DÉCRYPTAGE. Pourquoi l’élément inventé par la gymnaste algérienne Kaylia Nemour est si « unique » ?

Kaylia Nemour représentera l’Algérie aux Jeux olympiques de Paris 2024.

Kaylia Nemour, qui dispute l’étape de Coupe du monde à Doha (Qatar) du 17 au 20 avril, est entrée dans l’histoire de la gymnastique, le 26 mai 2023, lors des championnats d’Afrique à Pretoria. Là-bas, la Franco-Algérienne a inscrit un nouvel élément aux barres asymétriques dans le code de pointage qui porte aujourd’hui son nom. Décryptage de ce mouvement inédit, désormais appelé le « Nemour », qui restera gravé dans le marbre.

Le 26 mai 2023, elle est entrée à tout jamais dans l’histoire de la gymnastique. Lors des championnats d’Afrique à Pretoria (Afrique du Sud), Kaylia Nemour a inscrit un nouvel élément à son nom aux barres asymétriques dans le code de pointage : un Tckatchev tendu du Stalder serré ou un Nabieva – gymnaste russe qui avait déposé le Tckatchev tendu – du Stalder serré pour les puristes.

Pour vulgariser, c’est un franchissement dorsal de la barre supérieure en position tendue amené d’un grand tour arrière avec les jambes serrées. Classé G (0,7 pt), soit la valeur la plus haute à ce jour attribuée à cet agrès, cet élément s’appelle désormais le « Nemour » pour le grand bonheur de la principale intéressée. « C’est un truc de fou ! C’est différent d’une médaille, mais un élément dans le code, c’est tout aussi waouh ! », jubile la gymnaste franco-algérienne.

La fierté de sa famille

Dans les yeux de la famille de Kaylia Nemour, la fierté est encore palpable, pas loin d’un an après cette véritable consécration. « Je suis hyper heureux et fier d’avoir notre nom de famille sur un mouvement mondial, qui va rester tout le temps. Et je suppose que, par la suite, des gymnastes le réaliseront et on entendra : ’’Tiens, c’est le Nemour” », raconte son paternel Jamel Nemour. « Quand on l’a appris, on était heureux, mais on n’avait pas encore capté tout l’impact que cela avait », avoue après coup, sa mère, Stéphanie Nemour.

Avant de mettre un coup de tampon à son nom dans le code de pointage, la vice-championne du monde aux barres asymétriques en 2023 a travaillé et répété à outrance son mouvement, le peaufinant pendant deux ans avant de le réaliser – et de le réussir – en compétition pour le valider auprès de la Fédération internationale de gymnastique (FIG). Et donc en faire sa chasse gardée. « Je l’ai fait de mieux en mieux au fur et à mesure. Cela s’est fait petit à petit en rajoutant des éléments », raconte l’athlète de 17 ans, qui, aujourd’hui, le maîtrise à la perfection.

Kaylia Nemour a inscrit un nouvel élément à son nom aux barres asymétriques dans le code de pointage le 26 mai 2023.

«Р’В Elle a une maГ®trise totaleР’В Р’В»

Aux prémices de l’élaboration du mouvement, l’œil aiguisé de Marc Chirilcenco, l’entraîneur de Kaylia Nemour, qui avait décelé en sa jeune protégée les qualités nécessaires pour réaliser cet élément inédit. « Quand nous avons vu l’aisance qu’elle avait sur le Stalder serré, on a pensé qu’elle pouvait faire cet élément très difficile, raconte son coach. Il y a aussi une particularité morphologique car c’est une grande gymnaste (1,66 m). Autant, pour certains éléments, ça la désavantage, mais pour celui-là, cela lui permet de passer debout sur la barre. »

Kaylia Nemour et ses entraîneurs d’Avoine-Beaumont ont collaboré avec l’ancienne juge internationale Camille Rey pendant la période de fignolage du mouvement. « Quand elle a commencé à le travailler, il n’était pas abouti sur les premières vidéos que je recevais, témoigne Camille Rey, qui a évalué le « Nemour » au gré de son apprentissage pour qu’il puisse être soumis et validé par les instances internationales. Au début, elle n’était pas régulière. Son bassin était un peu fermé alors que la position tendue au-dessus de la barre est la grosse caractéristique de son mouvement. Aujourd’hui, je suis bluffée par sa régularité. Elle montre qu’elle a une maîtrise totale et c’est ça qui impressionne les juges. »

La gymnaste de 17 ans, qui a fait toutes ses classes avec l’équipe de France, a changé de nationalité sportive après un imbroglio avec la Fédération française de gymnastique.

«Р’В Le Nemour ? CРІР‚в„ўest dРІР‚в„ўune difficultГ© astronomiqueР’В !Р’В Р’В»

Jusqu’ici, aucune gymnaste n’est parvenue à dompter le « Nemour ». La complexité technique du mouvement en est sans aucun doute la raison. La Tricolore et Angevine Carolann Héduit peut en témoigner. « Le Nemour ? Je n’ai jamais essayé car c’est d’une difficulté astronomique ! Elle l’emmène d’un tour proche, qui est déjà difficile de base, et le fait de devoir passer en tendu au-dessus de la barre rend la chose très compliquée », détaille la médaillée de bronze à la poutre lors des championnats d’Europe 2022 de Munich. « C’est l’enchaînement de deux éléments difficiles qui rend le “Nemour” très particulier et en fait un mouvement unique », résume Marc Chirilcenco.

Au-delà de son élément, Kaylia Nemour est surtout devenue l’une des toutes meilleures du globe aux barres asymétriques, lui permettant sans prétention de viser la médaille d’or sur cet agrès aux Jeux olympiques de Paris 2024. Le mouvement global de la Franco-Algérienne est d’une telle richesse technique qu’il donne l’impression qu’elle vole entre les barres. « Ce qui est impressionnant chez elle, c’est qu’elle enchaîne tous les éléments. Les mouvements de bascule, qui parasitent la performance, elle n’en fait qu’un au début et à la fin, précise Camille Rey. Si elle réussit tout son mouvement, tout s’enchaîne et cela met beaucoup de rythme et d’amplitude. C’est comme une partition musicale. »

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Aujourd’hui, il tarde à Kaylia Nemour de voir sa marque de fabrique être réalisée par l’une de ses concurrentes. Mais elle imagine qu’il faudra y laisser de la sueur. « J’ai hâte de voir d’autres gymnastes le faire. Mais le fait que personne n’ait encore réussi, je pense que c’est vraiment compliqué (rires) », s’amuse la native d’Indre-et-Loire. Peut-être même que d’ici là, elle en aura inscrit un autre à son nom… « Je garde la surprise ! On verra bien dans quelque temps », lâche-t-elle, énigmatique, avec un sourire en coin. Seul le temps nous le dira.