Élections en Inde : pour l'opposition, la chronique d'un échec annoncé ?

élections en inde : pour l'opposition, la chronique d'un échec annoncé ?

Rahul Gandhi (deuxième en partant de la gauche) lors d’une manifestation de l’alliance électorale India en décembre 2023.

Narendra Modi, le Premier ministre sortant en Inde, et son parti, le BJP, sont donnés largement gagnants pour les élections législatives qui débutent le 19 avril. La faute, en grande partie, à une opposition qui semble avoir raté l’occasion de s’unir, malgré les apparences de la coalition India.

Jamais deux sans trois ? Le Premier ministre indien sortant Narendra Modi s’apprête à enchaîner un troisième mandat à la tête du gouvernement, à en croire les derniers sondages d’opinion réalisés dans la plus grande démocratie du monde.

La coalition dirigée par son parti, le Bharatiya Janata Party (BJP), pourrait en effet rafler les deux tiers des 543 sièges à la Lok Sabha – équivalent de l’Assemblée nationale – à l’issue du scrutin XXL qui se déroule du 19 avril au 1er juin, d’après une enquête d’opinion publiée au début du mois par India TV.

Une coalition hétéroclite

La longévité du BJP au pouvoir serait alors similaire à celle du parti du Congrès de Gandhi à sa grande époque, dans les années 1960-1970. Sauf qu’il y a à peine un an, l’horizon électoral de Narendra Modi apparaissait beaucoup moins dégagé. Un obstacle s’était dressé sur sa route en juillet 2023 et il semblait de taille : la plupart des partis d’opposition s’étaient réunis au sein d’une alliance baptisée India.

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Le paysage politique indien est coutumier des coalitions électorales. “Depuis les années 1990 et jusqu’à l’arrivée de Narendra Modi au pouvoir en 2014, c’était la base de la plupart des gouvernements”, souligne Lipika Kamra, politologue à l’université de Birmingham.

Mais cette fois, India semblait sortir de l’ordinaire du jeu des alliances, en réussissant à fédérer plus de 40 partis politiques. Un rassemblement hétéroclite au possible : on y retrouve, aux côtés du parti du Congrès, aussi bien des communistes du CPI, des nationalistes d’extrême droite ou encore des musulmans de plusieurs formations représentant cette minorité religieuse.

Pour réunir des profils aussi divers sous une même bannière, il fallait qu’un même sentiment d’urgence politique soit partagé par tous : barrer la route au BJP. “Au départ, ils ont vraiment donné l’impression d’unité derrière ce mot d’ordre”, note Adam Ziegfeld, spécialiste des élections en Inde à l’université Temple de Philadelphie. Et le message semblait passer : peu après la formation d’India, l’écart avec l’alliance dirigée par le BJP – l’Alliance démocratique nationale – n’était que de deux points.

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Depuis lors, tout semble aller de mal en pis. Et cette chronique d’une débâcle électorale annoncée reflète tout aussi bien la force de frappe et le pouvoir de nuisance politique de la machine pro-Modi, que la faiblesse structurelle d’une opposition rechignant à accepter le leadership d’un parti du Congrès qui n’est plus que l’ombre de lui-même. Le tout sur fond d’élections “qui représentent un test pour l’existence même d’une opposition en Inde”, souligne Anurag Mishra, analyste politique à la Jawaharlal Nehru University de New Delhi.

Pour comprendre comment plus de 40 partis unissant leurs forces peinent à faire trembler électoralement le BJP, “il faut avoir en tête que les élections indiennes se jouent à la fois au niveau national et dans chacun des États”, explique Indrajit Roy, politologue à l’université d’York. “Si, au début, tous les membres de l’alliance India pouvaient afficher leur unité, c’était parce qu’ils n’étaient pas encore entrés dans le vif du sujet du partage des sièges”, ajoute Adam Ziegfeld.

Meute de loups politiques

C’est avec cet exercice que les multiples personnalités d’India ont commencé à faire dérailler le projet national de contrer Narendra Modi. “Ces partis ont beau prêcher l’unité au niveau national, la réalité est qu’ils vont se retrouver adversaires au niveau régional [pour décider des candidats à présenter dans chaque circonscription, NDLR]”, résume Indrajit Roy.

“Le problème tient à leur incapacité à trouver des compromis”, ajoute ce spécialiste. La faute à l’absence d’un mâle alpha dans cette meute de loups politiques aux dents longues. Le rôle aurait dû échoir au parti du Congrès, étant donné son poids historique. “Sauf qu’il a perdu son statut de grand frère qu’il faut suivre”, assure Anurag Mishra.

Il n’a plus que 50 sièges à la Lok Sabha – à comparer aux 301 élus du BJP –, ce qui “n’est pas très éloigné de certains partis plus petits, qui ont donc du mal à accepter les ordres du parti du Congrès”, estime ce spécialiste.

Le parti du Congrès n’a pas seulement perdu son lustre d’antan. Il est aussi “fracturé de l’intérieur et animé de luttes de pouvoir”, souligne Indrajit Roy. De quoi semer le doute au sein des autres formations de l’alliance India : faut-il réellement soutenir un parti qui a eu du mal à se mettre d’accord sur un leader ? Historiquement, les élections générales indiennes mettent moins l’accent sur la personnalité des chefs de parti que sur leurs programmes, mais “avec Narendra Modi, le scrutin est devenu davantage centré sur un face-à-face de personnalités. Il a acquis une dimension plus ‘présidentielle'”, explique Lipika Kamra.

Pression sur l’opposition

Le BJP a un autre avantage… qui tient à une de ses faiblesses. “Le BJP domine peut-être au niveau national mais, dans plusieurs États, il est loin d’être la force principale, ce qui fait qu’il y a de la place pour des alliances avec d’autres formations”, souligne Adam Ziegfeld. Autrement dit, les intérêts locaux font que certains partis vont préférer s’allier avec le BJP pour avoir des sièges plutôt que de suivre la coalition India. C’est notamment le cas de la formation Janata Dal (Uni), très présente dans l’État du Bihar, qui a changé de camp, passant de l’alliance India à celle du BJP. “Le rejet du parti de Modi n’est pas encore suffisamment fort pour garantir à lui tout seul l’unité de l’alliance”, résume Anurag Mishra.

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Comme si les difficultés internes à l’alliance India ne suffisaient pas, Narendra Modi et le BJP ont aussi “mobilisé des moyens sans précédent pour contrer l’opposition”, note Lipika Kamra. Amnesty International a même parlé d’une “répression politique qui a atteint un point critique avant les élections”.

Ainsi, l’arrestation mi-mars pour blanchiment d’argent d‘Arvind Kejriwal, le ministre en chef de Delhi et l’un des principaux détracteurs de Narendra Modi, a été qualifiée de décision purement politique par l’opposition. “Les affaires de corruption impliquant des responsables politiques ne sont pas si rares en Inde. Mais ce qui peut inquiéter ici, c’est que le pouvoir y a recours juste avant les élections”, souligne Adam Ziegfeld.

Quelques semaines plus tôt, en février, le parti du Congrès avait accusé le gouvernement d’avoir ordonné le gel de ses comptes bancaires. “C’est-à-dire que le pouvoir est ici accusé d’empêcher l’opposition de payer son personnel de campagne. Si c’est vrai, ce sont des tactiques pour faire taire l’opposition dignes de Vladimir Poutine en Russie”, souligne Indrajit Roy.

Pluralisme en danger ?

Pour cet expert, il y a “une instrumentalisation des lois et des institutions pour intimider l’opposition”. Le site d’information indien The Wire a publié en février une enquête révélant qu’une douzaine de membres de partis d’opposition, visés ces derniers mois par des enquêtes pour corruption, ont vu les procédures s’évaporer dès qu’ils ont rejoint les rangs du BJP. “Ce sont des tactiques qui peuvent avoir un réel effet électoral car elles permettent de vider les rangs de l’opposition et peuvent pousser certains responsables à se taire pour éviter de se retrouver avec une enquête sur le dos”, estime Adam Ziegfeld.

Si le BJP se donne autant de mal pour réduire au silence une opposition qui réussit très bien toute seule à se tirer des balles dans les pieds, c’est parce que le parti au pouvoir a une ambition très précise. “Le BJP veut que sa coalition atteigne les 400 sièges à l’Assemblée, ce qui lui permettrait d’asseoir sa domination sur le paysage politique”, assure Lipika Kamra.

C’est pourquoi l’idée d’une grande alliance pour limiter la casse électorale pouvait sembler aussi importante. “L’enjeu pour l’opposition est existentiel. Si le BJP obtient une majorité écrasante, il va pouvoir convaincre plus facilement les membres les plus importants des autres partis de le rejoindre et ainsi vider les rangs de l’opposition”, résume Indrajit Roy. Le risque serait de transformer l’Inde en démocratie avec un pluralisme de façade, ce qui permettrait au BJP de rester au pouvoir… pour longtemps encore.

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