Pour une révision constitutionnelle qui desserre les verrous du juge

pour une révision constitutionnelle qui desserre les verrous du juge

Pour une révision constitutionnelle qui desserre les verrous du juge

Le 14 mars 2024 a été transmise au Conseil constitutionnel une proposition de loi référendaire ? déposée par des parlementaires LR ? visant à réformer l’accès des étrangers aux prestations sociales. Il s’agissait de soumettre à un « référendum d’initiative partagée » (RIP), outre la transformation de l’aide médicale d’État en aide médicale d’urgence, quatre articles repris de la trentaine introduite par le Sénat dans la loi immigration et censurés par le Conseil constitutionnel le 25 janvier précédent, comme ne présentant aucun lien avec le texte en discussion.

Ouvrons une parenthèse : la notion de « cavalier législatif » retenue par le Conseil le 25 janvier est particulièrement extensive. Ont été par exemple considérés comme cavaliers dix articles portant sur les titres de séjour, alors que le titre Ier du projet de loi comportait quatre articles sur la délivrance de cartes de séjour. Le Conseil a évité ainsi de se prononcer sur le fond, par exemple sur les modalités du regroupement familial (dont on a du mal à comprendre en quoi il ne présente aucun lien, même indirect, avec un projet de loi visant à « contrôler l’immigration et à améliorer l’intégration »). Ou sur les frais d’inscription des étudiants étrangers dans les établissements d’enseignement supérieur.

À LIRE AUSSI Le Conseil constitutionnel ne se contente pas de « dire le droit » La proposition de loi référendaire des LR l’invitait donc à se prononcer à nouveau sur une partie des articles « désarçonnés » le 25 janvier. Les auteurs de la proposition de loi n’ignoraient pas que la politique migratoire n’entre pas dans le champ du référendum défini au premier alinéa de l’article 11 de la Constitution. Aussi n’ont-ils pas repris l’ensemble des dispositions censurées par la décision du Conseil constitutionnel du 25 janvier en tant que « cavaliers législatifs ». Ils n’ont retenu, des amendements sénatoriaux censurés le 25 janvier, que les dispositions portant sur le droit social des étrangers. La seule rubrique de l’article 11 offrant prise au lancement d’un référendum d’initiative partagée est en effet, en l’espèce, celle relative aux « réformes relatives à la sociale de la nation et aux services publics qui y concourent ».

Une procédure référendaire ambitieuse

Le référendum d’initiative partagée (RIP) est né de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Contrairement au référendum prévu par les dispositions antérieures de l’article 11 de la Constitution, il ne procède pas de l’initiative du chef de l’État et peut donc avoir pour objet d’infléchir l’action de l’exécutif et de sa majorité. Ce n’est pas pour autant un référendum d’initiative citoyenne (RIC). Il est engagé par une initiative parlementaire qui doit être soutenue par un nombre suffisant de citoyens. D’où son appellation de référendum d’initiative partagée. La procédure est précisée par la loi organique n° 2013-1114 du 6 décembre 2013 et la loi ordinaire n° 2013-1116 du 6 décembre 2013, ainsi que par le décret n° 2014-1488 du 11 décembre 2014. Un « mode d’emploi du RIP  » a été mis en ligne sur son site par le Conseil constitutionnel.

Le déroulement d’un RIP comprend trois étapes. La première est celle de la rédaction d’une proposition de loi qui doit être signée par le cinquième au moins des parlementaires en fonction et qui, sur le fond comme sur la forme, doit être déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans le mois de sa saisine. Si le Conseil valide la proposition de loi, s’ouvre la deuxième étape, celle du recueil des soutiens des électeurs. La période de recueil est de neuf mois. Le nombre de soutiens à recueillir est de 10 % des électeurs inscrits, soit aujourd’hui près de 5 millions d’électeurs. La barre de 10 % a été placée très haut par le constituant de 2008.

Si la proposition recueille le soutien d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales s’ouvre la troisième étape : la proposition doit être examinée par les deux assemblées dans les six mois suivant la publication au Journal officiel de la décision du Conseil constitutionnel déclarant qu’elle a obtenu le soutien d’au moins un dixième des électeurs. Cet examen peut conduire à adopter (avec ou sans amendements) ou à rejeter la proposition, mais il n’a pas à être achevé dans les six mois. Il faut et il suffit que, dans ce délai de six mois, la proposition ait été examinée une fois par chacune des deux assemblées parlementaires. Ce n’est que si l’une au moins des deux assemblées n’a pas du tout examiné la PPL dans ce délai que le président de la République convoque le référendum. Cette convocation est alors une obligation constitutionnelle du président.

Sort du RIP

En l’espèce, l’initiative référendaire des LR tourne court au stade préliminaire, puisque le Conseil constitutionnel juge qu’elle ne satisfait pas aux conditions précédentes.

À ce stade, le Conseil doit examiner cinq questions : la proposition de loi est-elle présentée par plus d’un cinquième des membres du Parlement à la date d’enregistrement de sa saisine ? A-t-elle pour objet d’abroger une disposition législative promulguée depuis moins d’un an ? Porte-t-elle sur le même sujet qu’une proposition de loi rejetée par référendum il y a moins de deux ans ? Porte-t-elle sur l’un des sujets mentionnés au premier alinéa de l’article 11 de la Constitution ? Sur le fond, ses dispositions sont-elles contraires aux règles et principes de valeur constitutionnelle ? Ces conditions de recevabilité du RIP sont cumulatives. C’est sur les deux dernières conditions que l’on pouvait s’interroger ici.

À LIRE AUSSI Le référendum, profonde ligne de fracture Macron-Le PenLe gouvernement faisait valoir que, tant dans son ensemble qu’en chacun de ses articles, la proposition de loi sortait du domaine délimité de l’article 11. Dans son ensemble parce qu’elle portait sur un objet (la politique migratoire) étranger à l’article 11. En chacun de ses articles parce que les dispositions de ceux-ci étaient trop « paramétriques » pour avoir l’envergure requise d’une « réforme sociale ».

Les parlementaires LR répliquaient que, prise dans son ensemble, leur proposition avait bel et bien la nature et l’ampleur d’une réforme relative à la politique sociale de la nation et que, malgré le dénominateur commun des cinq articles (les droits sociaux des étrangers), elle était séparable de la politique migratoire. Ils exposaient également que chacun desdits articles portait une réforme sociale. Ainsi, la transformation de l’aide médicale d’État (AME) en aide médicale d’urgence (AMU), prévue par l’article 2 de la proposition, est, à elle seule, une réforme d’une ampleur plus large et avec un caractère de généralité plus important que la proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris qui a pourtant été qualifiée de « réforme » au sens de l’article 11 de la Constitution par le Conseil constitutionnel.

Départager le gouvernement et LR

Sur la procédure, le Conseil donne raison aux parlementaires LR en jugeant leur proposition de loi non étrangère au champ de l’article 11 « au regard des modifications que cette proposition de loi apporte à certains dispositifs de prestations sociales, d’aide à la mobilité et d’hébergement susceptibles de bénéficier à des étrangers, elle porte, au sens de l’article 11 de la Constitution, sur une réforme relative à la politique sociale de la nation ». Mais c’est pour mieux la rejeter ensuite sur le fond (terrain sur lequel ne se plaçaient ni le gouvernement ni les députés LR) en jugeant son article 1er contraire à la Constitution.

L’article 1er de la proposition de loi des LR décalquait l’article 19 de loi immigration (censuré comme cavalier législatif) dans lequel la bien-pensance avait reconnu la marque infamante de la préférence nationale prônée par l’« extrême droite ». Il fixait à cinq ans ? pour les étrangers non ressortissants de l’Union européenne qui ne travaillent pas ? la durée de séjour régulier conditionnant l’obtention de certaines prestations sociales non contributives.

À LIRE AUSSI « Pacte migratoire » : comment se positionnent les candidats aux européennesPour aboutir à sa censure, le Conseil constitutionnel pose d’abord que, si le législateur peut prendre à l’égard des étrangers des dispositions spécifiques, il lui appartient de « respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République ». Conformément aux exigences résultant des dispositions des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 (qui impliquent la mise en ?uvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des personnes défavorisées), « les étrangers doivent jouir des droits à la protection sociale, dès lors qu’ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français ». Ces exigences constitutionnelles ne s’opposent pas, juge-t-il, à ce que le bénéfice de certaines prestations sociales dont jouissent les étrangers en situation régulière sur le territoire français soit soumis à une condition de durée de résidence ou d’activité, mais cette durée ne saurait être telle qu’elle « prive ces exigences de garanties légales ». Or, en subordonnant le bénéfice de prestations sociales pour l’étranger en situation régulière non ressortissant de l’Union européenne à une condition de résidence en France d’une durée d’au moins cinq ans ou d’affiliation au titre d’une activité professionnelle d’une durée d’au moins trente mois, les dispositions de l’article 1er portent une atteinte disproportionnée à ces exigences. Elles sont donc contraires à la Constitution.

Question : l’attribution du RSA aux étrangers étant, elle aussi, subordonnée par la loi à une durée de séjour régulier de cinq ans, est-il inconstitutionnel ? C’est ce à quoi aboutit la décision du Conseil constitutionnel au terme d’un raisonnement qui fait à nouveau une application prétorienne du principe de proportionnalité, conduisant le juge de la loi à substituer son appréciation à celle du législateur.

Une telle censure, venant après bien d’autres, fait la démonstration que seule une révision constitutionnelle pourra, en matière de politique migratoire, desserrer les verrous bouclés par le juge.

Rejet du RIP dans son ensemble

Il suffit qu’une des dispositions de la proposition de loi soit inconstitutionnelle pour que toute la proposition soit irrecevable. Cela résulte des termes mêmes de l’article 45-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le Conseil constitutionnel vérifie, dans le délai d’un mois à compter de la transmission de la proposition de loi : [?] 3° qu’aucune disposition de la proposition de loi n’est contraire à la Constitution ». Cette rigueur est logique car faire prospérer un RIP tronqué de certaines de ses dispositions pourrait aller à l’encontre de l’intention de ses initiateurs ou fausser l’économie générale de leur texte.

À LIRE AUSSI Référendum : Emmanuel Macron propose d’élargir son utilisation aux questions de sociétéEn l’espèce, ayant jugé inconstitutionnel l’article 1er de la proposition de loi des LR, le Conseil constitutionnel regarde donc l’intégralité de la proposition de loi comme irrecevable « sans qu’il ait à se prononcer sur la conformité à la Constitution de ses autres dispositions ».

On a beaucoup dit que le RIP était fait pour ne pas servir. De fait, aucun des huit RIP tentés à ce jour n’a abouti. Mais, d’une part, cela n’a pas découragé les parlementaires d’opposition de lancer de nouvelles tentatives. D’autre part, même inabouties, ces initiatives peuvent avoir des effets importants. On l’a vu avec Aéroports de Paris en 2019 : le seul engagement du processus référendaire (qui, pourtant, ne devait pas aller jusqu’à son terme, faute d’avoir recueilli un nombre suffisant de soutiens d’électeurs) avait interdit leur privatisation, celle-ci ne pouvant se réaliser dans des conditions de sécurité juridique satisfaisantes.

*Jean-Éric Schoettl est conseiller d’État honoraire et ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel.

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