Zara et H&M accusés de détruire la savane brésilienne avec leurs jeans

Un champ de coton dans le Cerrado brésilien, en 2019.

Les jeans, sweats à capuches, et autres tee-shirts achetés chez Zara ou H&M contribueraient à la déforestation de la savane tropicale du Cerrado au Brésil. L’ONG environnementale Earthsight publie, ce jeudi 11 avril, une vaste enquête sur la chaîne d’approvisionnement en coton de ces deux géants de la mode. «Zara et H&M consomment d’immenses quantités de coton pour fabriquer leurs nombreuses collections», souligne pour Libération le directeur adjoint d’Earthsight, Rubens Carvalho. Faute d’un véritable contrôle sur l’origine de leurs matières premières, les marques seraient «responsables» des désastres que causent les exploitations de coton sur le Cerrado.

Le secteur de la mode est l’une des industries les plus polluantes de la planète. La culture du coton, star du textile, est un véritable cocktail explosif pour l’environnement, entre l’utilisation massive des pesticides et d’une quantité démesurée d’eau douce. «Mais il faut également d’immenses quantités de terres pour les cultures, explique Rubens Carvalho. Or le Brésil est le deuxième exportateur mondial de coton, et la quasi-totalité de la matière est cultivée dans le Cerrado.» Plus de la moitié de cette région, qui abrite à elle seule 5% de toutes les espèces de la planète, a été défrichée pour l’agriculture à grande échelle.

Et les exploitations qui y sont installées ont attiré l’attention d’Earthsight. D’après leur enquête, elles «disposent d’une longue liste d’infractions judiciaires», comme la «corruption» ou des «sanctions financières» de millions de dollars pour «la destruction d’environ 100 000 hectares de terres sauvages du Cerrado». Les populations autochtones qui vivaient sur ces terres auraient même été victimes «d’intimidation et de harcèlement de la part d’hommes armés travaillant» pour les exploitations, allant jusqu’à l’assassinat de deux membres d’une communauté indigène en 2019. Rubens Carvalho estime donc que Zara et H&M, en se fournissant en coton depuis ces exploitations, sont «impliqués dans la déforestation illégale, l’accaparement des terres et les violations des droits de l’homme» qui a lieu dans le Cerrado. «Si elles tirent profit de ce coton, elles doivent accepter d’être responsables de son impact.»

Certification trompeuse

Pour prouver que Zara et H&M fabriquent bien leurs vêtements à partir de ce coton précis, l’organisation a analysé, pendant plus d’un an, des images satellites et des registres de livraison. «Des milliers et des milliers de dossiers d’expéditions», appuie l’auteur. Résultat, selon Earthsight, 816 000 tonnes de coton cultivé dans des exploitations du Cerrado ont été acheminées vers huit entreprises asiatiques afin de produire des centaines de millions de vêtements destinés à se retrouver dans les rayons d’H&M et de Zara en Europe.

Par-dessus le marché, la plupart des vêtements vendus par ces marques sont fabriqués à partir de coton certifié «Better Cotton», censé garantir une éthique dans la production du coton. Mais en enquêtant, Earthsight a découvert que le coton cultivé dans les exploitations du Cerrado portait ce fameux label Better Cotton. Difficile, dès lors, de lui accorder la moindre crédibilité. En France, l’Agence de la transition écologique met également en garde contre cette certification «très utilisée par les industriels […], facile à obtenir» et qui «ne signifie pas que [le] vêtement est en coton biologique». Face aux critiques, le label Better Cotton a même décidé de réviser ses critères d’obtention.

«Ils ne sont pas conscients de l’origine de leurs matières premières, et c’est un problème ! note Rubens Carvalho. Cela signifie qu’ils ne peuvent pas garantir la durabilité et la qualité de leur coton.» Le groupe Inditex, propriétaire de Zara, a préféré déporter la faute sur Better Cotton, et exiger «plus de transparence» de la part du label. Et de préciser que le coton brésilien ne représente qu’entre 5% et 25% du coton utilisé par ses usines au Bangladesh et au Pakistan. H&M, de son côté, indique également être «en contact étroit avec le propriétaire de la certification Better Cotton, qui a entamé une enquête approfondie sur ces allégations spécifiques». La marque promet également de «s’approvisionner en matières premières de manière responsable […] afin de minimiser les risques pour l’environnement et les droits de l’homme, tout en soutenant les communautés locales et les écosystèmes».

Réglementation européenne

«Cela fait des années, voire des décennies, que le secteur de la mode promet de rendre ses chaînes d’approvisionnement plus durables, mais cela ne s’est pas produit. Au lieu de cela, nous assistons au déclin continu de nos forêts et de leurs biodiversités», s’essouffle le directeur adjoint. Pour Earthsight, la seule solution, c’est donc la réglementation : imposer aux entreprises de la mode de contrôler leurs chaînes d’approvisionnement et de se dissocier des exploitations nocives.

Une directive européenne interviendra bientôt en ce sens. L’accord sur le devoir de vigilance en matière de durabilité des entreprises, voté dans une version édulcorée le 15 mars, obligera les grandes entreprises européennes (mais pas que) à «surveiller leur impact négatif sur les droits humains et sur l’environnement, notamment en ce qui concerne […] la pollution, la déforestation, la consommation excessive d’eau ou les dommages causés aux écosystèmes». «Un pas dans la bonne direction», se réjouit Rubens Carvalho.