"Il était dans un grand esprit de dialogue entre juifs et musulmans", confie la réalisatrice d'un documentaire sur Ady Steg, médecin et défenseur de la mémoire juive

Un documentaire intitulé “Ady Steg, un parcours juif, une histoire française”, réalisé par Isabelle Wekstein, est diffusé dimanche à 22h40 sur France 2.

“C’était un ‘mensch’ [une personne intègre et de confiance, en yiddish]. C’est la première des vertus que l’on peut attendre d’un homme.” C’est ainsi que le juriste et ancien ministre Robert Badinter qualifiait Ady Steg. De confession juive, cet éminent chirurgien, professeur agrégé de médecine, qui opéra le général de Gaulle et François Mitterrand, marqua durablement, par son implication, tant le monde hospitalier que les institutions juives de France. Il reste pourtant méconnu du grand public. Une injustice que répare le documentaire qui lui est dédié, intitulé Ady Steg, un parcours juif, une histoire française, réalisé par Isabelle Wekstein et diffusé dimanche 14 janvier sur France 2.

Si le film retrace le passé d’Ady Steg, né en 1925 en Tchécoslovaquie et arrivé à Paris à l’âge de 7 ans avec sa famille afin de fuir les pogroms d’Europe de l’Est, il s’attarde surtout sur l’engagement de ce grand médecin et sur son profond humanisme. Militant convaincu, Ady Steg n’a eu de cesse de soigner les souffrances des hommes, mais également celles de la communauté juive en préservant les droits et la mémoire des juifs de France. Il fut, tour à tour, président du Crif, de l’Union des étudiants juifs de France et de l’Alliance israélite universelle. Le documentaire met également en lumière sa loyauté indéfectible envers la France, pays dont il épousa avec passion la culture. La réalisatrice Isabelle Wekstein revient pour franceinfo sur le parcours de ce médecin émérite et engagé.

Franceinfo : Pourquoi dresser le portrait d’Ady Steg ?

Isabelle Wekstein : Parce que j’ai eu la chance de le fréquenter pendant un peu plus de trente ans. Je suis sa belle-fille et, à ce titre, j’ai pu filmer nos entretiens pendant un an à partir de 2011 avec David Teboul. Ce n’était pas pour faire un documentaire, mais plutôt afin de constituer des archives familiales. Ady Steg était connu dans la communauté juive car il a dirigé diverses institutions, et dans la communauté médicale parce qu’il avait dirigé un service d’urologie, qu’il a créé la médecine d’urgence et qu’il a opéré notamment le général de Gaulle et François Mitterrand.

Mais au fond, il avait surtout envie de parler de son shtetl natal [village ou quartier juif en Europe de l’Est] et de son enfance dans une famille juive orthodoxe. Comme c’était moins connu, je trouvais qu’il était important de parler de son histoire personnelle et de sa traversée du siècle. Il s’est engagé dans de multiples causes, mais en tant qu’homme particulièrement modeste, il ne se mettait jamais en avant. Il aurait peut-être pu être davantage connu du grand public, mais ce n’était pas dans sa nature. Je trouvais essentiel de le faire connaître. Il est mort en avril 2021, en plein Covid. L’année suivante, les différentes institutions juives, pour lesquelles il avait œuvré, ont estimé qu’il n’avait pas reçu l’hommage qu’il méritait. Elles sont venues vers moi et c’est là qu’est née l’idée de faire un documentaire.

Ce qui est frappant dans votre film, c’est son amour et sa fidélité pour la France, malgré les désillusions qu’il va connaître avec la Seconde Guerre mondiale…

“C’est un paradoxe”, comme le dit joliment le publicitaire Maurice Lévy dans le film. Ady était un être beaucoup plus complexe qu’on ne pourrait le penser. C’était un homme profondément attaché à son identité juive, à la transmission et à l’éducation juive. Pour autant, il considérait qu’il était français, qu’il devait beaucoup à la France, et que l’excellence dans son parcours d’éducation et professionnel était liée au système français. Comme c’était un homme profondément bon et humaniste, il ne voyait aucune difficulté à avoir cette double fidélité : l’une à ses origines, au peuple juif, et l’autre à la France qui, malgré tout, l’avait accueilli, intégré, même s’il a souffert de la Collaboration, du régime de Vichy et de la montée de l’antisémitisme après la guerre. Il l’explique d’ailleurs très bien lors de son audition devant la commission de l’adoption du Code de la nationalité, que l’on découvre dans le film et qui avait eu un grand écho à l’époque. Il avait eu cette jolie phrase à ce propos : ” La France est ma demeure culturelle, le judaïsme, ma demeure spirituelle.”

Parlait-il aisément de ses rapports avec François Mitterrand et le général de Gaulle, qu’il a opérés ?

Il s’est peu exprimé sur François Mitterrand, car il était son médecin et c’était un homme qui gardait le secret professionnel de manière absolue. Il l’a opéré pour ses problèmes de prostate en 1992 puis en 1994. C’est d’ailleurs durant cette année-là qu’ont été révélés au grand public les liens d’amitié qui unissaient le président français avec René Bousquet, l’ancien secrétaire général de la police de Vichy, assassiné en 1993. Même s’il s’en est défendu au départ, François Mitterrrand finira par reconnaître avoir recommandé de freiner des procédures judiciaires, dont celles à l’encontre de René Bousquet, pour éviter de “raviver des plaies”. Cela a été un véritable point de rupture pour Ady Steg, qui en fut particulièrement affecté. Dans une interview, il confiera être “interdit et meurtri”. Une déclaration qui ne plaira pas au président français. A la suite de cela, ils prendront l’un et l’autre leurs distances.

Concernant le général de Gaulle, j’ai appris leurs échanges intimes en faisant le film. Je sais que lors de l’opération chirurgicale qu’il a effectuée sur lui en 1964, le rôle d’Ady a été très important. Ils ont gardé par la suite des rapports courtois, même si Ady a sans doute été blessé par les mots du général, au moment de la guerre des Six Jours en juin 1967. Il avait prononcé à l’époque la phrase sur “les Juifs, jusqu’alors dispersés, mais qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est à dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur”.

Il s’est beaucoup impliqué pour aider la communauté juive…

Il s’est effectivement beaucoup investi dans la reconstruction de la communauté, comme on peut le constater au travers des différentes fonctions qu’il a occupées, mais s’il était très fidèle à son judaïsme, c’était un judaïsme ouvert et humaniste. Ady s’est aussi énormément impliqué dans les relations judéo-chrétiennes. Il y a beaucoup de choses que je n’ai malheureusement pas mises dans le film, car c’est un 52 minutes, mais il était très proche du cardinal Jean-Marie Lustiger. Il a également joué un rôle fondamental au moment du Carmel d’Auschwitz [Durant neuf ans, de 1984 à 1993, des carmélites se sont installées dans les anciens locaux du théâtre d’Auschwitz, ce qui provoqua la stupeur et la condamnation des communautés religieuses catholiques et juives]. Ady Steg a rencontré le pape et a été très présent dans les amitiés judéo-musulmanes. Il a aidé Hassan II, le roi du Maroc, à avoir une vision très ouverte du judaïsme et des juifs marocains, vivant au Maroc ou à l’étranger. Ady Steg était dans un grand esprit de dialogue entre juifs et musulmans.

Il a été également membre de la Halde (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité). Soucieux de la mémoire, de la transmission et de l’éducation, il a créé une grande bibliothèque à l’Alliance israélite universelle et était très investi dans les réseaux d’écoles de l’Alliance. Ady avait une ouverture d’esprit sur des sujets qui n’étaient pas seulement liés à la communauté juive.

Quel a été son apport à la médecine ?

L’une de ses importantes contributions est constituée par les rapports fondateurs qu’il a rédigés sur les urgences. Ady Steg a considéré qu’il fallait les restructurer. Il a donc plaidé pour la médecine d’urgence et ainsi contribué de manière très importante au fait que l’urgence devienne une spécialité à part entière. Auparavant, les urgences étaient assurées par de jeunes internes, changeant tous les jours et spécialisés dans d’autres domaines. Il a créé une véritable filière de l’urgence, certes pas tout seul mais son action a abouti à la création de postes pérennes de professeurs, des séniors spécialisés dans l’urgence. Il a pu faire en sorte qu’il y ait une “universitarisation” et “séniorisation” des urgences. Il a d’ailleurs été nommé président de la Commission nationale de restructuration des urgences.

Chef du service d’urologie de l’hôpital Cochin, à Paris, Ady Steg a eu des contributions scientifiques importantes. L’école urologique de Cochin qu’il a dirigée a été reconnue dans le monde entier. Il fut l’un des promoteurs du traitement du cancer de la vessie par le BCG et a œuvré au développement du traitement du cancer de la prostate. Il endossait également des responsabilités dans des sociétés savantes d’urologie. Ady Steg a eu véritablement une grande carrière de chirurgien et de chercheur, mais c’était aussi un enseignant d’exception. Tous ses étudiants se battaient pour assister à ses cours et à ses conférences d’externat et d’internat. Ils considéraient Ady Steg à la fois comme un exemple et comme un guide.

Le documentaire Ady Steg, un parcours juif, une histoire française, réalisé par Isabelle Wekstein, est diffusé dimanche 14 janvier à 22h40 sur France 2 et sur la plateforme france.tv.

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