GRAND ENTRETIEN. "Relancer la natalité française" n'est pas "une priorité", estime un démographe français

Bien que l’Insee ait enregistré une baisse historique des naissances en 2023, Laurent Toulemon, directeur de recherches à l’Ined, explique que la population française continuera d’augmenter dans les prochaines années.

Une baisse de plus de 6% en un an. En 2023, 678 000 bébés ont vu le jour en France, soit 6,6% de moins que l’année précédente, ce qui correspond au plus faible nombre de naissances sur un an depuis 1946, selon la dernière étude démographique publiée par l’Insee mardi 16 janvier. Le même jour, Emmanuel Macron annonçait la mise en place d’un “grand plan” contre l’infertilité, ainsi que celle d’un congé de naissance, plus court que le congé parental actuel mais “mieux rémunéré”, qui “permettra aux deux parents d’être auprès de leur enfant pendant six mois s’ils le souhaitent”, a justifié le chef de l’Etat. Objectif, selon l’Elysée : “débloquer les freins économiques et sociaux au désir d’enfant”.

Quatre questions sur l’infertilité, “fléau” auquel Emmanuel Macron veut s’attaquer

https://www.francetvinfo.fr/sante/quatre-questions-sur-l-infertilite-fleau-auquel-emmanuel-macron-veut-s-attaquer_6309069.html

Comment faut-il interpréter ce déclin historique ? Pour répondre à ces questions, franceinfo s’est entretenu avec le démographe Laurent Toulemon, directeur de recherches à l’Institut national d’études démographiques (Ined).

Franceinfo : Dans son étude publiée mardi, l’Insee fait état d’une diminution du nombre de naissances de 6,6% en 2023 par rapport à 2022. Qu’est-ce qui explique cette baisse ?

Laurent Toulemon : Tout d’abord, il est important de rappeler qu’il existe beaucoup de pays où la baisse d’une année à l’autre est plus importante que 6% et que la fécondité en France ne s’effondre pas du tout. Toutefois, si cette baisse continue sur plusieurs années, on pourra l’expliquer par les inquiétudes face à l’avenir, les problèmes économiques, les sacrifices qu’on exige des parents, et notamment des femmes, quand ils font des enfants.

Les causes à l’échelle individuelle sont complexes. Aujourd’hui les couples se forment vers 24 ans, sans perspective immédiate de faire des enfants. Les premières naissances ont lieu vers les 29 ans des parents. La situation “neutre”, grâce à la contraception et l’avortement, c’est d’avoir une vie affective et sexuelle sans crainte d’une naissance non planifiée. La décision éventuelle d’avoir un enfant est remise à plus tard, et les adultes peuvent se consacrer à d’autres occupations que de s’occuper d’un ou plusieurs enfants. Les naissances résultent alors de la décision, pour les couples hétérosexuels, d’avoir des relations sexuelles pour obtenir une grossesse (ou pour les femmes seules ou en couple de même sexe, de recourir à la PMA). Il faut que les parents potentiels “se sentent prêts”.

En revanche, les craintes liées au réchauffement climatique et à l’épuisement des ressources ne sont pas forcément des raisons très crédibles. Ce sont des raisons avancées soit par des personnes déjà trop âgées pour avoir des enfants, ou comme une justification du fait qu’elles sont restées sans enfants, soit par des gens très jeunes, mais qui peuvent changer d’avis avec le temps.

Lors de sa conférence de presse, mardi soir, Emmanuel Macron a justement beaucoup insisté sur la relance de la natalité. Est-ce une urgence ?

Je ne suis pas sûr que relancer la natalité française soit une priorité. Certes, le nombre de naissances diminue, mais est-ce réellement un problème ? Le niveau actuel est-il trop bas ? Faut-il qu’il remonte ? Pour l’instant, le taux de fécondité s’établit à 1,68 enfant par femme, ce qui est amplement suffisant pour que la population du pays reste presque constante. Nous n’en sommes pas du tout à la situation préoccupante d’autres pays, qui voient à court terme une diminution de leur population active, avec une augmentation très importante du nombre de personnes âgées.

Avec le solde migratoire actuel [différence entre le nombre de personnes qui sont entrées sur le territoire et le nombre de personnes qui en sont sorties] de 180 000 personnes par an – un chiffre supérieur aux projections de l’Insee, qui mise sur une fourchette allant de 20 000 à 120 000 personnes – et une fécondité de 1,68 enfant par femme, la population continuerait à augmenter. Il est important de préciser que ce solde migratoire de 180 000 personnes de plus chaque année est très inférieur à celui de nos voisins italiens, allemands et anglais. Si on rapportait leur solde migratoire à la population française, il devrait plutôt se situer entre 400 000 et 800 000 personnes.

Le chef de l’Etat a notamment annoncé la création d’un congé de naissance. Est-ce une bonne solution pour augmenter le nombre de naissances ?

C’est une bonne initiative, mais elle n’aura de répercussions sur la natalité que si elle est accompagnée d’autres mesures. L’objectif d’un tel congé est avant tout d’améliorer la situation des jeunes parents, à condition de mettre en place un système de garde d’enfants après les 6 mois du bébé, avec des places dans des crèches qui soient de bonne qualité. Or, ce sujet n’a absolument pas été abordé pendant cette conférence de presse.

Ce congé serait en revanche un élément important de lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes, et il permettrait d’améliorer le bien-être des jeunes parents. En étant plus court, il peut également limiter le risque de ne pas retrouver un emploi ou de ne pas pouvoir poursuivre une carrière. La parentalité a un coût, qui en majorité est payé par les femmes.

Quelle serait donc sa plus-value par rapport au congé parental qui existe déjà ?

Ce congé de naissance permettrait de passer d’une allocation très peu rémunérée à un congé plus court, mieux payé et donc plus attractif pour les femmes qui perçoivent un salaire élevé. Aujourd’hui, le congé parental est compétitif uniquement pour celles qui se trouvent en bas de la hiérarchie des salaires, avec des conditions de travail difficiles et/ou des horaires atypiques. Mais globalement, que ce soit pour les femmes qui gagnent un salaire correct ou bien pour les hommes, ce n’est pas du tout attractif.

Toutefois, il faut noter que ce congé de naissance augmentera les inégalités entre les femmes. Pour l’heure, pratiquement toutes les mesures de lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes conduisent mécaniquement à augmenter les inégalités entre les femmes. Nous n’avons pas encore trouvé de solution pour agir à la fois sur les inégalités femmes/hommes et celles entre les femmes.

Emmanuel Macron a également annoncé le lancement d’un “grand plan” contre l’infertilité. Quelle est la situation en France ?

C’est un phénomène qui a beaucoup été étudié par les démographes. Effectivement, de plus en plus de couples sont confrontés à des problèmes d’infertilité. Pour y remédier, il existe l’assistance médicale à la procréation (AMP, ou PMA). En termes de démographie, le bilan global de cette AMP reste assez mitigé pour deux raisons. Premièrement, elle ne fonctionne pas à tous les coups et c’est un chemin de croix, surtout pour les femmes, qui subissent des ponctions d’ovocytes et des traitements hormonaux lourds. Les taux de réussite sont de l’ordre de 40%.

Deuxièmement, on se rend compte que de nombreux couples ne sont pas tout à fait stériles et qu’ils parviennent à avoir des enfants sans AMP [entre 18 et 24% des couples en désir d’enfants ne parviennent pas à obtenir une grossesse après 12 mois d’essai, selon Santé publique France (SPF), qui précise que ce taux retombe à une fourchette de 8% à 11% après 24 mois de tentatives]. Ils sont juste impatients et les médecins leur offrent une possibilité d’accélérer le processus. Attention, je ne suis pas en train de sous-estimer le problème médical ou le problème de santé publique que ça pose. Au point de vue individuel, pour les couples, c’est très douloureux. Mais à l’échelle de la population, l’impact démographique est très faible.

Enfin, il est faux de croire que le nombre de naissances baisse parce que les femmes, dont la fécondité baisse avec l’âge, attendent trop longtemps pour avoir des enfants. C’est une aimable plaisanterie. Avoir des enfants jeunes est très mauvais pour leur situation professionnelle.

“La stratégie des femmes qui consiste à faire carrière d’abord puis avoir des enfants est parfaitement rationnelle.”

Laurent Toulemon, démographe

à franceinfo

Si on veut que ça change, au lieu de faire la morale aux femmes en leur disant “Attention, si vous ne vous dépêchez pas, vous allez devenir stérile”, il vaudrait mieux faire en sorte qu’avoir des enfants en étant plus jeune ne soit plus aussi pénalisant pour les femmes.

Quels sont les leviers efficaces pour relancer les naissances ?

Les politiques explicitement natalistes, dont le but est seulement d’augmenter le nombre de naissances, ne fonctionnent pas vraiment. En général, ces politiques ont été essayées par des gouvernements autoritaires ou conservateurs. Elles sont liées à des avantages financiers immédiats, comme des primes à la naissance, des allocations ou des avantages fiscaux, et à des injonctions paternalistes orientées vers les femmes. Mais elles oublient le fait que les femmes ont envie d’être traitées comme des adultes et des citoyennes à part entière. Elles occultent également le fait qu’avoir des enfants a un coût extrêmement fort pour les femmes, dont certaines refusent de payer le prix. Si on veut limiter ce coût, il faut que les hommes prennent une part du fardeau.

En France, l’idée qu’on peut avoir des enfants tout en faisant carrière reste forte, même si en pratique ce n’est pas tellement vrai, contrairement à d’autres pays. Pour remédier à cela, il faudrait mettre en place des politiques visant à améliorer les conditions de travail des parents, en facilitant la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, ou en augmentant le nombre de gardes d’enfants. Cela peut aussi porter sur les horaires de travail, la protection des salariés contre des horaires atypiques ou très irréguliers, ou encore des aménagements spécifiques pour les parents qui élèvent seuls leur enfant. On sait que les familles monoparentales sont dans des situations particulièrement délicates et que ce sont en majorité des femmes.

Quelles conséquences aurait cette hausse de la natalité ?

S’il y avait un mini baby-boom, à court et moyen termes, cela poserait des problèmes financiers, en raison de versements d’allocations et des avantages fiscaux donnés aux parents. Cela poserait aussi des soucis pour les modes de garde, puis, dans trois ans, au niveau du nombre de places dans les écoles, puis au collège. Ce sont exactement les problèmes rencontrés pendant le baby-boom d’après-guerre. Mais à plus long terme, ce sera bénéfique, puisque cela entraînera une hausse de la population active.

A l’inverse, quand le nombre de naissances diminue, l’Etat fait des économies. Mais à plus long terme, cela engendre des problèmes économiques, car ces enfants en moins deviendront des actifs en moins. Pour résumer, du point de vue des administrations, il vaut mieux que ces taux restent constants et éviter les chocs démographiques, qu’ils concernent une hausse ou une baisse des naissances.

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