Enseignement privé : ces quatre graphiques montrent quelle est la réalité derrière les clichés

enseignement privé : ces quatre graphiques montrent quelle est la réalité derrière les clichés

L’entrée du lycée Collège Stanislas à Paris. Prix de l’inscription annuelle ? Comptez entre 2 027 € en primaire et 2 561 € au lycée.

L’enseignement privé est au cœur d’une polémique née des propos tenus par la ministre de l’Éducation, Amélie Oudéa-Castera, qui avait justifié maladroitement la scolarisation de ses enfants dans une école élitiste à Paris : l’école catholique Stanislas, suspectée de dérives sexistes et homophobes. Le financement public de certains établissements sous contrats suscite de vifs débats dans l’arène politique. Quelles sont les règles à respecter ? Décryptage.

Sous le feu des critiques depuis son arrivée au ministère de l’Éducation, Amélie Oudéa-Castera a-t-elle ravivé la « guerre scolaire » ? « Non, aujourd’hui, ce sont plutôt des guérillas entre le public et le privé, coupe Claude Lelièvre, historien de l’éducation. Ils se méfient l’un de l’autre, mais fonctionnent comme deux secteurs différents de service public. » Il n’empêche, la polémique autour de l’enquête pour dérives sexistes et homophobes visant le groupe scolaire Saint-Stanislas, où la ministre a scolarisé ses enfants à Paris, a réveillé le dossier sensible du financement public des établissements privés.

Lire aussi. Amélie Oudéa-Castéra : récit d’un démarrage chaotique pour la ministre de l’Éducation

Depuis plusieurs jours, Amélie Oudéa-Castéra tente de parer les coups portés par les députés et sénateurs de l’aile gauche. « Nombre d’écoles privées s’affranchissent des lois républicaines, alors même qu’elles sont très largement financées par la puissance publique », lui a lancé mercredi 24 janvier Pierre Ouzoulias, élu communiste au Sénat.

« Nous n’opposons pas l’école publique et l’école privée, lui a répondu la ministre. En parlant de séparatisme scolaire, vous stigmatisez les choix de millions de parents. » Alors que le débat s’est emballé dans l’arène politique, quelle est la réalité du privé sous-contrat en France ? On fait le point.

Cinq fois moins d’élèves que dans le public

Pour commencer, deux millions d’élèves – sur douze – sont actuellement scolarisés dans 7 500 écoles, collèges et lycées privés sous contrats. Leurs classes rassemblent ainsi 13 % des effectifs du premier degré, et 21 % dans le second degré.

Dans l’Hexagone, ces écoles sont implantées très inégalement, comme le montre notre carte ci-dessous, commentée par Julien Grenet, chercheur au CNRS : « On peut calquer l’implantation du privé sur la carte de la pratique du catholicisme en France, dépeint le spécialiste de l’éducation. Dans l’Ouest, cet enseignement est très développé dans les académies de Rennes et Nantes, où 44 % des collégiens sont scolarisés dans le privé. Il est aussi bien implanté dans le Nord. »

Des règles à respecter pour rester sous contrat

La quasi-totalité des établissements privés (97 %) sont contractuellement liés à l’État. Dans le cadre de la loi Debré datant de 1959, ces établissements bénéficient de financements publics pour leurs frais de fonctionnement et pour rémunérer leurs professeurs. En contrepartie, les équipes pédagogiques s’engagent à respecter les programmes scolaires de l’Éducation nationale.

Par rapport au public, les chefs d’établissements du privé ont plus d’autonomie. Ils recrutent eux-mêmes les enseignants et ont la main sur l’inscription des élèves. Pour conserver leur agrément, ils sont soumis à des évaluations académiques.

L’un des rares établissements d’enseignement musulman sous contrat, le lycée privé Averroès à Lille, s’est vu retirer le sien en fin d’année 2023. L’association qui le dirige a fait appel devant la justice. Malgré un rapport alarmant et une enquête du parquet de Paris ouverte à son encontre, le contrat du groupe Stanislas – dont la direction se défend en évoquant un cas isolé – ne semble, lui, pas menacé. Des élus de gauche, eux, dénoncent un « deux poids, deux mesures ».

Lire aussi : En pleine polémique Stanislas, un lycée musulman conteste la résiliation de son contrat avec l’État

Où va l’argent public ?

À combien s’élèvent-ils, ces financements ? L’État et les collectivités locales – communes, départements, régions – financent les trois quarts d’un budget total situé entre 12 et 13 milliards d’euros pour les écoles, collèges et lycées privés. La part des participations des familles et des entreprises partenaires se chiffre à 3 milliards d’euros.

La participation publique est donc très importante. L’Enseignement catholique, mastodonte du secteur privé, tente de la relativiser. Selon l’institution, un élève du privé coûte moitié moins qu’un élève du public, grâce à « des classes plus chargées, des remplacements assurés en interne et souvent de manière bénévole, une rémunération des personnels de direction prise en charge sur fonds propre », énumère-t-elle dans un communiqué transmis à Ouest-France. Elle affirme même que le recours au privé « permet à la puissance publique d’économiser 9,48 milliards d’euros », car « un tiers de cette somme correspondant à des dépenses évitées aux collectivités locales ». Sollicité, son secrétaire général, Philippe Delorme, n’a pas souhaité s’exprimer.

Dans un rapport de juin 2023, la Cour des comptes soulignait, elle, un manque de contrôles sur l’utilisation de ces financements. D’après les Sages, le suivi pédagogique « est exercé de manière minimaliste », tandis que le contrôle administratif « n’est mobilisé que ponctuellement lorsqu’un problème est signalé ».

Co-rapporteur avec son homologue Christopher Weissberg (Renaissance) d’une mission parlementaire sur le financement de l’enseignement privé sous-contrat, le sénateur LFI Paul Vannier juge lui aussi que le système est « opaque » : « C’est impossible de mesurer l’usage des fonds publics, il n’y a presque pas d’audits réalisés par les directions générales des finances. »

L’enseignement catholique rétorque : « Les établissements n’ont rien à cacher et les conseils d’administration sont normalement systématiquement ouverts aux élus locaux. » Quant aux enseignements dispensés, « ils sont très strictement contrôlés ».

Combien ça coûte aux familles ?

Et les parents d’élèves, dans tout ça ? Les familles qui souhaitent inscrire leur enfant dans le privé doivent s’acquitter de frais de scolarité, plus ou moins élevés. « Ceux de l’enseignement catholique s’établissent en moyenne entre 430 € annuels pour la maternelle et 1 249 € pour le lycée général », note le dernier rapport de la Cour des comptes, qui n’a pas pu s’appuyer sur des « données d’ensemble ».

«Â Des frais abordables » qu’il « faudrait multiplier par quatre, sans les financements publics, comme dans d’autres pays », note Julien Grenet, du CNRS. Dans les lycées élitistes de Paris, les prix peuvent s’envoler et atteindre plusieurs milliers d’euros. En plus de ces tarifs prohibitifs pour les familles modestes, certains de ces établissements appliquent « une politique de sélection des élèves qui ne prend qu’insuffisamment en compte des objectifs d’ouverture sociale », écrit la Cour des comptes.

Le privé participe-t-il à une ségrégation scolaire ?

La mixité sociale, justement, est en recul : « Depuis le début des années 2000, le fossé s’est creusé. La part des élèves favorisés a augmenté beaucoup plus vite dans le privé, observe Julien Grenet du CNRS en citant les chiffres de l’Éducation nationale. Au collège, elle est passée de 30 % à 41 % en vingt ans. À l’inverse, celle des collégiens défavorisés du privé est passée de 24 % à 16 %. » De son côté, l’Enseignement catholique réfute l’idée qu’il refuse des élèves issus de milieux défavorisés, qui ne s’inscriraient pas par « autocensure », parce qu’ils surestimeraient le coût et la charge de travail.

Fin 2022, le ministère de l’Éducation a rendu public des statistiques jusque-là inédites : les indices de positions sociales (IPS) des écoles, collèges et lycées. Plus l’IPS de l’établissement est élevé, plus l’élève évolue dans un contexte familial favorable aux apprentissages. Comme le montre notre graphique réalisé l’an dernier, le constat est implacable : la part d’établissements publics diminue à mesure que cet indice augmente.

Traduction : les écoles privées concentrent les familles favorisées. Néanmoins, les contextes sont différents d’un territoire à l’autre. « Le privé est fortement implanté dans les grandes agglomérations, contextualise Julien Grenet du CNRS. Paris, c’est un peu la caricature, avec seulement 3 % d’élèves défavorisés dans les collèges privés. Les écarts sont moins marqués dans des territoires où le privé est très implanté. Cependant, il faut tordre le cou à l’idée qu’en Bretagne, le public et le privé sont parfaitement comparables : l’académie de Rennes compte 34 % d’élèves défavorisés dans le public et 22 % dans le privé. »

Un protocole pour inverser la tendance

L’an dernier, à la demande de l’ex-ministre Pap Ndiaye, les représentants des écoles privées ont signé un protocole – peu contraignant – avec l’Éducation nationale pour augmenter la part d’élèves boursiers dans leurs rangs. Dans cet accord, les organisations du privé s’engagent d’ici cinq ans à doubler le taux d’élèves boursiers « dans les établissements où les familles bénéficient d’aides sociales (transports, cantine…) équivalentes à celles » des élèves de l’enseignement public. Dans le même temps, le nombre d’institutions privées proposant une modulation des frais de scolarité en fonction des revenus des familles doit être doublé.

En mars, lorsqu’ils rendront public leur rapport sur le financement public du privé, les deux sénateurs Paul Vannier (LFI) et Christopher Weissberg (Renaissance), formuleront des préconisations. L’Insoumis imagine par exemple des sanctions financières à l’encontre des établissements qui évincent leurs élèves pour afficher une meilleure réussite aux examens, ou qui participent au phénomène de ségrégation scolaire. Ensuite, Amélie Oudéa-Castéra devra (peut-être) se poser en juge de paix.

News Related

OTHER NEWS

Vieillir à domicile coûte-t-il vraiment moins cher qu'aller en Ehpad?

1216 euros par mois en moyenne, c’est le coût moyen sur 20 ans qu’il faut prévoir pour vieillir dignement chez soi de 65 ans à plus de 85 ans. Aller ... Read more »

Face à une fronde syndicale majeure en Suède, Tesla décide de poursuivre l’État

À l’origine des protestations : le refus de Tesla d’adhérer à une convention collective sur les salaires. Le géant américain Tesla, confronté au refus des employés du secteur postal suédois ... Read more »

Nucléaire : près de 100 millions d'euros pour six projets français de réacteurs innovants

Vers l’infini, et au-delà (ou pas). Six projets supplémentaires de réacteurs nucléaires “innovants” feront l’objet d’un soutien de l’État français, à hauteur de 77,2 millions d’euros, auquel s’ajoute un accompagnement ... Read more »

JO-2024: quasi doublement du prix des tickets de métro parisiens pendant l'été

JO-2024: quasi doublement du prix des tickets de métro parisiens pendant l’été Le prix du ticket de métro parisien à l’unité va quasi-doubler durant l’été, a annoncé la présidente du ... Read more »

Hautes-Alpes: 10 à 15 cm de neige en vallée, jusqu'à 25 dans le Valgaudemer et les Écrins

Le département des Hautes-Alpes a engagé pas moins de 150 personnes depuis 4 heures du matin ce mardi 28 novembre. 10 à 15 cm de neige sont tombés en vallée ... Read more »

Hyundai et Kia dévoilent l'«Universal Wheel Drive System»

Module du système Uni Wheel SEOUL, 28 nov. (Yonhap) — Les constructeurs automobiles locaux Hyundai Motor et Kia Corp. ont dévoilé un nouveau système de traction intégré dans la roue ... Read more »

L’oryctérope du Cap, un animal unique en son genre

L’oryctérope du Cap est le seul membre de son genre, n’ayant aucun parent proche vivant aujourd’hui. Même s’il est appelé aardvark en afrikaans, ce qui signifie “cochon de terre”, il ... Read more »
Top List in the World