Molières 2024 : de la politique et des longueurs
L’acteur Vincent Dedienne recevant son Molière des mains de Jean-Pierre Darroussin, le 6 mai à Paris.
On s’attendait à pas mal de choses, mais pas à ce que cette 35e cérémonie des Molières démarre par une reprise en fanfare (des sapeurs pompiers de Paris) d’un medley de chansons pop (Flowers de Miley Cyrus, Don’t Start Now de Dua Lipa…), sur lequel déboule Caroline Vigneaux. «En toute simplicité», comme elle le décrit. Cette année, c’est cette ancienne avocate reconvertie humoriste qui succède à la présentation «start-up nation» d’Alexis Michalik. Si la mission s’avère délicate – la cérémonie est souvent parasitée par des longueurs –, elle avait déjà annoncé la couleur lors de l’annonce des nominés : «Les lauréats sont prévenus, ils auront interdiction de remercier leurs parents, leur metteur en scène, leur producteur ou leur cousine Paulette.» D’ailleurs la sentence est rude, car quiconque dépasse la minute réglementaire de remerciement se voit interrompre par Ernesto, chanteur lyrique un brin kitsch. Le mot d’ordre : pas de «merci», mais des anecdotes.
Rachida Dati prise à partie
Passé le mot dédiant la cérémonie à Bernard Pivot, décédé ce lundi 7 mai, que la fête commence : paillettes, courbettes et différentes révérences, que ce soit en danse ou sur scène lors des remerciements – pardon, des anecdotes. Caroline Vigneaux mène la danse d’un show sans cesse interrompu par de multiples causes ou messages qui se gaussent de passer entre les mailles du filet supposé assurer le rythme de la soirée.
Piques ici et là à l’encontre de Rachida Dati (mention spéciale à la référence à sa menace de transformer le chien de Gabriel Attal en kebab), remarques sur le manque de diversité parmi nommés ou rappel des coupes budgétaires spectaculaires annoncées cette année pour la Culture… Sophia Aram, récompensée pour le spectacle le Monde d’après, interpelle l’audience : «Si nous appelons tous ici à un cessez-le-feu, comment être solidaires des milliers de civils morts à Gaza sans être aussi solidaires des victimes israéliennes ? Comment exiger d’Israël le cessez-le-feu sans exiger la libération des otages israéliens ? Comment réclamer le départ de Netanyahou sans réclamer celui du Hamas ?»
Un show féministe
Malgré la volonté de sa maîtresse de cérémonie, la cérémonie dégage parfois un petit relent de renfermé, pendant le discours d’Anne Roumanoff sur les dérives des réseaux sociaux. Déconcertante, Caroline Vigneaux martèle à Bruno Solo avant son discours : «Tu es sûr que tu n’as pas d’affaires au cul ? […] c’est rare !» Le sujet #MeToo revient plus tard lors d’un clip montrant un montage de plusieurs photos d’acteurs et actrices avec en seul message «Vous n’êtes pas seul.e.s», immédiatement suivi d’un numéro musical interprété par Mathilde, revendiquant la liberté des femmes à disposer de leur corps. Un brin contradictoire avec la parole d’Elsa Zylberstein, qui se revendique être «la pâte à modeler» de son metteur en scène devant Tiago Rodrigues, heureusement reprise sur la question par Caroline Vigneaux.
Auréolé de sept nominations, Courgette de Paméla Ravassard et Garlan Le Martelot repart avec un seul trophée, alors que 4 211 km – dont la metteuse en scène Aïla Navidi appelle à la libération de Toomaj Salehi, rappeur iranien condamné à mort pour une chanson –, et le Cercle des poètes disparus finissent tous deux la soirée avec deux statuettes. L’adaptation du mélo culte où brillait Robin Williams qui fait salle comble au Théâtre Antoine était nommée à six reprises. Côté public, le joyeux et carnavalesque 40° sous zéro du Munstrum Théâtre remporte lui aussi deux Molières.
Palmarès
Molière du Théâtre privé : 4 211 km de et mise en scène par Aïla Navidi
Molière du Théâtre public : 40° sous zéro de Copi, mise en scène Louis Arene
Molière de la Comédie : C’est pas facile d’être heureux quand on va mal de Rudy Milstein, mise en scène Rudy Milstein et Nicolas Lumbreras
Molière de la Création visuelle et sonore : Neige, scénographie Emmanuelle Roy, décors Emmanuelle Roy, costumes Alice Touvet, lumière Jean-Luc Chanonat, (de et mise en scène par Pauline Bureau)
Molière du Spectacle musical : Spamalot de Éric Idle, mise en scène Pierre-François Martin-Laval
Molière de l’Humour : Sophia Aram dans le Monde d’après de Sophia Aram et Benoît Cambillard (mise en scène Sophia Aram et Benoît Cambillard)
Molière du Jeune public : Neige de et mise en scène par Pauline Bureau
Molière du Seul. e en scène : Va aimer ! avec et de Eva Rami
Molière de la Mise en scène dans un spectacle de Théâtre public : Louis Arene pour 40° sous zéro de Copi
Molière de la Mise en scène dans un spectacle de théâtre privé : Olivier Solivérès pour le Cercle des poètes disparus (adaptation de Gérald Sibleyras)
Molière de l’Auteur. trice francophone vivant.e : Rudy Milstein pour C’est pas facile d’être heureux quand on va mal
Molière de la Comédienne dans un spectacle de Théâtre public : Vanessa Cailhol dans Courgette de Paméla Ravassard et Garlan Le Martelot (mise en scène Paméla Ravassard)
Molière du Comédien dans un spectacle de théâtre public : Micha Lescot dans Richard II de William Shakespeare (mise en scène de Christophe Rauck)
Molière de la Comédienne dans un spectacle de théâtre privé : Cristiana Reali dans Un Tramway nommé Désir de Tennessee Williams (mise en scène Pauline Susini)
Molière du Comédien dans un spectacle de théâtre privé : Vincent Dedienne dans Un chapeau de paille d’Italie de Eugène Labiche (mise en scène d’Alain Françon)
Molière de la Comédienne dans un second rôle : Jeanne Arènes dans l’Effet miroir de Léonore Confino (mise en scène Julien Boisselier)
Molière du Comédien dans un second rôle : Guillaume Bouchède dans Je m’appelle Asher Lev de Aaron Posner (mise en scène Hannah-Jazz Mertens)
Molière de la Révélation féminine : Olivia Pavlou-Graham dans 4 211 km (de et mise en scène par Aïla Navidi)
Molière de la Révélation masculine : Ethan Oliel dans le Cercle des poètes disparus (mise en scène Olivier Solivérès)
Molière d’honneur : Francis Huster