Liberté de la presse : les pressions politiques s’aggravent dans le monde, la France 21e du classement annuel de RSF
Des reporters documentaient les dégâts de frappes israéliennes sur la ville gazaouie de Rafah, le 29 février 2024.
Le quatrième pouvoir malmené par les trois autres. Les pressions politiques sur la presse augmentent dans le monde, tandis que certains Etats jouent même un rôle actif dans la désinformation, alerte Reporters sans frontières (RSF) dans son classement 2024 publié ce vendredi 3 mai.
La France passe de la 24e à la 21e place cette année. Mais il s’agit d’un effet mécanique – la mauvaise performance des autres pays – alors que les indicateurs de l’Hexagone «stagnent», relève Anne Bocandé, directrice éditoriale de l’ONG de défense des journalistes. La Norvège reste en tête de ce 22e classement de la liberté de la presse, tandis que l’Erythrée arrive en dernière position, 180e, après la Corée du Nord les deux années précédentes. Globalement, les conditions d’exercice du journalisme sont mauvaises dans les trois quarts des pays.
L’ONG dénonce en particulier l’«absence manifeste de volonté politique de la communauté internationale à faire appliquer les principes de protection des journalistes» à Gaza, dans le cadre de la guerre entre le Hamas et Israël. Plus de 100 reporters palestiniens ont été tués par l’armée israélienne, dont au moins 22 dans l’exercice de leurs fonctions, rappelle RSF.
Plus largement, cette édition 2024 met en exergue une moindre protection du journalisme par les Etats, quand ce n’est pas un rôle actif de ceux-ci dans la désinformation. RSF pointe ainsi «une détérioration préoccupante du soutien et du respect de l’autonomie des médias», alors que «2024 est la plus grande année électorale de l’histoire mondiale». Près de la moitié de la population est concernée par au moins un scrutin, de l’Inde aux Etats-Unis en passant par les élections européennes, ce qui laisse présager de nouvelles «pressions très fortes».
En Argentine (66e, – 26 places), le nouveau président ultralibéral Javier Milei a annoncé en mars la fermeture de l’agence de presse publique Télam, qu’il accuse de «propagande». «La situation est particulièrement inquiétante» dans ce pays dirigé par un des «prédateurs revendiqués de la liberté de la presse», alerte l’ONG. Au Sahel, les juntes qui ont pris le pouvoir au Niger (80e), au Burkina (86e) et au Mali (114e) «ne cessent de resserrer leur emprise sur les médias et d’entraver le travail des journalistes», estime-t-elle.
Le contrôle des réseaux sociaux et d’internet est très poussé au Vietnam (174e) et en Chine (172e), un pays qui, en plus d’emprisonner le plus grand nombre de journalistes au monde, pratique censure et surveillance.
«Répression» et «désinformation pro-russe»
A l’est de l’Europe et en Asie centrale également, «les censures de médias se sont intensifiées, dans un mimétisme spectaculaire des actes de répression russes», observent les spécialistes de RSF, citant le Bélarus (167e), la Géorgie (103e), le Kirghizistan (120e) et l’Azerbaïdjan (164e). La Russie, où Vladimir Poutine a été réélu en mars, se classe 162e.
De plus, l’arsenal de la désinformation s’est enrichi de l’intelligence artificielle générative. En témoigne un «deepfake» audio (montage perfectionné) dont a été victime la journaliste Monika Todova en Slovaquie (29e, – 12 places) avant les législatives à l’automne dernier. Un contenu qui a «clairement profité à la désinformation pro-russe qui sévit dans le pays», d’après RSF.
Ailleurs en Europe, la liberté de la presse est «éprouvée par les majorités au pouvoir en Hongrie, à Malte et en Grèce».
Les reculs les plus importants en matière de liberté de la presse s’observent en Afghanistan sous l’empire des talibans (178e, -26 places), au Togo (113e, -43) et encore en Equateur (110e, -30).
A l’inverse, la situation s’améliore au Chili (52e, +31), au Brésil (82e, +10), en Pologne (47e, +10) ou encore en Allemagne (10e, + 11). Selon Anne Bocandé, «la volonté politique peut permettre de meilleures garanties» pour les médias.
Les journalistes traitant de l’environnement ciblés
Par ailleurs, l’Unesco alerte sur un autre phénomène inquiétant, en cette journée mondiale de la liberté de la presse : plus de 70 % des journalistes traitant de l’environnement de 129 pays ont déclaré avoir été victimes de menaces, de pressions ou d’attaques, selon une enquête de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture révélée ce vendredi. Parmi eux, deux sur cinq disent avoir subi des violences physiques.
L’institution rappelle également qu’au moins 44 journalistes traitant des questions environnementales ont été tués depuis 2009 dans 15 pays, dont 30 en Asie-Pacifique et 11 en Amérique latine ou dans les Caraïbes. Quelque 24 ont survécu à des tentatives de meurtre et seulement cinq assassinats ont donné lieu à des condamnations, soit «un taux d’impunité choquant de près de 90 %», souligne l’Unesco.
Sans surprise, cela a une répercussion directe sur leurs travaux : 45 % d’entre eux expliquent s’autocensurer par crainte de représailles, de voir leurs sources dévoilées, ou parce qu’ils sont conscients que leurs articles sont en conflit avec les intérêts de parties prenantes concernées. Les journalistes environnementaux sont confrontés à des risques croissants. En cause : leur travail «recoupe souvent des activités économiques très rentables, telles que l’exploitation forestière illégale, le braconnage ou le déversement illégal de déchets», fait remarquer l’Unesco.
Mise à jour : à 9h12, avec l’ajout de l’enquête de l’Unesco sur les journalistes environnementaux.