« Entretien avec un vampire » : la série supporte-t-elle la comparaison avec le film joué par Tom Cruise et Brad Pitt ?
On le croit définitivement enterré, mais il revient toujours d’entre les morts. Le vampire, ses dents pointues, son goût du sang et sa subversivité trouvent perpétuellement un moyen d’envahir le grand comme le petit écran. Alors, sans mentir, quand on a entendu parler d’une nouvelle adaptation d’Entretien avec un vampire? On a poussé un léger soupir. Le roman gothique d’Anne Rice avait connu une première adaptation au cinéma, par Neil Jordan, en 1994.
Les deux sex-symbols d’alors, Brad Pitt et Tom Cruise, lui donnaient ce parfum de soufre et ce charme désuet toujours intact. Fallait-il donc encore réadapter cette histoire ? C’est à cet égard que l’on s’avançait prudemment vers cette nouvelle itération, une série en sept épisodes diffusée en octobre 2022 aux États-Unis et disponible le vendredi 10 mai sur Paramount+.
Mais où sont les vampires ?
Bien mal nous a pris de douter. Entretien avec un vampire, version série 2024, vaut largement le coup d’?il. Exit, pour ces sept épisodes, les héros de Top Gun et de Fight Club. On retrouve, dans le rôle de Louis de Pointe du Lac, Jacob Anderson (Game of Thrones, Broadchurch). Son alter ego, Lestat de Lioncourt, apparaît lui sous les traits de Sam Reid (Profession Reporter, Anonymous).
La série prend ici place en 1910, toujours à La Nouvelle-Orléans. Louis de Pointe du Lac est un jeune gérant de bordels, aux prises avec les affres de son business. Il doit également faire face à la désapprobation de sa famille, dont son pieux frère, avec lequel il conserve une sincère complicité. C’est dans cette atmosphère, teintée d’un ressentiment enfoui, que surgit la tentation vampiresque.
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Reprenant le schéma du film, la série est un récit à la première personne de Louis, qui narre en voix off au journaliste Daniel Molloy (Eric Bogosian) ses quelque 145 ans d’existence. Une vie qui commence là où Lestat fait lui-même irruption.
Une série qui assume son propos
On est agréablement surpris de voir la série faire, dès le départ, un pas de côté. Délaissant (au premier épisode) le folklore vampirique, c’est d’abord une étude des relations humaines auquel se consacre Entretien avec un vampire. Cette lente narration laisse le temps d’étoffer la personnalité de Louis. Que les plus impatients se rassurent, le vampire n’est jamais loin. Il n’est jamais mis au second plan, mais il est surtout là pour servir une réflexion plus moderne sur sa condition, dont la série tire toute sa force.
Là où le film de Neil Jordan ne faisait que suggérer (certes, à gros traits) la relation homosexuelle de Louis et Lestat, la série l’embrasse pleinement. Elle assume ainsi un aspect queer [terme parapluie qui regroupe plusieurs identités sexuelles et de genre au sein de la communauté LGBTQ +, NDLR]. Elle revendique l’expression d’une sexualité et d’un amour libres, hors (pour l’époque) des conventions. De ce fait, elle en fait également un miroir de la condition du vampire.
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Louis est homosexuel, et de surcroît, il est noir. Il est à l’intersection des luttes. Dans La Nouvelle-Orléans de 1910, sa situation revient peu ou prou à être un étranger, à n’être jamais l’un des leurs, n’être nulle part chez lui. Exactement le questionnement existentiel de tout vampire : par nature immortel, il vit parmi des hommes qu’il est condamné à voir disparaître. Il n’est jamais un homme de son temps, puisqu’il est de tous les temps. De par sa condition physique (le goût du sang humain, la crainte de la lumière), il doit vivre reclus et devenir un objet de fascination, voire de peur et de rejet.
Sam Reid, un Lestat brillant
À cet égard, Louis, méprisé pour ce qu’il est (bien qu’accepté par la communauté pour son statut social, il est toujours qualifié de « nègre »), ne peut voir dans la vie du vampire qu’une réminiscence de la sienne. Une vie de faux-semblants, de dissimulation, où les atours de sa famille aisée ne peuvent faire totalement oublier le rejet de la société.
L’intelligence du showrunner Rolin Jones est de mettre en exergue, sans jamais l’appuyer, ce parallèle. De l’autre côté, Lestat est sans doute le personnage le plus passionnant du récit. Si Jacob Anderson ne démérite pas face à la mélancolie autodestructrice de Brad Pitt, on affirmera sans sourciller que Sam Reid a totalement de quoi faire oublier Tom Cruise.
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L’acteur apporte des nuances de jeu prodigieuses : tantôt trouble, sirupeux, flamboyant. Tantôt cruel, violent, manipulateur. C’est un Don Juan qui représente pour Louis la tentation de l’interdit. Mais c’est aussi une ombre écrasante, un mâle toxique, que Louis honnit autant qu’il l’aime. Leur relation gagne en crédibilité à mesure qu’un trouble malsain s’installe. Lestat cache-t-il quelque chose ?
Le tournant Claudia
Les sept épisodes gagnent énormément à laisser la relation des deux personnages se construire dans la durée. Derrière la caméra, des pointures comme Alan Taylor (Oz, Lost, Game of Thrones) retranscrivent parfaitement cette plénitude, par une mise en scène sobre et efficace. Elle sublime sans forcer le travail des décorateurs et costumiers, qui retranscrivent La Nouvelle-Orléans du XXe siècle, comme notre présent avec la même crédibilité.
Sur le plan narratif, il y aura bien un peu de gras ici et là, mais ne boudons pas notre plaisir, tant les incursions comiques comme dramatiques du couple fonctionnent à merveille, sans rendre l’ensemble programmatique. L’arrivée de Claudia (Bailey Bass), la jeune adolescente que l’un d’eux va transformer en vampire, instaure un nouveau rapport de force, un regain d’énergie dont la série ne saurait se priver.
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De là, la série délaisse l’étude de m?urs pour un authentique thriller, jusqu’à l’épisode final, où la résolution du puzzle galvanise la série. Même si le dénouement est attendu, le chemin emprunté saura largement captiver.
Vérité et faux-semblants
Enfin, dans tout ce beau monde subsiste Daniel Molloy. À l’époque mis dans la peau d’un tout jeune Christian Slater, il est ici un journaliste plus mûr, subtilement incarné par Eric Bogosian (aperçu dans New York Unité spéciale). En effet, la série prend place plusieurs décennies après la première rencontre avec Louis. Ce dernier veut de nouveau raconter son histoire, jugeant leur premier échange en 1973 « inconsistant » (si nous étions taquins, nous y verrions là un tacle dissimulé au film, sorti trente ans plus tôt?).
Molloy, vieux journaliste désabusé et dépassé par la modernité, se laisse engager, non sans répliquer, dans ce jeu de dupes. Les multiples allers-retours entre les deux couches de fiction ne disent qu’une chose : la vérité cache toujours une part de dissimulation.
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Circonspect au départ, on ressort finalement vivifié du visionnage, charmé par ce mythe vampirique sorti de son formol moderne à tous les égards. Sans trop en dire, les adeptes du film devraient, à l’épilogue, retrouver leurs marques. Mais la série laisse des non-dits et promet une saison 2? qui arrivera dès ce dimanche 12 mai aux États-Unis. Et en France ? « Bientôt », nous est-il promis. La série est supposée être la première pièce du Immortal Universe, inspiré des ?uvres d’Anne Rice. Une chose est sûre : pour Entretien avec un vampire, on sera au rendez-vous.
Disponible sur Paramount+ le 10 mai.