Européennes : Jordan Bardella ou le péché d’arrogance
Européennes : Jordan Bardella ou le péché d’arrogance
Le principal enjeu d’une élection européenne, c’est de faire le plein des voix de son camp, d’obtenir que ses électeurs se déplacent en masse dans l’isoloir le jour J. Or, à force de donner le sentiment qu’il l’a déjà emporté et qu’il va plier le match, de la même manière qu’en 2019, fort de ses 31,5 % d’intentions de vote dans le rolling Ifop du 26 avril, 15 points devant la liste Renaissance, à force de fuir les débats sur « Coquelicot TV », ainsi qu’il le dit, non sans mépris pour les médias concernés, et d’esquiver les questions en conférence de presse, comme il l’a fait ce jeudi, Jordan Bardella ne risque-t-il pas de déchanter et de démobiliser les siens ?
Le danger guette le patron du RN, qui semble gagné par le péché d’orgueil et d’arrogance. « L’hubris, la malédiction des dieux. Quand, à un moment donné, vous devenez trop sûr de vous, vous pensez que vous allez tout emporter », professait en 2018 feu Gérard Collomb à l’attention d’Emmanuel Macron. Le RN a bien perçu le risque et répète que rien n’est gagné, se défendant de tout triomphalisme, sérieusement échaudé par certains scrutins passés où ses électeurs s’étaient in fine massivement abstenus. Dont les régionales de 2021 où le parti était en pole position dans les sondages pour conquérir plusieurs régions, sans suite.
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« Le vernis craque »
À la décharge du jeune homme, il est flatté, adulé, choyé telle une pépite dans les rangs du Rassemblement national, qui a pu, grâce à lui, toucher un électorat rajeuni. « Les mecs le voient comme un modèle, les filles sont amoureuses », glisse un cadre du parti. Ces derniers jours encore, Jordan Bardella a donc prévenu, ainsi qu’il l’a fait à au moins deux reprises ces derniers mois, qu’il réclamerait la dissolution de l’Assemblée nationale pour obtenir des législatives anticipées s’il arrivait en tête des votes le 9 juin. Peu importe que cette prérogative relève du seul président de la République, en vertu de l’article 12 de la Constitution. Ces derniers mois, le jeune homme de 28 ans, de sept ans plus jeune que Gabriel Attal, allait plus loin en se disant prêt à devenir Premier ministre. Lors d’une visite à Matignon, il aurait été jusqu’à demander à visiter les appartements privés, comme s’il s’y voyait déjà, ce qui lui a été refusé. Une information qu’avait confirmée au Point l’entourage du Premier ministre et des sources au RN, mais que son cercle dément formellement.
Le RN, qui a fait ses pointages, affirme être en situation de recueillir jusqu’à « 270 » sièges de députés en cas de législatives anticipées. « On peut être sur une majorité absolue, ou pas très loin », indique un haut responsable du parti, qui travaille activement à la recherche de « partenaires », en clair des députés ou des candidats d’autres partis contre lesquels le RN ne positionnerait pas d’adversaire. De quoi apporter entre « 30 et 50 circonscriptions », évalue le même, et atteindre la majorité absolue (289 sièges sur 577). Aussi les cadres du RN serinent-ils ce message aux députés LR inquiets de ne pas être réélus : « Le premier qui bougera sera le mieux traité. » Quant à ceux qui attendraient trop longtemps, la bienveillance n’aura qu’un temps : « Nous ne sommes pas une recyclerie ! On ne sera pas la machine à recycler les has been, les LR en fin de course. On ne fera pas la mendicité », prévient ce haut responsable du parti, au risque de frôler à son tour le triomphalisme. « Le vernis craque », glisse un ancien Premier ministre, qui constate depuis des mois un relâchement dans les rangs des députés RN à la faveur des sondages encourageants.
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Bardella est trop sûr de lui, trop arrogant, il tombe dans tous les pièges. Ça reste un jeune homme de 28 ans avec une licence pas finie de géographie, qui n’a aucune expérience de la vieUn élu RN
Les « dures réalités du sommet »
Quel est le curriculum vitae de Jordan Bardella pour gouverner le pays ? Plus jeune Premier ministre de la Ve République, Gabriel Attal a été près de six ans ministre, à Bercy et à l’Éducation nationale notamment, député depuis 2017 et conseiller municipal de Vanves (Hauts-de-Seine) depuis 2014. Le président du RN n’a jamais été ministre, bien sûr, et jamais maire, pas même d’une petite commune, jamais président de région ni de département, jamais parlementaire national. Ce qui ne simplifie pas les choses lorsqu’on aspire à devenir chef de la majorité parlementaire. C’est précisément ce qui est régulièrement reproché à Emmanuel Macron, le manque d’expérience d’élu de terrain. Jordan Bardella ne compte à son actif que deux mandats à ce stade, au conseil régional d’Île-de-France depuis 2015, où ses opposants le surnomment « Bardepasla », et député européen depuis 2019, avec un bilan discutable : zéro rapport et 21 amendements.
Il fallait lire le week-end passé la longue interview confession accordée par le chef du RN au Journal du dimanche, où il s’exprimait tel un présidentiable. « Nous vivons un moment clé de l’Histoire et je crois que ma génération sera appelée à gouverner », expliquait-il, avec cette phrase : « À ce niveau, on ne s’appartient plus vraiment. » Les attaques sur sa personne ? « Cela fait partie des dures réalités du sommet », lisait-on. Plus surprenant encore, lorsque l’hebdomadaire lui demande pourquoi il « inspire moins de craintes aux chefs d’entreprise que Marine Le Pen », il se garde bien de démentir. La candidate du RN ferait donc bien de se méfier des ambitions visiblement dévorantes de son second. Comme l’expose un élu RN, « le jour où un sondage dit que Marine Le Pen est battue à la présidentielle et Jordan Bardella élu, la guerre commence. L’affrontement est inévitable. Il est trop sûr de lui, trop arrogant, il tombe dans tous les pièges. Ça reste un jeune homme de 28 ans avec une licence pas finie de géographie, qui n’a aucune expérience de la vie. Il se croit tout permis ».
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Dans l’entourage du chef de l’État, on est du reste persuadé que Bardella se prépare désormais pour 2027. De là à penser qu’Emmanuel Macron le flatte à dessein pour attiser la compétition au RN, en le conviant aux rencontres de Saint-Denis fin août et en novembre notamment, il n’y a qu’un pas?