Gérant d’une boutique Geox menacé de mort : ce que dit la loi sur le port du voile au travail
Depuis le 8 août 2016, le règlement intérieur d’une entreprise peut contenir une clause de neutralité qui peut interdire le port du voile aux salariées. LP/Olivier Arandel
Sa vidéo TikTok a fait 1,4 million de vues. Alors qu’une jeune intérimaire allait commencer sa mission dans un magasin Geox, à Strasbourg (Bas-Rhin), son gérant a considéré qu’elle n’avait pas « la tenue adéquate » car elle portait un voile. Le patron, accusé de pratiques discriminatoires, est depuis menacé de mort sur les réseaux sociaux. Concrètement, que dit la loi ?
Si la loi autorise le port d’un signe, telle que la croix ou un vêtement religieux sur son lieu de travail, leur interdiction est possible si le salarié est en contact avec la clientèle. Cela doit être mentionné dans la réglementation de l’entreprise : depuis le 8 août 2016, le règlement intérieur peut contenir « une clause de neutralité, notamment en matière d’expression des convictions religieuses (…) qui peut justifier l’interdiction de porter des tenues ou symboles religieux ».
«Ã‚ C’est une possibilité, pas une obligation », rappelle Lauren Bakir, docteure en droit public et ingénieure de recherche au CNRS. Pour s’assurer de la connaissance du salarié de l’existence de cette clause, l’employeur peut l’insérer dans le contrat de travail. Depuis novembre 2023, les administrations publiques sont également concernées « afin d’instaurer un environnement administratif totalement neutre ».
Une restriction qui doit être justifiée
Il faut « que cette restriction soit justifiée par des motifs répondant aux exigences posées par la loi et précisées par la jurisprudence nationale et européenne », précise un guide du ministère du Travail. L’employeur peut aussi interdire certaines tenues ou accessoires pour des raisons de sécurité, de santé ou d’hygiène sanitaire, « par exemple de longues jupes qui pourraient venir se coincer dans les rouges d’une machine », précise Valérie Dues-Ruff, avocate aux barreaux de Paris.
Dans le secteur privé « la règle est la liberté », résume Lauren Bakir. Certaines entreprises peuvent donc, sous conditions, interdire le port du voile aux salariées. « Mais sans clause dans le règlement intérieur, l’employeur ne peut s’opposer au port du voile au travail, sauf à démontrer que le port du foulard nuit concrètement et objectivement à l’entreprise », explique Valérie Dues-Ruff.
À quoi s’expose l’employeur si la clause n’est pas instaurée dans le règlement intérieur ? « Si le salarié juge qu’il s’agit d’une décision excessive de l’employeur par rapport au but recherché et que cette décision repose sur l’un des motifs de discrimination, il pourra saisir le conseil de prud’hommes », estime l’avocate.
Pas de discrimination pour la justice européenne
En 2021, la Cour de justice de l’Union européenne statuait elle que « l’interdiction de porter toute forme visible d’expression des convictions politiques, philosophiques ou religieuses sur le lieu de travail peut être justifiée par le besoin de l’employeur de se présenter de manière neutre à l’égard des clients ou de prévenir des conflits sociaux ».
En clair, la justice européenne ne considère pas l’interdiction du voile sur le lieu de travail comme une discrimination s’il s’applique à toutes les religions sans distinction. Toutefois, l’employeur doit justifier qu’il s’agit « d’un besoin véritable » et que la neutralité de l’entreprise pourrait être remise en question sans cette interdiction.