Jim Lee, président de DC Comics : « Il y a sûrement trop de contenus superhéroïques aujourd’hui »

jim lee, président de dc comics : « il y a sûrement trop de contenus superhéroïques aujourd’hui »

Jim Lee, président de DC Comics : « Il y a sûrement trop de contenus superhéroïques aujourd’hui »

Jim Lee est aux dessinateurs de super-héros ce que Michel-Ange était à la peinture. Un pionnier, qui aura su imposer sa griffe détaillée et dynamique dans une décennie 1990 cauchemardesque pour l’industrie du « comic book ». On a appris à l’aimer lors de ses débuts très remarqués chez Marvel ? avec 8 millions d’unités écoulées, son X-Men#1, publié en 1991, est d’ailleurs toujours la bande dessinée la plus vendue de l’histoire des États-Unis. Puis on l’a adoré en métronome créatif du côté de DC Comics. Notamment quand en 2011, il offre un nouveau souffle à Superman et sa bande via la New 52, refonte complète des publications de la maison d’édition américaine, très justement traduite en « Renaissance DC » dans l’Hexagone. Un sauvetage dans les règles de l’art.

En 35 ans d’une carrière décidément bien remplie, Jim Lee aura croqué pour et aux côtés des plus grands, du sépulcral Punisher : an Eye for an Eye (codessiné avec Carl Potts pour Marvel en 1991), au nettement plus coloré Superman : Pour demain (For Tomorrow en VO, écrit en 2004) en passant par l’inoubliable Batman : Silence (Hush en VO, scénarisé en 2002) ? dont il est d’ailleurs dit qu’il sera la principale inspiration de la suite du The Batman de Matt Reeves, prévue pour 2026.

Pourtant, en découvrant ce gourmand bonhomme et son petit mètre soixante dans les locaux franciliens de Warner Bros. Discovery, à Neuilly-sur-Seine, on ne peut s’empêcher de croire que l’on a face à nous un ami de longue date. Comme si ce large sourire, entre deux bouchées de pain au chocolat (il en raffole, paraît-il), et cette poignée de main chaleureuse étaient, eux aussi, entrés dans notre culture populaire. On se plaît alors à contempler son charisme humble, presque pudique. Une simplicité assumée, participant elle aussi du succès de cet artiste né à Séoul, mais qui aura passé l’essentiel de sa jeunesse dans la ville de Saint-Louis, aux États-Unis.

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Aujourd’hui installé à la tête de DC Comics après la très médiatisée fusion entre Warner Bros. ? dont DC est une filiale ? et Discovery Inc. il y a deux ans, c’est donc à la fois dans le costume de dessinateur émérite, mais aussi dans celui du président de la firme que Jim Lee se présentera le 30 mars au parc des expositions de la Porte de Versailles, à Paris, pour la toute première édition du salon Comic-Con France. Lee y donnera une courte conférence pour fêter les 85 printemps de Batman.

Mais la grand-messe parisienne de la culture pop devrait aussi être l’occasion de faire la promo de Superpowered : The DC Story. Ce documentaire en trois épisodes, coproduit par Jim Lee sera diffusé tous les mercredis, du 3 au 17 avril, sur Warner TV Next. Il célébrera les 90 ans de DC Comics, à travers le regard d’une soixantaine d’invités de prestige, des scénaristes de bandes dessinées aux acteurs ayant interprété leurs héros au cinéma. Une grande fête des justiciers en capes et collants, à laquelle Le Point Pop a pu accéder en avant-première?

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Le Point Pop : Pour célébrer son 90e anniversaire, DC sort Superpowered, qui revient sur presque un siècle d’une histoire qui a commencé en bande dessinée. C’était important pour vous de rappeler que le point de départ de tout ça, c’est le papier ?

Jim Lee : C’était même vital ! Pour beaucoup de monde, la porte d’entrée vers l’univers DC est un film, une série ou un jeu vidéo? Il y a tellement de complexité et de profondeur dans tous ces médiums qu’aujourd’hui, je pense qu’il est vital que les gens se souviennent des esprits créatifs de ceux qui ont donné vie à ces personnages. C’est essentiel pour bien les comprendre et les apprécier. Ils ne sont pas que des pixels sur un écran : à la base, ils ont été inventés par des humains, comme vous et moi !

Même chose pour leurs histoires, qui ont été écrites pour divertir, mais aussi pour faire passer un message. J’ai adoré le passage du documentaire où Grant Morrison [scénariste chez DC, NDLR] dit que d’une certaine manière, les créateurs de ces personnages étaient plus puissants que les dieux : les dieux ont créé des êtres humains imparfaits, là où les artistes ont créé des super-héros parfaits, comme Superman. Cette analogie m’a bluffé !

En ce qui vous concerne, l’histoire commence il y a 26 ans quand vous débarquez en rock-star chez DC.

Pour être honnête, je n’y pense pas souvent (Il rit) ! C’était il y a tellement longtemps. Dans mes fonctions actuelles de président, directeur créatif et éditeur, on n’a pas d’autres choix que de se tourner vers l’avant. Et puis, de manière générale, je n’aime pas regarder dans le passé : soit on nourrit des regrets, soit on se retrouve bloqué dans un moment dans le temps. Ça peut être dangereux quand on essaye de progresser.

Je suis fier de ce que j’ai accompli, mais je me dis davantage : « À quoi ressembleront les 26 prochaines années ? » Je ne me repose jamais sur mes lauriers !

Dans le premier épisode du documentaire, vous expliquez que les créateurs veulent toujours proposer quelque chose de différent. Comment satisfaire les fans de la première heure et les nouveaux ?

C’est justement la partie la plus complexe du job ! Au bout du compte, ce qui importe vraiment, c’est de garder un ?il sur ce qu’il se passe dans la société, tout en écoutant les éditeurs, les artistes pour construire ensemble un futur qui doit systématiquement être fondé sur ce qui s’est passé avant. Il faut s’interroger : construisons-nous un monde d’espoir ? Un monde où le public peut s’identifier à nos personnages ? Parce que s’ils ne le peuvent pas, alors notre industrie court le risque de l’obsolescence.

Aujourd’hui, on a l’intelligence artificielle, on envoie l’homme sur la Lune? Alors qu’est-ce qu’il faudrait pour vraiment impressionner le lecteur et fixer une tendance sur près d’un siècle dans la culture pop ?

Paul Levitz (éditeur chez DC de 2002 à 2009) affirme justement qu’à l’inverse de beaucoup de grosses entreprises et malgré son ancienneté, la force de DC a souvent été d’innover, d’être le « disrupteur » dans sa branche. Est-ce la clé de votre succès ?

Oui. L’une des raisons pour lesquelles je m’en suis bien tiré chez DC, c’est justement parce que je venais d’une plus petite entreprise. Je travaillais chez Image Comics [éditeur de Kick-Ass et Spawn, racheté par DC en 1998, NDLR], qui était en réalité un regroupement d’artistes qui venaient de quitter des boîtes plus grosses.

Alors j’avais en moi cette espèce de fibre entrepreneuriale, que j’ai essayé d’infuser à DC, une société plus stable et mature. Les initiatives sur lesquelles j’ai le plus aimé ?uvrer chez DC étaient celles où l’on partait de rien pour établir un projet complet. Il faut mener énormément de recherches, engager les bonnes personnes, établir le bon modèle d’entreprise.

Ç’a été le cas avec la New 52 (en 2011) : on s’est, par exemple, demandé comment publier les comics à la fois en papier et en numérique au quotidien, comment réécrire une continuité historique qui fasse sens, puis il a fallu inciter les artistes à se démarquer de leurs prédécesseurs. Le tout en faisant la promotion de nos nouveautés et avec des impératifs de vente. On avait presque l’impression, à l’époque, de complètement recréer une entreprise.

Le documentaire rappelle que Superman, inventé en 1938, est le premier super-héros de l’histoire. Si vous deviez inventer ce premier super-héros en 2024, qui serait-il ?

Très créatif comme question : je ne l’avais jamais eue celle-là ! Si je créais ce super-héros, je pense déjà que je serais riche ! Ou qu’en tout cas ma descendance le serait (Il rit) ! Blague à part, j’estime que la raison pour laquelle Superman a à ce point explosé, c’est parce qu’il faisait des choses jamais vues pour l’époque.

Voir un homme soulever une voiture au-dessus de sa tête en 1938, c’était complètement fou. Aujourd’hui, on a l’intelligence artificielle, on envoie l’homme sur la Lune? Alors qu’est-ce qu’il faudrait pour vraiment impressionner le lecteur et fixer une tendance sur près d’un siècle dans la culture pop ? J’imagine que ça ne tiendrait pas dans un simple comic-book : il faudrait que ce soit un quasi-être humain, synthétique, qui pourrait réellement voler et soulever des voitures, tout en nous ressemblant. Là, ça serait une révolution.

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On évoque ces derniers temps la lassitude du public à l’égard des justiciers en collants. Vous y croyez ?

Oui. Du moins pour une partie de la population qui pense avoir vu quelque chose de prévisible. Mais vous savez, les super-héros, ce n’est pas nécessairement un genre. C’est juste raconter l’histoire de gens qui ont des superpouvoirs. Et ça, ça peut se faire sous forme de polar, de science-fiction, de fantasy, de récit romantique?

Je pense aussi qu’il y a peut-être trop de contenus super-héroïques. Même chose avec Star Wars, par exemple, et de manière générale avec tous nos concurrents. C’est un créneau très encombré. Mais je reste persuadé qu’à la fin seule la crème remontera à la surface.

Dans une petite décennie à peine, Batman et Superman ? principales sources de revenus de l’entreprise ? entreront dans le domaine public. Cela inquiète-t-il le patron de DC Comics ?

Je vais vous donner une réponse très pragmatique : ce n’est pas comme si tout allait subitement tomber dans le domaine public. Cette situation ne concerne que les éléments datés du tout début. Prenez Superman par exemple : il y a certains pouvoirs ou certains acolytes qui sont apparus à des moments bien différents, et qui donc ne tomberont pas immédiatement dans le domaine public. En bref, ça ne m’empêche pas de dormir.

L’intelligence artificielle est-elle aussi une menace pour le secteur ?

Beaucoup d’artistes se sentent en danger et le font savoir publiquement. D’un point de vue strictement personnel, je n’ai pas l’impression d’être menacé. J’ai le sentiment que des avancées importantes doivent avoir lieu en matière de régulation, notamment une juste compensation pour les auteurs, comme c’est le cas dans l’industrie musicale. Il y a ? et il y aura ? des manières de traquer l’usage abusif de l’IA. C’est impossible d’ignorer cette nouvelle technologie, alors il faut la contrôler, et rétribuer ceux dont l’?uvre permet de nourrir ces machines.

Je dessine beaucoup, même si je ne publie pas tout.

Cette année, vous venez souffler les 90 bougies de DC à Paris, dans le cadre du Comic-Con France. Pourquoi ici, et maintenant ?

C’est une première en convention ! Même s’il me semble que j’étais déjà venu faire des dédicaces à Saint-Germain il y a une vingtaine d’années? Paris est une ville fantastique, l’une de mes préférées au monde. Se promener ici a quelque chose d’inspirant. Je suis d’avis qu’un paquet de choses à propos de l’histoire de ce pays, et même de son influence sur les États-Unis, a eu un impact sur la nature des super-héros.

On parle beaucoup de stratégie globale quand on est depuis son bureau en Californie. Mais en sortir et aller auprès des gens, voir leur enthousiasme, ça n’a pas de prix.

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Peut-on espérer vous revoir dessiner incessamment ?

Hier matin encore je dessinais ! Je dessine beaucoup, même si je ne publie pas tout (Il rit)  ! Si vous parlez de dessiner des histoires complètes, je ne vous cache pas que c’est difficile de trouver du temps. Mais l’ambition de créer brûle toujours en moi. Il y a d’ailleurs une histoire sur laquelle je travaille, et qui pourrait être la dernière que je raconte.

Un indice, peut-être ?

Bien essayé, mais non (Il rit) ! Je peux quand même vous dire que ça sera gros, que ça en dira beaucoup de mon propre parcours, et de ce que pourrait être un futur pour le monde. Bon allez, je vous donne quand même un indice : j’ai toujours été un grand fan de « La Légion des Super-Héros » [une histoire DC Comics sur une super-équipe du troisième millénaire]. Mon idée ne portera pas forcément sur eux, mais je dirai juste que j’aime le fait d’avoir un groupe de personnages installés dans le futur, coexistant avec des héros du présent. Je suis convaincu qu’il y a un sujet.

Superpowered : The DC Story, de Leslie Iwerks et Mark Catalena (3 fois 55 min), avec Jim Lee, Gal Gadot, Henry Cavill, Denys Cowan? Diffusé les 3, 10 et 17 avril sur Warner TV Next.

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