Les dernières lettres émouvantes d'un alpiniste disparu sur l'Everest il y a un siècle publiées

Portrait de George Leigh Mallory (1886-1924), membre de l’équipe des expéditions britanniques du mont Everest de 1922 et 1924. En fond, dernière page de sa dernière lettre à sa femme Ruth, 27 mai 1924.

Cela a fait l’actualité : le vidéaste Inoxtag, âgé de 22 ans, s’est envolé pour le Népal le 10 avril 2024, avec pour objectif l’ascension du plus haut sommet du monde, l’Everest. Cent ans avant lui, un autre alpiniste tentait également (avec les moyens de son époque) la folle expérience, qui lui coûtera la vie : le Britannique George Leigh Mallory, dont les lettres sont rendues publiques pour la première fois.

L’expression est devenue emblématique dans le monde de l’alpinisme : “Because it’s there” (“Parce qu’il est là”), répondait George Leigh Mallory (1886-1924) à la question de savoir pourquoi il voulait tant gravir l’Everest, le plus haut sommet du monde. Lors de sa dernière tentative en 1924, il disparaît avec son compagnon de cordée Andrew “Sandy” Irvine, étudiant en ingénierie. Les deux hommes font partie des 323 décédés sur le mont depuis 1921, date de la première expédition de reconnaissance pour trouver une voie d’ascension, à laquelle George Mallory avait participé.

Ce dernier était un ancien élève du Magdalene College de l’université de Cambridge (Angleterre), qui a conservé certaines lettres de sa correspondance personnelle – dont la majeure partie constituée d’échanges entre George Leigh Mallory et sa femme Ruth, depuis leurs fiançailles en 1914 jusqu’à sa mort sur l’Everest dix ans plus tard. À l’occasion du centenaire de sa disparition, le collège a numérisé l’ensemble de la collection pour la rendre accessible au public, annonce-t-il. Toutes les correspondances (en anglais) peuvent désormais être consultées et téléchargées.

Entre victoires et tragédies, les expéditions pionnières de Mallory

Alpiniste passionné, George Leigh Mallory avait déjà été deux fois dans Himalaya avant son expédition fatale de 1924. Une fois en 1921 donc, pour cartographier la région, étudier ses conditions météorologiques et topographiques et évaluer les voies d’approche. Puis à nouveau en 1922, première tentative britannique “sérieuse” de conquérir l’Everest via sa face nord, le côté tibétain – à l’époque, l’autre versant n’était pas accessible, le Népal étant fermé aux Occidentaux.

Pour la première fois, des bouteilles d’oxygène sont embarquées. Mais des conditions météorologiques défavorables et de nombreux défis logistiques contraignent l’équipe à rebrousser chemin, après trois tentatives d’ascension infructueuses. Un nouveau record d’altitude est établi, 8 326 mètres. Mais lors du dernier essai, sept sherpas ont perdu la vie lors d’une avalanche.

Ces deux missions, George Leigh Mallory les mentionne dans ses lettres. Il passe ainsi, de l’une à l’autre, de l’euphorie des débuts où il y a tout à inventer à la culpabilité quant à l’accident tragique de ses compagnons disparus. Mais les écrits témoignent aussi de plein de pans méconnus de sa vie : son service dans l’artillerie britannique pendant la Première Guerre mondiale, notamment lors de la bataille de la Somme ; sa visite aux États-Unis alors sous Prohibition en 1923, où demandant du lait, il se fait servir du whisky à travers une trappe secrète dans les bars clandestins

Ruth, la femme de George, [écrivait] sur la façon dont elle lui envoyait des gâteaux aux prunes et un pamplemousse dans les tranchées (il a dit que le pamplemousse n’était pas assez mûr). – Katy Green, archiviste du Magdalene College.

Un dernier voyage… et de dernières lettres depuis l’Everest

Inébranlable, l’alpiniste était de retour au pied de l’Everest en 1924. Après une première tentative échouée, Andrew “Sandy” Irvine et lui atteignent les différents camps successifs avant de partir pour le sommet le 8 juin. L’alpiniste anglais Noël Odell a rapporté les avoir aperçus de loin pour la dernière fois vers 13 heures, avant qu’ils ne soient “à nouveau enveloppés dans un nuage”.

Personne ne les a jamais revus. Leurs réservoirs d’oxygène vides ont été retrouvés juste en dessous de la première (8 564 mètres environ) des “Trois Marches”, ces trois roches proéminentes situées sur la crête nord-est du mont. Des alpinistes ont découvert la pioche à glace d’Irvine en 1933.

Le corps de George Leigh Mallory, exceptionnellement bien préservé par des températures glaciales – entre -20 °C jusqu’à -60 °C au sommet – n’a été retrouvé qu’en mai 1999, par cinq alpinistes américains partis à sa recherche. L’étiquette sur la chemise, portant la mention “G. Leigh Mallory”, est formelle. Mais ses artefacts personnels (un altimètre, un couteau de poche, des lunettes de neige, la facture d’un fournisseur londonien) confirment bel et bien son identité. Malgré les efforts, le corps de son partenaire d’escalade n’a toujours pas été identifié.

Le mystère persiste ainsi : ont-ils atteint le sommet de la montagne, avant de périr aux âges respectifs de 37 et 22 ans ? Les trois lettres retrouvées dans la poche de la veste George Leigh Mallory soixante-quinze ans après sa disparition, ne permettent pas de répondre à cette question. Il s’agit de communications de son frère, Trafford Leigh Mallory, d’une partisane de son expédition, Stella Cobden-Sanderson, et sa sœur Mary Brooke. Depuis Colombo (Sri Lanka), celle-ci lui écrit :

J’espère que vous avez bien reçu les rapports météorologiques – il sera très intéressant de savoir si vous pouvez établir un lien avec notre temps et combien de temps après. Depuis que nous vous avons envoyé le rapport de l’observatoire hier, nous avons eu la plus terrible des tempêtes… Elle a été très violente pendant près de trois heures, alors si vous recevez le même rapport, vous feriez mieux d’être aux aguets…

Parmi la collection nouvellement publiée par le Magdalene College se trouve surtout la toute dernière (et émouvante) missive de George Leigh Mallory à sa femme Ruth, envoyée depuis le Camp I de l’Everest (environ 6 100 mètres) le 27 mai 1924, quelques jours avant sa dernière tentative. La toute première ascension réussie n’aura lieu que vingt-neuf ans après ses essais infructueux, en 1953, par les alpinistes néo-zélandais Edmund Hillary et tibétain Tenzing Norgay.

Chérie, je te souhaite tout le meilleur possible – que ton anxiété prenne fin avant que tu ne reçoives cette lettre — avec les meilleures nouvelles. Qui seront aussi des plus rapides. Les chances sont de 50 contre 1 contre nous mais nous allons encore essayer et nous rendre fiers. Je t’envoie tout mon amour. Toujours le tien, George.