Eurovision 2024 : Israël, un candidat devenu un caillou dans la chaussure du concours sur fond de guerre à Gaza
Une chorégraphie endiablée, un son pop et des paroles… clivantes : « Ce soir, rappelez-vous que c’est nous qui avons subi un génocide, alors montrez-nous que cette fois vous êtes de notre côté… Et donnez-nous vos 12 points ». Humour noir ou mauvais goût ? Ce sketch diffusé le mardi 6 février dans l’émission humoristique israélienne « Eretz Nehederet » n’a pas manqué de provoquer un tollé et d’accroître les positions pro et anti participation israélienne à l’Eurovision 2024 qui se déroule depuis ce mardi 7 mai et jusqu’à samedi.
Dans cette chanson parodique, la comédienne Shani Cohen a décidé de se moquer des opposants à la présence israélienne. « Si ça c’est trop politique, allons-y carrément avec cette chanson », lance la légende. Entre texte qui affirme qu’Israël « restreint les dommages causés à la population civile » et un Adolf Hitler animé qui hurle « Israël, zéro points », la blague ne passe pas chez certains. Un épisode de plus dans une participation 2024 bousculée.
Le précédent russe érigé en modèle par les opposants
Depuis le 7 octobre et les attaques terroristes du Hamas sur le sud d’Israël, qui ont causé la mort de plus de 1 000 personnes, l’État hébreu a lancé une vaste riposte militaire, dont la proportionnalité est régulièrement la cible de critiques de la part des défenseurs de la cause palestinienne, mais également de plus en plus de la part de la communauté internationale.
En réaction, des appels à l’exclusion d’Israël du concours de l’Eurovision 2024 ont fleuri sur les réseaux sociaux, en comparant la situation avec celle de la Russie en 2022. Après l’invasion de l’Ukraine, l’Union européenne de radiotélévision (UER) n’avait pas tardé à exclure les chaînes publiques russes, ce qui empêchait de facto le pays de participer au concours. « Mais la grosse différence entre ces deux cas, c’est qu’il n’y a pas eu de sanctions de la communauté internationale à l’encontre d’Israël. Or, l’UER n’est pas une autorité avec un pouvoir politique, ça n’est qu’une association de diffuseurs publics », expliquait dès février au Parisien Dean Vuletic, historien diplômé de Columbia et spécialiste de l’Eurovision.
« October Rain » retoquée à deux reprises
Des pétitions et manifestations ont notamment vu le jour en Europe du Nord, dans des pays « qui reconnaissent l’existence d’un Etat palestinien », comme la Suède ou l’Islande, souligne Dean Vuletic. Mais pour l’UER, pas de débat, ce concours se fera avec Israël. Le 6 février, le pays a choisi Eden Golan pour le représenter.
Restait alors à trouver à la jeune femme de 20 ans, née à Moscou (Russie), un titre pour porter les couleurs de l’État hébreu. La délégation israélienne avait donné le ton, en affirmant que la chanson devrait « refléter la situation actuelle du pays ». Ainsi est né « October Rain » (Pluie d’octobre), dans laquelle la chanteuse dit être « toujours trempée par cette pluie d’octobre », référence explicite aux attaques du 7 octobre. Le reste du texte est parsemé de termes qui rappellent l’événement.
Soumises à l’UER, les paroles sont retoquées pour leur contenu « trop politique » à deux reprises, avant qu’un accord soit trouvé avec une réécriture sous le nom de « Hurricane » (Ouragan). À Malmö, la délégation israélienne se fait discrète. « Elle ne fait aucune apparition en dehors du concours, ils sont hébergés dans un lieu tenu secret, vraisemblablement hors de Malmö », souligne Dean Vuletic. Le chef du Shin Bet, le renseignement intérieur israélien, s’est d’ailleurs rendu sur place cette semaine pour valider le plan de sécurité autour de la chanteuse.
La cause palestinienne présente en filigrane
Au milieu des paillettes, l’UER veut à tout prix éviter le sujet. Un seul mot d’ordre, le concours ne doit pas être « politique ». « Mais ce qui rend l’Eurovision intéressant, c’est justement qu’il repose sur de la politique », rit Dean Vuletic. Pendant ce temps, les soutiens à la cause palestinienne ont crû de leur côté. Une dizaine de candidats a signé fin mars un communiqué dans lequel ils s’alarmaient de la situation humanitaire à Gaza et demandaient un cessez-le-feu « immédiat et durable », ainsi que la libération de « tous les otages » détenus depuis le 7 octobre.
Parmi eux, Bambie Thug qui représente l’Irlande. L’artiste non-binaire a chanté en demi-finale mardi soir avec des inscriptions en ogham, un alphabet utilisé pour écrire le vieil irlandais. À l’origine, ces messages signifiaient « cessez-le-feu » et « liberté pour la Palestine », mais l’interprète a dû « changer ces termes sur ordre de l’UER », a-t-elle confié en conférence de presse. « Cela contrevenait aux règles du concours destinées à protéger la nature apolitique de l’événement », a réagi l’UER auprès de la télévision irlandaise RTÉ.
Plus tôt dans la soirée, le Suédois Éric Saade avait déjà mis l’organisation dans l’embarras alors qu’il se produisait en ouverture de la soirée, en arborant un keffieh au poignet. Ce fils de réfugié palestinien avait averti qu’il souhaitait visibiliser la cause palestinienne lors de sa prestation. Un choix « regrettable » pour la productrice du concours, Ebba Adielsson. L’Eurovision n’a d’ailleurs pas diffusé sa performance sur ses réseaux sociaux.
Le chanteur Eric Saade a arboré un keffieh, symbole de son soutien à la cause palestinienne. Jessica Gow/TT / TT News Agency / AFP
À Malmö, la manifestation contre Israël réunit 5 000 personnes
Et le slogan « Free Free Palestine ! Free Free Palestine ! » n’a pas manqué d’être scandé dans les rues de Malmö. Une soixantaine d’organisations ont défilé lors d’une marche « Stoppa Israel » ce jeudi après-midi. Si l’organisation se veut pacifiste, certaines voix se sont élevées pour critiquer les liens que certains mouvements locaux entretiennent avec le Hamas. Un rassemblement de soutien à Eden Golan est d’ailleurs prévu en début de soirée à quelques centaines de mètres.
Mais en cet après-midi, le long de l’Hôtel de ville de Malmö, d’habitude si paisible, des familles vêtues de keffiehs se mélangeaient avec les habitants venus leur apporter leur soutien. Les tambours battaient le rythme et des centaines de drapeaux, vert, noir, blanc et rouge, s’agitaient. Un millier de manifestants s’étaient donné rendez-vous là, pour faire entendre leur voix quelques heures avant l’entrée en lisse officielle d’Israël.
Des milliers de manifestants étaient réunis sur la place Stortorget de Malmö (Suède) ce jeudi 9 mai pour protester contre la participation d’Israël à l’Eurovision. LP/Benoît Daragon
« On trouve ça absurde qu’Israël puisse rester dans l’Eurovision alors qu’ils ont en train de commettre des crimes atroces àGaza. Les organisateurs arguent qu’ils ne font pas de politique, mais en 2022 ils ont immédiatement exclu la Russie. Donc ils font de la politique quand ça les arrange. Ce n’est pas juste. D’autant plus qu’Israël utilise aussi le concours pour redorer son image », explique en français, Christopher, étudiant suédo-libanais. Derrière le jeune homme, on a reconnu l’activiste écologiste suédoise Greta Thunberg, qui a refusé de répondre ànos questions.
Profiter de la médiatisation de l’évènement pour mettre le sort des habitants de Gaza et de Rafah sous les projecteurs, c’est l’intention des organisateurs de la manifestation. Selon la police suédoise, environ 5 000 personnes étaient présentes. « Il y a des manifestations en soutien à la Palestine tous les week-ends, mais je n’ai jamais vu autant de gens qu’aujourd’hui. J’ai croisé des Suédois, mais aussi beaucoup de Danois, des Irlandais etc. J’ai vu une pancarte Les fans de l’Eurovision sont contre le génocide », affirme Assarsson, qui donne rendez-vous pour un nouveau rassemblement ce samedi, juste avant la finale, qu’Israël soit qualifié ou pas.