Les colos de vacances, rite de passage pour les enfants… et les parents ?
Les colos de vacances, rite de passage pour les enfants… et les parents ?
Inès*, 35 ans, l’admet. Quand Yanis est parti pour la première fois « en colo » à l’âge de 6 ans, « elle n’a pas fermé l’?il de la nuit ». « Je suis une maman très protectrice, presque parano », blague l’architecte. Son enfant part cinq jours et cinq nuits ? il n’a pas de téléphone pour joindre ses parents. Devant lui, la maman fait mine d’être « sereine », mais, lors du séjour, elle reste suspendue aux nouvelles envoyées par les encadrants.
Pendant les trois premiers jours : rien, pas un message, pas une photo. « Je l’ai vécu de manière très dramatique : je me suis fait tous les scénarios imaginables, lâche-t-elle avec entrain. J’ai appelé la colo, j’avais besoin de savoir. Ça m’a rassurée, tout de suite. » Et puis Yanis est rentré, « tout content ».
Loin de la maison pour la première fois
Comme Inès, beaucoup de parents appréhendent d’envoyer leur fils ou leur fille dans des colonies de vacances. Ces dernières constituent un mode de garde alternatif aux grands-parents pendant les vacances et connaissent toujours un fort engouement. Entre 2022 et 2023, 1,33 million de départs ont été recensés dans ces structures.
Véritable rupture dans le quotidien, les premières colos constituent surtout une étape fondatrice pour les enfants et les adolescents. « C’est souvent la première fois que les enfants partent seuls dans un environnement qui ne leur est pas du tout familier », commente Lise Barthélémy, docteure en pédopsychiatrie. S’il n’y a pas d’« âge absolu » pour laisser son enfant partir en colo ? puisque « tout dépend de sa maturité » ?, la spécialiste indique que 8-10 ans peut constituer « un bon horizon » pour un premier départ. Et ajoute : « L’idéal, ce serait qu’un copain ou une copine part[e] dans la même aventure, c’est plus rassurant de connaître déjà quelqu’un. »
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La colo, de l’enfance à l’adolescence
Quitter le nid se doit ainsi d’être préparé en famille. Car une colonie de vacances requiert de nombreuses « adaptations » et des « efforts » pour l’enfant : dormir loin de chez soi, sans parents ou proches, tout en rencontrant de nouvelles personnes. « Cela peut être très stimulant comme effrayant, donc ce sont des moments à baliser, indique-t-elle. C’est important que le parent échange avec son fils ou sa fille sur ses émotions et ses craintes, reprend la pédopsychiatre. Qu’il lui dise qu’il est content pour lui, qu’il lui fait confiance pour le laisser aller en colo. Ce qu’il faut, c’est lui montrer qu’il en est capable. »
Pour Inès, cela passe par des discussions et des apprentissages au quotidien. « Il fallait que Yanis sache se débrouiller sans mon aide, alors nous avons procédé par étapes, explique-t-elle. Il a commencé à prendre sa douche et à changer ses vêtements tout seul. C’était comme un jeu et il était très preneur ! »
Mon fils était rentré tout souillé et crevé, mais il avait la banane !
Ainsi, les colonies de vacances sont un « réel coup d’accélérateur » dans « l’autonomie de son enfant ». « Quand tout se passe bien, l’enfant devient plus indépendant, non seulement dans les tâches quotidiennes, comme se nourrir ou se laver, mais aussi dans son aptitude à se séparer de ses proches, explique la pédopsychiatre. Et, même au sein d’un groupe, l’enfant se gère seul et peut prendre confiance en lui et en ses capacités. » C’est la raison pour laquelle la sociologue Pauline Clech considère que la colonie de vacances marque un passage dans la construction de soi en ce qu’elle fait transiter les adolescents « d’un état d’enfance vers un autre d’adolescence, voire de jeune adulte ».
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«Ã‚ Il y a clairement eu un avant et un après », lâche Julie, 50 ans. La cadre parisienne se souvient encore du « retour de colo » de son « petit dernier », alors âgé de 8 ans. Après deux ans de Covid, elle avait décidé d’envoyer son fils « chez les scouts pour qu’il soit davantage en collectivité, qu’il rencontre des gens de son âge ». « Mon fils était rentré tout souillé et crevé, mais il avait la banane, sourit-elle. Il connaissait plein de chants, de blagues, et avait envie de tout raconter. Son séjour l’avait complètement changé : il est devenu plus mature, moins réservé. »
La colo, un espace à soi
Les colonies de vacances constituent ainsi une expérience forte en ce qu’elles permettent aux jeunes de se rencontrer et de se construire « un espace à eux, hors du regard des parents, ce qui leur procure un vif sentiment de liberté », d’après la sociologue Pauline Clech. Et c’est aussi ce que Julie avait noté : « Quand mon fils m’a dit ?je te préviens, j’ai dit des gros mots pendant tout le séjour?, je me suis dit qu’on avait tout gagné. Parce que c’est très sain qu’il puisse avoir un endroit rien que pour lui en dehors de la maison. »
Si les enfants ne se transforment pas « de manière radicale », ils acquièrent de « nouvelles dispositions » en se socialisant avec d’autres camarades de leur âge. Et se confrontent à l’altérité. Car, d’après la sociologue, même au sein de colonies de vacances « caractérisées par une homogénéité sociale », un brassage social existe. « La présence de certains jeunes et/ou adultes issus de milieux sociaux différents introduit des manières d’être et des styles de vie divergents, remarque la sociologue. Cette coprésence permet des échanges culturels croisés, un décentrement par rapport au ?monde tout court? dans lequel les jeunes baignent depuis l’enfance et l’incorporation durable de manières d’être et de codes interactionnels ?dissonants? ? qui tranchent et s’ajoutent à ceux acquis au sein de l’univers familial ou amical habituel. »
Et le changement peut se révéler positif comme négatif. Si Inès est « globalement très contente » des séjours de son fils, « devenu plus mature », elle a noté aussi que ce dernier utilisait parfois « des expressions inappropriées » ? « Et je lui ai tout de suite expliqué que ce n’était pas bien d’utiliser ces mots ! » Ce qui ne l’empêchera pas de retenter l’expérience à l’avenir. Elle lance : « Avec mon mari, on est déjà en train de lire les brochures pour les prochaines vacances. »