ». Et de déclencher la troisième et dernière ovation debout en ajoutant vouloir « être désobéissante comme toutes les femmes iraniennes », et poursuivre au-delà de la minute impartie, pour penser au rappeur iranien Toomaj Salehi, condamné à mort pour une chanson en Iran.