Les César ont échoué à leur tâche la plus élémentaire : donner la parole à ceux qui ne l’ont jamais
La 48ème cérémonie des César a démarré par un avertissement. Choisi pour ouvrir le bal avec une dose d’humour qui donnerait aux téléspectateurs l’envie de rester assis sur leur canapé trois heures durant pour assister à la grande célébration du cinéma français, Jamel Debbouze avait annoncé la couleur : “C’est le meilleur moment de la soirée ! Tout le monde est content, détendu, plein d’espoir ! Faites du bruit pour le meilleur moment de la soirée !” Il fallait profiter de ce petit intermède d’hilarité, perdu au milieu d’un discours introductif déjà trop long (plus de quinze minutes alternant considérations sur le cinéma, les plateformes de streaming et un coup de gueule de Juliette Binoche), car il ne durerait pas. Et si vite il serait passé, les problèmes pourraient alors s’installer, les plaies béantes de l’industrie culturelle hexagonale se rouvrir de nouveau et l’ennui poindre inévitablement.
Voilà désormais plus de trois ans que la cérémonie des César est en rémission. Depuis la sortie magistrale d’Adèle Haenel en 2020 suite au prix de la meilleure réalisation remis à Roman Polanski, l’Académie des arts et techniques du cinéma s’est attelée à mener des réformes censées offrir davantage de représentation, de parité et de diversité. Évacuer le vieux monde et l’entre-soi persistant pour en embrasser un nouveau, accompagner des voix émergentes et avec elles l’espoir que le septième art puisse purifier son image conservatrice et rabougrie. Le travail est complexe et les progrès pour le moins lents.
Premier couac, avant même le début de la 48ème cérémonie qui a eu lieu ce vendredi 24 février à l’Olympia : l’absence totale de femmes dans certaines catégories. En particulier dans l’une des plus convoitées, celle de la meilleure réalisation. Choix d’autant plus inexplicable que de nombreuses cinéastes se sont faites remarquer en 2022 grâce à leurs films : Alice Diop a reçu le Lion d’argent à Venise pour Saint Omer, Alice Winocour a vu son Revoir Paris figurer dans la pré-sélection des films pouvant représenter la France aux Oscars et Rebecca Zlotowski a signé le plus beau film de sa carrière avec Les Enfants des autres, à l’automne dernier. Silence radio de la part de la cérémonie, problématique rangée sous un tapis bien poussiéreux.
De silence, il en aura également été question pendant la soirée et autant même dire qu’il aura été l’acteur principal de ce triste moment pour le cinéma français. Souvent critiquée pour sa longueur et ses discours à rallonge, où émotions fortes se mêlent maladroitement à de grands plaidoyers creux sur l’art, la 48ème cérémonie des César a fait le choix de l’efficacité. Trancher dans le vif et s’attaquer directement là où ça fait mal : les paroles des gagnants eux-mêmes.
Soixante-cinq secondes, c’est ce à quoi chacun d’entre eux aura eu le droit pour remercier leurs partenaires de travail, leurs soutiens quotidiens et immiscer entre deux respirations fébriles quelques pensées sur leur métier, aussi fugaces soient-elles. La punition, si le temps de parole n’est pas respecté, est la même que chez les confrères américains des Oscars et des Golden Globes : une musique, douce et pénétrante, qui se fait de plus en plus insistante à mesure que le chrono défile, jusqu’à prendre le dessus sur les mots. La vedette, ce n’est plus le lauréat, c’est la soirée elle-même. Et, pour sûr, elle ne laissera personne pourrir sa partition.
Au départ, ça a de quoi provoquer quelques rires nerveux, un effet de surprise évident, mais rapidement le malaise s’installe. Surtout quand cette petite mélodie s’impose sur le discours d’artistes ou de techniciens dont la parole est déjà particulièrement limitée le reste de l’année. Les costumiers, les chefs décorateurs, les ingénieurs du son, les chefs opérateurs ou encore les superviseurs d’effets spéciaux : tous ces métiers essentiels d’un film, rarement voire jamais exposés lors de la promotion des longs-métrages, et qui se voient, une fois dans l’année, tendre un micro pour leur donner l’occasion de raconter leur réalité du métier face à “cette grande famille du cinéma français” qui, une fois dans l’année, les regarde droit dans les yeux.
Qu’on leur coupe à eux la parole n’a évidemment rien d’un hasard. Par le passé, les récompensés des catégories dites “techniques” n’ont jamais manqué une occasion de se servir de leur tribune éphémère pour revendiquer davantage de visibilité vis-à-vis de leurs professions ou se permettre un aparté sur le contexte social du moment, et c’est leur droit le plus élémentaire. C’est aussi le charme de ces cérémonies que de voir le politique, et le réel, entrer en collision avec le faste, le confort et la forme illusionniste d’un tel spectacle, où chaque discours est écrit à la seconde près, où tout doit coulisser d’un prix à un autre, d’une pastille comique à une autre, comme si cette mécanique avait un sens évident et inaliénable. Certaines, comme Alice Diop ou la compositrice Irène Drésel, ont fait le choix de se rebeller contre la machine infernale des César en la mettant face à sa propre absurdité. “Vous n’allez quand même pas oser couper une femme noire en plein discours ?”, s’est permis la réalisatrice de Saint Omer. Il semblerait que si.
La parole, c’est la possibilité d’un inattendu et, ça, les César ne peuvent plus s’y résoudre. Troublée par des polémiques à répétition — souvent démesurées —, la grand-messe du cinéma a souhaité braquer le bien le plus précieux empoché par ses lauréats, l’expression, pour être certain qu’on y parlera désormais de cinéma et rien d’autre. Mais vouloir à tout prix dépolitiser le cinéma, à n’en faire qu’un banal objet de divertissement stimulant des émotions binaires (rire et pleurer), c’est aussi se risquer à voir soudainement des personnalités, échappant aux cadres de la cérémonie, employer d’autres moyens pour que la politique et ses invisibles existent, par effraction.
Le moment le plus savoureux et terrifiant de la soirée aura eu lieu assez tôt dans la soirée, un peu avant 21h30. Alors qu’Ahmed Sylla et Léa Drucker s’adonnent à l’un de leurs interminables discours introductifs et autres sketchs, espérant décocher un ou deux sourires parmi l’assemblée de vedettes qui garnissent les premiers rangs de l’Olympia, Nina, une activiste du groupe écologiste Dernière Rénovation, débarque sur la scène. Le téléspectateur ne l’a pas vu venir mais elle est là, comme un fantôme qui serait venu gentiment nous rendre visite et nous sortir de la torpeur. Main levé, arborant un tee-shirt blanc sur lequel est écrit “We have 761 days left” (“Il nous reste 761 jours”, un compte-à-rebours censé prévenir l’effondrement climatique), elle n’apparaît que quelques secondes sur les écrans avant que Canal+ ne coupe net la diffusion de l’événement. “Fallait que ça tombe sur moi”, assène Ahmed Sylla dans un rire que l’on devine nerveux. Un montage d’extraits des films nommés prend le relais, avec un petit bandeau défilant s’excusant de l’interruption. Situation de crise pour la chaîne cryptée, les César font face à un nouvel incendie et n’ont pas su le prévenir. En hors champ, la militante est invitée à quitter la scène — transportée sans politesse par du personnel de la sécurité —, et le spectacle peut reprendre comme si de rien n’était. Du moins c’est ce que ses organisateurs croient.
Malgré toute l’énergie d’Ahmed Sylla et de Léa Drucker pour détourner l’attention, à coups de déclarations d’amour pour “la famille du cinéma français” et ce fameux “public” qui la soutient si fort, l’image, évidemment, ne déserte pas les esprits. Elle les pirate même, rend tout ce qui s’ensuit futile voire insoutenable. Ni la débauche de spectacle, ni le déferlement d’animateurs souvent peu à l’aise dans l’exercice, et ni le palmarès — au demeurant séduisant — de la cérémonie n’auront fait oublier le moment. Cette apparition, soudaine et presque insouciante, d’une jeune femme à qui l’on a refusé l’accès, et qui, pourtant, avait ce soir-là ce que beaucoup d’entre eux n’avaient pas aux César : rien à prouver, tout à défendre.
La 48ème cérémonie des César a commencé par un avertissement et s’est achevée sur un constat tragique : si les artistes qui y sont récompensés observent avec acuité et sensibilité le monde d’aujourd’hui, ses dérives et ses problématiques supposés insolubles (ce “quelque chose qui cloche entre les hommes et les femmes” dans le multi-primé La Nuit du 12), ceux qui leur remettent les prix ne semblent ni vraiment les comprendre, ni déterminés à ce que leur petit univers à eux, aussi isolé et pernicieux soit-il, ne soit déstabilisé ou du moins prêt à être bouleversé. C’est tout ce qui, pourtant, fait la raison d’être du cinéma.
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