« L’idée comme l’image de Sciences Po se trouvent aujourd’hui dégradées »
«Ã‚ L’idée comme l’image de Sciences Po se trouvent aujourd’hui dégradées »
Les multiples entraves à notre liberté d’étudier, la multiplication des propos dégradants, des pressions, des intimidations et le climat délétère dans et autour de notre école nous obligent, nous étudiants apartisans et attachés aux valeurs de Sciences Po, à nous exprimer. Dès le blocage du bâtiment historique du 27 rue Saint-Guillaume, certains étudiants ont commencé à s’insurger sur les groupes de promotion (moyens privilégiés de la communication entre les étudiants) pour critiquer le modus operandi du groupe activiste qui avait bloqué l’IEP.
À une semaine des partiels, notre premier devoir en tant qu’étudiants est d’étudier. Plus encore, les critiques qu’ont osé formuler certains élèves contre le blocage se sont soldées par des lazzi, et par le constat attristant que s’opposer aux méthodes du groupe ayant paralysé l’IEP était impossible. Si jusqu’ici le climat était à la tension, et les avis se donnaient à mots couverts, nous risquons aujourd’hui le ban proclamé par quelques étudiants qui, prétendant incarner la doxa, condamnent les autres au silence.
À Sciences Po, le débat n’a plus cours
Nous avons également le sentiment que le débat nous a été confisqué, et n’appartient désormais plus qu’aux personnes très engagées politiquement, voire à des personnes en dehors de Sciences Po. Le débat n’a aujourd’hui plus cours, il faut être avec ou contre, soutenir jusqu’au bout en dépit des dérapages multiples ou alors se voir irrémédiablement reléguer au rang de « suppôt du pouvoir » ou « d’opérateurs intellectuels de l’État ». Faire un pas, vouloir discuter, nuancer, prendre de la hauteur, c’est se condamner à être dans le camp du mal.
À LIRE AUSSI L’honneur perdu de Sciences Po Paris
L’appréhension avant de s’exprimer sur un sujet témoigne de la sérénité inexistante des débats, nombreux sont les élèves ayant affirmé leur réticence à l’idée de participer à cette tribune, non par désaccord, mais pour ne pas faire de vague et voir son nom associé à une étiquette qu’il ne fait plus bon porter à Sciences Po : la nuance. Le courage de la modération, la volonté de débattre en partageant la même définition de mêmes objets scientifiques ou politiques n’est plus la question qui rythme la vie des étudiants.
Par ailleurs, l’idée comme l’image de notre institution se trouvent aujourd’hui dégradées. Or, nous nous accrochons encore à la représentation d’un Sciences Po d’ouverture et de rigueur académique, qui était la raison première de notre candidature ; et nous voulons préserver la qualité de sa formation intellectuelle, qui sera notre porte de sortie vers le monde professionnel. Mais l’image comme l’idée, si l’on ne s’exprime pas rapidement, finiront comme les murs du 27 rue Saint-Guillaume : taguées, dégradées.
Retrouver la possibilité d’un débat serein
En écrivant cette lettre-pétition, nous voulons reprendre notre droit de porter ce qu’est Sciences Po : une école de sciences humaines censée favoriser le débat, permettre la réflexion et l’exercice de l’esprit critique. Nous tenons à rappeler que nous sommes un groupe apartisan, et que nous ne souhaitons aucune réappropriation politique. De façon plus importante encore, nous condamnons d’une seule voix les exactions commises par le Hamas comme par le gouvernement de Netanyahou au même titre que nous condamnons depuis toujours le racisme, les actes antimusulmans et antisémites. Mais nous voulons pouvoir discuter de ces exactions, pour les comprendre et pour les combattre.
À LIRE AUSSI Alain Fuchs : « Ce qui se passe dans les universités américaines est très préoccupant »
Plus encore, nous craignons plus que tout que ces actes que nous combattons n’aient lieu au sein de notre institution. Et dans ce combat, nous ne pouvons collectivement rester sourds à la peur croissante qu’expriment certains étudiants de confession juive. Nous sommes des juristes, des politistes, des chercheurs, des décideurs, des journalistes en devenir et nous voulons en appeler au bon sens de chacun en rappelant que l’exercice de ces fonctions appelle à la plus grande rigueur scientifique, et à un recul dont nous n’avons plus aujourd’hui le luxe.
*Collectif apartisan d’étudiants de Sciences Po issus de diverses formations académiques et de différentes sensibilités politiques pour la liberté d’étudier et la liberté d’expression à Sciences Po. Leur pétition est accessible ici.