« Interdire les réseaux sociaux aux ados donne aux parents un sentiment illusoire de sécurité »

«Ã‚ Interdire les réseaux sociaux aux ados donne aux parents un sentiment illusoire de sécurité »

A l’origine prévue pour la mi-mai, la remise du rapport d’experts sur les usages numériques chez les jeunes, commandé par Emmanuel Macron en janvier dernier, a finalement été avancée ce mardi 30 avril. Un choix plutôt habile, puisque le sujet se retrouve désormais au cœur de l’actualité à la veille d’une série de jours fériés et autres ponts – période pendant la laquelle l’épineuse question du temps passé par les enfants et les ados sur les écrans sera au cœur des conversations familiales.

Dans ce rapport de plus de 130 pages, plusieurs recommandations ont fait réagir les experts de la jeunesse et/ou du numérique. Ainsi, l’idée d’interdire les réseaux sociaux aux moins de 18 ans paraît « illusoire » et « irréaliste » à Séverine Erhel, docteur en psychologie cognitive, spécialisée dans les usages du numérique. Interview.

Quel regard portez-vous sur ce rapport ?

Je suis un peu mitigée. D’un côté, il contient de très bonnes choses. Par exemple, rappeler « pas d’écran avant 3 ans », ce que la science dit depuis longtemps, va dans le bon sens. L’autre point positif, c’est l’accent mis sur le rôle joué par les plateformes : tant mieux si cela permet à chacun de prendre conscience que leur modèle économique est basé sur la monétisation de notre attention et de nos données personnelles. Mais d’autres recommandations sont parfaitement illusoires, voir totalement inapplicables.

« Certains contenus ont des effets positifs sur le développement langagier » : comment encadrer l’usage des écrans chez les enfants ?

Lesquelles, par exemple ?

Interdire les téléphones connectés à internet aux moins de 13 ans pose un certain nombre de problèmes. D’abord, les collégiens ont besoin de se connecter régulièrement au logiciel Pronote : c’est là qu’ils ont accès à leurs devoirs, notamment. Dans la mesure où un nombre important d’entre eux ne dispose pas d’ordinateur personnel, ils seraient alors contraints d’attendre le retour de leurs parents pour leur demander s’ils peuvent utiliser l’ordinateur familial, ce qui restreindrait considérablement leur autonomie.

Enfants et écrans, les raisons d’une désaffection

Aussi, priver un ado de smartphone reviendrait à compliquer les relations au sein des familles recomposées. Les messageries comme WhatsApp sont très utilisées par les enfants pour communiquer avec l’autre parent, celui qu’il ne voit pas ce week-end ou cette semaine-là, ou encore qui vit loin. Ces outils numériques sont très utiles pour maintenir les liens familiaux malgré la distance, ce qui est essentiel pour le bien-être des jeunes. Et c’est particulièrement problématique quand les relations entre les parents divorcés ne sont pas apaisées. Le rapport n’évoque pas du tout la question du rôle du smartphone dans les familles recomposées et a tendance à présenter les choses comme si le modèle de la famille mononucléaire était toujours la norme. Or, ce n’est plus le cas.

Quels sont les autres points qui ont attiré votre attention ?

Interdire les réseaux sociaux avant 15 ans est complètement irréaliste. D’abord, c’est déjà le cas puisque la loi de 2018 conditionne l’ouverture d’un compte sur les réseaux sociaux à l’accord des parents et que… la plupart des ados y sont déjà, souvent sans que leurs parents soient au courant ! Même chose concernant l’interdiction de TikTok et Instagram aux moins de 18 ans : c’est parfaitement inapplicable.

Contrôle parental : des parents, des enfants et des écrans

Ce qui me gêne, c’est qu’en parlant d’interdiction, on donne aux parents un sentiment illusoire de sécurité. Alors qu’en réalité, cela pourrait surtout invisibiliser les pratiques les plus problématiques : les ados oseront encore moins parler avec leurs parents de ce qu’ils ont pu voir sur les réseaux… puisqu’ils ne seront pas censés l’avoir vu !