Magda Goebbels, qui était la reine noire du nazisme ?
«MГЁre dРІР‚в„ўAllemagneР’В», Magda pose en 1942, avec son mari, Joseph Goebbels (Г d.), au milieu de ses sept enfants (dont lРІР‚в„ўaГ®nГ©, Harald, 21 ans, en haut). Le 1er mai 1945, alors que la guerre est perdue, elle empoisonnera les six plus jeunes.
Comment Magda, épouse de Joseph Goebbels, femme émancipée, élevée par un beau-père juif, a-t-elle pu devenir la militante la plus fanatique du Reich ? Portrait de celle qui servit d’«atout séduction» au régime nazi.Une charmante petite famille…
Ce 7 novembre 1930, dans les locaux berlinois du Parti national-socialiste, au 10 Hedemannstraße, le Gauleiter Joseph Goebbels est d’humeur enjouée. Il vient de recruter, pour constituer ses dossiers de presse, une jeune adhérente qui lui plaît… Il est vrai que cette nouvelle venue, Magda Quandt, 29 ans, est une grande et jolie blonde aux yeux bleus, élégante, sculpturale : l’archétype de la femme allemande telle que les nazis se la représentent.
Goebbels, lui, est loin de répondre aux canons de la «beauté aryenne». Petit – 1,65 m –, malingre, souffreteux d’allure – une maladie osseuse l’a laissé boiteux –, il n’en est pas moins un séducteur notoire qui subjugue les femmes par ses discours politiques exaltés, son éloquence survoltée. C’est d’ailleurs après être allée l’écouter lors d’un meeting au Sportpalast de Berlin, dans une salle en transe, que Magda s’est inscrite au parti nazi. Elle s’est ensuite présentée au siège central pour approcher le grand orateur. Manoeuvre couronnée de succès.
Une divorcée et une “femme libre” incongrue
La belle blonde est vive, gracieuse, cultivée. Bien que née des amours illicites d’une domestique avec son employeur, un ingénieur du nom d’Oskar Ritschel, elle possède à la perfection les usages du meilleur monde et parle le français, l’anglais, le néerlandais. Goebbels fait d’elle sa secrétaire particulière. Avant d’en faire sa maîtresse, ainsi qu’il le confie à son journal intime. Car cet homme redoutable, futur ministre de la Propagande du Reich, tient un journal qui rappelle parfois celui d’un adolescent. Pour preuve, cet extrait en date du 15 février 1931 :
Ce soir, Magda est venue. Elle est restée longtemps. Elle est épanouie dans une douceur blonde enchanteresse.
Puis le 15 mars :
Je vais désormais laisser tomber les histoires de femmes et me consacrer à une seule […] Nous irons merveilleusement bien ensemble.
Sous ses apparences de valkyrie sortie d’un opéra de Wagner, Magda, au début des années 1930, a derrière elle une vie mouvementée. Après s’être mariée à 19 ans avec un nabab deux fois plus âgé qu’elle, Günther Quandt, propriétaire de la firme automobile BMW, elle s’est vite sentie prisonnière d’une cage dorée, condamnée à mener une existence ennuyeuse. Elle a alors âprement négocié son divorce et obtenu de son ex-conjoint, outre sa liberté, une confortable rente mensuelle ainsi qu’un superbe appartement dans un quartier huppé de Berlin. Au moment où elle séduit Goebbels, elle est donc à la fois une divorcée et une “femme libre”, ce qui, pour une grande bourgeoise de l’époque, est doublement incongru.
Du point de vue de l’orthodoxie hitlérienne, son passé recèle des «anomalies» plus sérieuses encore. Alors que Magda avait 6 ou 7 ans, sa mère, Auguste, a épousé un commerçant juif, Richard Friedländer, qui a adopté la fillette, lui a donné son nom et l’a élevée avec tendresse comme sa propre fille. C’est grâce à cet homme que Magda a pu voyager, s’instruire, fréquenter les meilleures écoles (le couvent des Ursulines à Bruxelles, le pensionnat Holzhausen à Goslar, en Allemagne), et devenir, comme l’écrit l’historienne Anna Maria Sigmund dans Les Femmes du Troisième Reich (éd. JC Lattès, 2004), “une enfant précoce aux manières parfaites” puis une “jeune fille de la haute société”. Autre singularité sulfureuse de son curriculum vitae : Magda a aimé un jeune militant sioniste, Haïm Arlozoroff, frère d’une de ses amies de pensionnat. Elle a milité avec lui pour la création d’Israël, étudié l’hébreu avec lui, porté l’étoile de David qu’il lui avait offerte ! Autant d’”affinités juives” qu’elle va s’employer, devenue Madame Goebbels, à faire oublier…
Un mariage spectaculaire en noir
Le mariage, célébré le 19 décembre 1931, est spectaculaire. Les deux époux sont vêtus de noir. Harald, 10 ans, le fils que Magda a eu de son premier mari Günther Quandt, porte la tenue des Jeunesses hitlériennes, short noir et chemise brune. Des SA (membres de la Sturmabteilung, l’organisation paramilitaire nazie créée dix ans plus tôt) forment une haie d’honneur et le témoin du couple n’est autre qu’Adolf Hitler… Depuis qu’elle l’a rencontré, quelques mois plus tôt, Magda s’est muée en une nazie fanatique qui ne cesse de répéter que «seul Hitler peut sauver l’Allemagne». Admiration réciproque. Le futur dictateur, sous le charme, loue l’intelligence de Magda Goebbels, la seule femme capable, dit-il, de soutenir sa conversation.
Lorsque, en 1933, il accède au pouvoir et Goebbels au ministère de la Propagande, Magda exulte, enivrée par l’existence excitante qui est la sienne. La même année, son ancien amant, Haïm Arlozoroff, est assassiné en Palestine et le bruit court que Goebbels a commandité le meurtre. Magda ne bronche pas. Pas plus qu’elle ne réagira quand son beau-père et bienfaiteur juif, Richard Friedländer, sera déporté en 1938 au camp de Buchenwald, où il mourra l’année suivante.
Icône nazie, Magda Goebbels devient la “première dame du Reich”
Alors que la guerre éclate, Magda Goebbels est devenue une icône nazie, la «première dame du Reich». Entre 1932 et 1940, elle a donné naissance à six autres enfants qui tous, comme Harald, le fils qu’elle a eu avec Günther Quandt, portent un prénom commençant par H : Helga, Hildegard, Helmut, Holdine, Hedwig, Heidrun. Les actualités filmées la montrent régulièrement s’occupant de ses chères têtes blondes dans sa belle villa de Bogensee. Les bambins se délectent de baies, nagent dans une rivière sous le regard attendri de leur maman, entourent Hitler, le bon “oncle Adolf”, venu leur tapoter affectueusement la joue…
Est-ce la vie dont rêvait Magda ? Un temps, elle pense garder une certaine liberté, poursuivre une vie mondaine entre sorties et vêtements de luxe – elle prétend même diriger l’institut de la mode que le régime projette de créer. Refus d’Hitler. Ce n’est pas ce qui est prévu pour Magda. Ce qu’on attend d’elle, c’est l’incarnation, avec sa progéniture, de la parfaite famille aryenne. Mais la réalité conjugale des Goebbels est éloignée de cette propagande surjouée. Joseph reste un coureur impénitent. À présent qu’il a la main sur les studios de cinéma berlinois, il collectionne les aventures avec les actrices, entre autres la Tchèque Lída Baarová pour laquelle il envisage de tout plaquer et de partir s’installer au Japon ! Adolf Hitler, promu au rôle inattendu de conseiller matrimonial, doit intervenir, recadrer son ministre, faire arrêter et réexpédier Lída à Prague… De fait, Magda, Joseph et le Führer forment une sorte de curieux ménage à trois. Goebbels aime sa femme mais pas assez pour lui être fidèle. Magda aime son mari mais lui préfère Hitler qui, “marié” à l’Allemagne, ne peut lui offrir en retour qu’une affection platonique. De plus, les deux époux se jalousent, chacun voulant être le préféré du Führer…
Au printemps 1945, quand la guerre tourne mal pour les nazis, que les armées alliées envahissent le pays, le couple décide de suivre son “messie” huit mètres sous terre, au 77 Wilhelmstraße, dans le piège de béton qu’est le bunker situé sous la chancellerie. On connaît la suite. Le 1er mai 1945, alors que le Führer n’est plus de ce monde depuis la veille, les Goebbels se suicident à leur tour, après que Magda a empoisonné leurs six enfants, âgés de 5 à 13 ans, en leur faisant avaler du cyanure… Elle absorbe elle-même une capsule mortelle, puis son mari lui tire une balle dans la tête avant de retourner l’arme contre lui.
Le goût du pouvoir et des hommes d’influence
Avec cette sortie tragique, Magda Goebbels garde jusqu’au bout l’image vénéneuse de la reine noire du nazisme. Reste cette question lancinante : comment cette femme éduquée, intelligente, qui avait bénéficié de toutes les ouvertures sur le monde, a-t-elle pu se perdre corps et âme dans l’idéologie mortifère du nazisme ? A-t-elle simplement cédé, comme des millions d’Allemands, au charisme magnétique d’Adolf Hitler ? Pour sa mère, Auguste, interrogée après la guerre lors des procès de dénazification, le désoeuvrement est la seule explication :
Cette jeune femme gâtée était certes ma fille, mais elle m’était plus énigmatique qu’une inconnue. Elle s’ennuyait et ne savait pas quoi faire d’elle-même.
Pour le premier époux de Magda, Günther Quandt, ce n’est pas l’hystérie nationale-socialiste qui la motivait, mais “l’ambition, le goût du pouvoir et des hommes d’influence”.
Pour l’ethnopsychiatre français Tobie Nathan, la clé est à chercher dans les problèmes de filiation de Magda : «Avec le nazisme, elle trouve une identité la faisant appartenir à la “race supérieure”. C’est l’engagement qu’elle recherchait.» Magda elle-même, dans l’ultime lettre qu’elle adresse avant de mourir à son fils aîné Harald (combattant dans la Luftwaffe, il était prisonnier des Alliés depuis 1944, en Italie) affirme que «la vie sans Hitler ne vaut pas d’être vécue». On sait, grâce au témoignage d’Eleonore Quandt, sa belle-soeur, que Magda avait appris de son mari ce qui se passait dans les camps de concentration : les crimes de masse. Son suicide exprimait-il un repentir ? On aimerait le croire. Mais le fait qu’elle fut capable d’emmener ses six jeunes enfants dans la tombe permet de douter de cette hypothèse.
➤ Article paru dans le magazine GEO Histoire n°74, Le nazisme et les femmes, de mars-avril 2024.
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