"L’intelligence artificielle peut être complice d'actes criminels": Jacques Pradel dénonce les dérives des nouvelles technologies

Votre livre”Police technique et scientifique: Le choc du futur” est une véritable bible sur les techniques de recherche scientifique d’hier, d’aujourd’hui et surtout de demain. Avez-vous écrit ce livre tout seul ?

Absolument. C’est le livre d’un journaliste et d’un expert qui est d’ailleurs un ami depuis de nombreuses années.

Il y a quelques années, j’avais fait un reportage dans les laboratoires scientifiques de l’IRCGN, l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale, et c’était le colonel Daoust qui est devenu entre-temps général et qui est devenu un ami. Parce qu’en tant que journaliste, lorsque j’ai besoin de décrypter un peu plus, pour le public, le sens et l’enjeu d’un certain nombre de recherches scientifiques dans le domaine de la police, je me tourne vers lui.

Dans ce livre, vous retracez l’histoire de la police scientifique. On se rend compte qu’à l’époque, ce qui faisait charge de preuve était souvent Dieu…

On pensait que c’était le jugement de Dieu. Par exemple, on disait à la personne de saisir dans sa main une barre rougie au feu, évidemment, il se brûlait gravement. Et donc, s’il était brûlé, c’est qu’il était coupable.

Les femmes ont été les plus mal loties à cette époque-là de l’histoire. Dans le Code de Hammurabi qui remonte 1000 ans avant notre ère, si le mari allait se plaindre pour dire que sa femme l’a trompée, pour savoir si elle était coupable, on le mettait dans un sac, on poussait le sac dans la rivière. Et là, le pauvre n’avait aucune chance de s’en sortir parce que si elle coulait, elle était coupable. Si elle finissait par flotter et revenir du fond, elle était innocente, mais c’était trop tard pour le constater.

La science arrive également très tard dans la résolution d’affaires criminelles.

Oui, absolument. C’est le XIXᵉ siècle, parce que c’est là qu’il y a quand même de grandes avancées scientifiques et surtout le début du 20ᵉ, avec des personnages comme Bertillon et comme le docteur Edmond Locard, qui a ouvert le premier laboratoire de police scientifique dans les combles du palais de justice de Lyon.

Pour comprendre les enjeux et le développement des outils dont nous parlons, il faut absolument revenir en arrière, parce que les inventions ne se font pas comme ça, ça ne tombe pas du ciel. Edmond Locard à son époque, c’est-à-dire dans les années 1910-1920, a émis ce qu’on appelle le principe de Locard, qui n’a pas une ride aujourd’hui, qui est toujours la phrase que les enquêteurs ont en tête : “Toute personne ayant traversé la scène d’un crime laisse une trace et emporte avec elle une trace de son passage”.

Ces traces, ces preuves scientifiques, elles sont souvent vues aujourd’hui comme irréfutables. Est-ce que c’est vraiment le cas ? Est-ce qu’une trace ADN, une empreinte est forcément juste ?

Non, parce que d’abord, il faut remarquer que l’ADN est une probabilité, donc il y a une probabilité infime, une chance sur deux milliards, que deux personnes aient les mêmes empreintes génétiques. Mais en même temps, il y a des erreurs de calcul, il y a des erreurs dans le domaine de l’ADN, des erreurs dans le domaine de l’interprétation des empreintes digitales également.

Il y a une affaire célèbre qui a impliqué un malheureux Américain qui n’était pour rien dans les fameux attentats de Madrid. Et c’est la police espagnole qui a réussi à rétablir la vérité et à montrer que ce malheureux Américain était accusé à tort. Tout ça pour dire, on prend ces exemples pour dire que le chemin que prend la recherche et le développement en matière de police scientifique est un chemin très balisé, très réfléchi pour éviter justement à l’avenir la répétition de ce nombre d’erreurs qu’on connaît.

Et ces techniques de la police scientifique sont souvent au carrefour de plusieurs autres disciplines. Prenons par exemple la biologie, les policiers font souvent appel aux animaux des victimes ou des criminels pour déterminer qui est coupable.

On travaille beaucoup maintenant sur l’ADN des animaux parce que même les tueurs ont des animaux de compagnie. Si on trouve sur une victime des poils de chien, par exemple, ça donne un élément à l’enquêteur, une piste qui signifie que l’auteur du crime est aussi peut être accompagnée d’un animal. Les analyses sont très fines, on peut savoir si c’est un poil de fox-terrier ou un poil de chat.

Dans ce livre, vous vous intéressez beaucoup au futur de ces techniques. Le futur, pour vous, c’est faire appel aux objets connectés ?

Le virtuel de manière générale, c’est vraiment une médaille qui a deux faces. Par exemple, l’intelligence artificielle peut être un formidable auxiliaire de justice, c’est-à-dire aider les forces de l’ordre à accélérer leur analyse. Actuellement, on peut exprimer une empreinte génétique en 1h30. Il y a quelques années, c’était trois jours et ça coûtait dix fois plus cher.

Mais la même intelligence artificielle peut être complice d’actes criminels. Maintenant, il y a toute une cybercriminalité qui se développe et qui se sert des mêmes armes que ceux qui sont censés les combattre.

À la fin de votre livre, vous parlez des contraintes supplémentaires pour les enquêteurs concernant leurs téléphones portables.

Absolument, c’est pour les traces numériques. Prenons par exemple un cambriolage : un cambrioleur pénètre dans une maison, il a un téléphone portable, même éteint dans la poche, ce téléphone, sans lui demander son avis, va se connecter avec le Wi-Fi de la maison. Le Wi-Fi de la maison va peut-être se connecter avec le réfrigérateur. Vous savez, il y a des tas de gens qui ont des réfrigérateurs intelligents. Et donc, la mémoire de cette trace numérique existe, elle est contenue dans ce qu’on appelle la mémoire tampon. Alors le problème, c’est que c’est une nouvelle contrainte pour les enquêteurs, s’ils pénètrent même en tant qu’experts sur les scènes de crime avec un téléphone et bien ça efface la mémoire tampon.