Ce que des "chewing-gums" de l'âge de pierre nous apprennent sur les anciens Scandinaves

Image d’illustration. Peintures rupestres de Nämforsen à Näsåker (Suède), dont les plus vieilles ont probablement été réalisées vers 4 500 av. J.-C.

L’analyse de l’ADN ancien, extrait de résines mâchouillées il y a près de 10 000 ans dans ce qui est aujourd’hui la Suède, permet, selon les mots des chercheurs à son origine, une “avancée majeure dans la compréhension des fascinants témoignages de la culture humaine de l’âge de pierre”.

Il offre un incroyable instantané d’une période lointaine, le Mésolithique : de l’ADN ancien extrait de résines de bouleau, mastiquées par des chasseurs-cueilleurs de la côte ouest de la Scandinavie il y a environ 9 700 ans.

Dans les Scientific Reports, ainsi que dans un article de The Conversation du 18 janvier 2024, les chercheurs expliquent comment leurs recherches sur ces curieux “chewing-gums” leur ont permis d’obtenir de précieuses informations sur “l’utilisation des matériaux, l’alimentation et la santé bucco-dentaire” des populations préhistoriques scandinaves.

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De la résine comme colle, loisir ou médicament

Au début des années 1990, le site archéologique désormais connu sous le nom de Huseby Klev, au nord de Göteborg (ouest de la Suède), est méticuleusement fouillé. La découverte de plus de 1 800 artefacts en silex et de 115 morceaux de résine permet alors de dater au carbone 14 l’ancienne colonie entre 10 200 et 9 400 ans – soit juste avant que l’agriculture ne se diffuse du Moyen-Orient vers l’Europe, vers environ 6 000 à 4 300 ans pour sa partie la plus au Nord, la Scandinavie.

Les trois morceaux de résine analysés dans le cadre de l’étude ont été fabriqués à partir de brai végétal d’écorce de bouleau, alors employé comme substance adhésive dans la technologie des outils en pierre.

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Toutefois, ils pouvaient aussi être mastiqués à des fins récréatives ou médicinales. Des substances similaires (résines de conifères, bitume naturel et d’autres gommes végétales) ont d’ailleurs été utilisées de la même façon dans de nombreuses autres régions du monde.

Pour cette raison, il n’est pas rare d’identifier des morceaux mâchés, souvent avec des empreintes de dents ou de doigts, sur des sites mésolithiques. De même sur les sites néolithiques, comme celui de Syltholm au Danemark, où un “chewing-gum” millénaire avait permis en 2019 d’extraire le génome complet de son ancienne mâcheuse, surnommée Lola. Et ainsi, de se figurer à quoi elle ressemblait probablement – une peau sombre, les yeux bleus – il y a 5 700 ans.

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Des restes de tartre dentaire ancien révélateurs

Ici, les traces identifiées sur le mastic ont révélé que leurs propriétaires étaient des adolescents. Les bouts de brai renfermaient en outre des bactéries typiques du microbiome buccal, naturellement présentes dans la bouche des êtres humains. Mais ils en cachaient d’autres, souvent impliquées dans les cas de caries dentaires (Streptococcus mutans), de maladies systémiques (Haemophilus influenzae de type b), d’endocardite infectieuse et d’abcès, citent les experts.

Présents à une fréquence élevée, ces micro-organismes n’étaient “pas clairement au-dessus du niveau attendu pour un microbiome buccal sain”, précisent-ils, si bien que les chasseurs-cueilleurs de Huseby Klev n’ont pas nécessairement été touchés par ces pathologies – “il peut y avoir une présence bactérienne sans symptômes physiques”. En revanche, l’un des “chewing-gums” mâché par une adolescente comportait une grande abondance de bactéries liées à la parodontite moderne, grave infection des gencives parfois surnommée “déchaussement des dents” :

Nous avons conclu que la fille qui avait mâché l’une des pièces de résine avait probablement souffert de parodontite, avec une probabilité de plus de 75 %. – Kırdök, E., Kashuba, N., Damlien, H. et al. Sci Rep 13, 22125 (2023).

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La lointaine Scandinave aurait ainsi eu du mal à mastiquer la résine pour la préparer… ou tout simplement, à mâcher la viande de cerf caoutchouteuse dont elle se nourrissait. Car les spécialistes ont également déniché de l’ADN provenant de cerf élaphe (Cervus elaphus), de truite brune (Salmo trutta), de canard colvert (Anas platyrhynchos) et de noisettes, mangés par les adolescents avant qu’ils ne mettent les morceaux de bouleau dans leur bouche.

Des indices sur les modes de vie durant la Préhistoire

Mais si ces données génétiques sont cohérentes avec les vestiges archéologiques présents sur place, les scientifiques restent toutefois prudents sur ces conclusions, qui dépendent des données de comparaison dont ils disposent : “Les génomes des organismes eucaryotes, comprenant les plantes et les animaux, sont plus grands et plus complexes que ceux des micro-organismes, si bien que l’assemblage d’un génome eucaryote de haute qualité est plus compliqué”, écrivent-ils.

En résumé, dans les échantillons de résine vieux de 9 700 ans, se cachent des génomes eucaryotes en moins grand nombre et en moindre qualité. S’il est certain que le poisson faisait partie de la famille des saumons, il est en revanche plus incertain qu’il s’agisse à 100 % d’une truite brune.

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La présence d’ADN provenant d’un renard roux (Vulpes vulpes), arctique (Vulpes lagopus) ou d’un loup (Canis lupus) est aussi difficile à interpréter. La viande du canidé aurait pu faire partie du régime alimentaire des anciens chasseurs. Les tendons et les poils pourraient avoir été mâchés pour la confection de textiles. Mais les molécules portant l’information génétique pourraient aussi avoir “contaminé” la résine après qu’elle a été recrachée, à travers un marquage territorial.

Ces “chewing-gums” de l’âge de pierre ne fournissent finalement que des indices – certes, des plus instructifs – sur des aliments spécifiques autrefois consommés, qui ne représentent certainement pas toute la variété des sources de nourriture ingérées au cours du Mésolithique scandinave. Les auteurs de l’étude espèrent désormais qu’en analysant davantage des fascinants échantillons du site ancien de la côte suédoise, de nouvelles surprises pourraient émerger.

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